Inde

Au Meghalaya, une polémique émerge autour d’une prière chrétienne prévue pour l’inauguration d’une université

Des pèlerins indiens lors des JMJ de 2019. Pour certains, une prière chrétienne dans une université n’est pas incompatible avec la laïcité « à l’indienne », le Meghalaya étant majoritairement chrétien. Des pèlerins indiens lors des JMJ de 2019. Pour certains, une prière chrétienne dans une université n’est pas incompatible avec la laïcité « à l’indienne », le Meghalaya étant majoritairement chrétien. © Asianews
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De vives réactions se manifestent face à la proposition d’un ministre du gouvernement du Meghalaya qui souhaite conduire une prière chrétienne lors de la cérémonie d’inauguration d’une université publique, dans cet État à majorité chrétienne du nord-est de l’Inde. Alors que la polémique enfle, plusieurs ONG, associations et partis ont dénoncé une proposition qui va à l’encontre de la Constitution indienne et réaffirmé leur respect de la tradition laïque de l’Inde.

L’inauguration de l’université publique Captain Williamson devait se tenir le 13 janvier, dans l’ouest du Meghalaya, un État situé au nord-est de l’Inde. À cette occasion, un service de prière chrétienne avait été prévu par les organisateurs. Cependant, cette annonce a provoqué une levée de boucliers. Dirigeants politiques et représentants de la société civile critiquent la dimension religieuse donnée à un événement public dans un pays laïc, et cela même si les chrétiens représentent 83 % des 3,2 millions d’habitants du Meghalaya. Deux autres États, le Nagaland et le Mizoram, ont également une population à majorité chrétienne dans cette région isolée du Nord-Est, enclavée entre le Bangladesh, le Bhoutan et le Myanmar.

L’initiative d’une prière chrétienne émane de Rakkam Sangma, le ministre de l’Éducation du Meghalaya. Ce dernier s’est justifié en enfonçant le clou : le Meghalaya « est un État chrétien ». « Nous voulons consacrer sa première université avec une grande rencontre de prière », a-t-il déclaré. « Si le Parlement peut être béni par des rituels hindous, pourquoi pas des rituels chrétiens dans un État chrétien ? »

Le ministre faisait référence à l’inauguration flamboyante du nouveau Parlement indien qui s’est tenue le 28 mai 2023 à New Delhi sous l’égide du Premier ministre Narendra Modi, entouré de prêtres hindous. L’empreinte hindoue a en effet accompagné ces festivités. Les observateurs y ont vu le signe d’une consécration de la politique des nationalistes hindous au pouvoir, incarnée par M. Modi et son parti du BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien). Ces derniers soutiennent l’hégémonisme hindou dans cette nation de 1,4 milliard d’habitants, dotée d’une diversité de croyances et d’une Constitution laïque. La cérémonie avait alors été boycottée par les principaux partis d’opposition.

La remarque selon laquelle le Meghalaya serait un « État chrétien » soulève la controverse

Au Meghalaya, les critiques affirment que l’inclusion d’une prière chrétienne lors de l’inauguration de l’université publique va à l’encontre de la Constitution. La remarque du ministre Rakkam Sangma, selon laquelle le Meghalaya serait un « État chrétien », soulève plus encore la controverse et suscite l’indignation des groupes autochtones. « L’Inde est un État laïc », a rappelé O. Pyngrope, président de l’organisation Seng Khasi Kmie, soulignant le devoir des responsables de « défendre la sacralité de la Constitution et de s’abstenir de telles déclarations impulsives », et exigeant que « l’inauguration de l’université se déroule de manière laïque, sans impliquer aucune institution religieuse ».

Cette organisation n’est pas la seule à faire part de sa désapprobation. Dans un communiqué, l’ONG Thma U Rangli-Juki (TUR) a déclaré : « Le Meghalaya peut être un État où la majorité de sa population pratique diverses formes de christianisme, mais cela n’en fait pas pour autant un État chrétien. » Le groupe Seinraij Jowai, affirme quant à lui se sentir « trompé après avoir appris que le gouvernement prévoyait d’organiser une grande prière chrétienne. » Pour l’Association des étudiants Niamtre, la déclaration du ministre est « illogique et irresponsable » : « L’affirmation du ministre selon laquelle le Meghalaya est un État chrétien reviendrait à contredire la structure même de l’État indien. » Enfin, le groupe autochtone Seinraij Jowai a rappelé l’héritage historique de la région : « Avant la période britannique, aucune autre religion n’existait au Meghalaya à part la foi autochtone. »

« Une prière chrétienne ne signifie pas le dénigrement des autres religions »

Cette polémique survient dans un contexte politique complexe : le ministre Rakkam A. Sangma appartient au gouvernement du Meghalaya qui est dirigé par un parti ayant fait alliance avec les nationalistes hindous au pouvoir à New Delhi. Alors que l’affaire s’est à la fois politisée et médiatisée, le parti d’opposition Voice of the People Party a demandé la démission du ministre, invoquant son « manque de compréhension des enjeux éducatifs clés ».

Du côté des représentants religieux, le Forum des leaders chrétiens Khasi Jaintia (KJCLF) s’est opposé à la position du ministre. D’autres personnalités appellent à relativiser. À Shillong, la capitale du Meghalaya, l’archevêque Victor Lyngdogh a souligné que l’inauguration de l’université « ne devrait pas être considérée comme un programme religieux ». « L’État compte des habitants pacifiques, et le programme proposé ne devrait pas être transformé en une question politique », a-t-il affirmé, le 6 janvier, à l’agence Ucanews. Le révérend D. C. Haia Darnei, président du United Christian Forum de Dima Hasao, a estimé que toutes les confessions sont respectées de manière égale au Meghalaya et qu’une prière chrétienne ne signifie pas le dénigrement des autres religions : « Cela ne doit pas être pris comme des représailles après l’inauguration du nouveau Parlement indien. »

Dans un communiqué daté du 9 janvier, le ministre Rakkam A. Sangma a de nouveau défendu ses vues. « Le laïcité ne consiste pas à éliminer la religion de la vie publique, mais plutôt à séparer la religion de l’État. Cette séparation est essentielle pour garantir que tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances religieuses, soient traités de manière égale et aient un accès équitable aux services publics », a-t-il écrit. Réagissant aux critiques émises par le groupe chrétien KJCLF, il a précisé : « Au lieu de revendiquer la laïcité, le KJCLF devrait plaider en faveur de prières avant la cérémonie, comme cela se fait dans de nombreux contextes à majorité chrétienne. Cela respecterait non seulement l’identité culturelle et religieuse de l’État, mais favoriserait également l’inclusivité et la diversité. »

(Ad Extra, A. B.)