Malaisie : la Semaine Sainte à Malacca, une enclave au riche héritage multiculturel et religieux

Le 15/04/2025
Le 13 avril, les Rameaux ont à nouveau attiré de nombreux croyants et non croyants dans l’église Saint-Pierre de Malacca, une ancienne colonie portugaise au riche héritage religieux et multiculturel, située au sud-ouest de la péninsule malaisienne. Le journaliste Joseph Masilamany, basé à Bornéo, décrit les traditions particulières observées durant la Semaine Sainte par une population très diverse – entre Eurasiens portugais, catholiques Paranakans (d’origine mixte chinoise-malaisienne) et hindous Chitty (d’origine tamoule).
Chaque année, alors que le monde chrétien entre dans les jours solennels de la Passion – Semana Santa, comme l’appellent les Portugais –, quelque chose de profondément pittoresque et extraordinaire se produit dans la ville historique de Malacca, en Malaisie.
Le long des rues pavées à l’extérieur de l’église Saint-Pierre, les traditions catholiques sont non seulement observées par les descendants des colons portugais, mais aussi discrètement honorées par les familles non chrétiennes hindoues de l’ethnie Chitty (d’origine tamoule) et par les communautés catholiques Peranakans (d’origine mixte chinoise et malaisienne/indonésienne).
Le fait que ces célébrations soient partagées par des populations aussi diverses reflète une dévotion qui transcende les croyances, les cultures et le temps. Depuis des générations, ces communautés – enracinées dans des croyances hybrides et un héritage multiculturel – participent aux célébrations de la Semaine Sainte non par obligation mais par profond respect et dans une continuité culturelle.
« La langue, la foi et le folklore s’entremêlent à Malacca »
Martin Theseira, un descendant de colons portugais résidant Portuguese Square à Malacca, note qu’à l’occasion du dimanche des Rameaux et du Vendredi saint, les familles Chitty et les communautés Peranakans apportent du bunga rampai – un mélange odorant de pétales de fleurs, de feuilles de pandan et de parfum – afin de le déposer aux pieds du Christ crucifié dans l’église Saint-Pierre. « Ce geste simple et beau évoque un souvenir commun. Il nous rappelle que la piété ne requiert pas toujours de se convertir, seulement de comprendre », estime Martin.
Il explique que dans les dialectes locaux de ces communautés, les jours de la Passion portent des noms familiers chargés de sens. « Le dimanche des Rameaux devient ‘Datuk Pikol Balak’, ce qui veut dire littéralement ‘Le Seigneur porte le bois’. C’est une façon affectueuse de représenter Jésus portant la Croix. Le Vendredi saint est appelé ‘Datuk Mati’ – ‘Le Seigneur est mort’ », raconte-t-il.
« Ces termes, transmis de génération en génération, montrent combien la langue, la foi et le folklore s’entremêlent dans l’esprit des habitants de Malacca. C’est quelque chose qui n’est pas dilué, mais au contraire révéré. Il ne s’agit pas de mimétisme mais de respect. C’est typiquement malaisien », ajoute-t-il.
Plus bas sur la côte de Malacca, à Ujong Pasir, l’ancienne colonie portugaise se réveille aux rythmes solennels du dimanche des Rameaux, du Jeudi saint et du Vendredi saint. Cette communauté compte toujours des descendants des missionnaires et marins portugais qui sont arrivés en 1511, apportant avec eux la foi catholique, la langue kristang (un mélange créole de malais et de portugais), leur musique et leur mode de vie, qui perdurent encore aujourd’hui entre la brise marine et les cloches des chapelles.
Pour les catholiques portugais de Malacca – dont beaucoup parlent encore Kristang –, la Semaine sainte n’est pas seulement un événement liturgique, mais une expression sacrée de leur identité, de leur mémoire et de leur dévotion.
« On ne trouve ces traditions que parmi les descendants portugais de Malacca »
Le père Manuel Pintado, ancien curé de la paroisse Saint-Pierre, documente ces traditions vivantes dans son livre Survival Through Human Values (« La survie par les valeurs humaines »). Il y écrit que ce sont les missionnaires Augustiniens qui ont introduit pour la première fois les traditions locales autour de la Passion du Christ. Le dimanche des Rameaux, la procession débute à l’aube. Deux Irmaos de Igreja – des responsables laïcs – mènent les fidèles, portant des bannières représentant l’Eucharistie et la Mater Dolorosa (Mère de Douleurs).
Des statues en bois grandeur nature représentant le Christ portant la Croix et la Vierge en deuil sont portées autour de l’église, suivies par les fidèles portant des cierges et des rameaux à la main. À mi-chemin de la procession, une fille portugaise-eurasienne, représentant Véronique, déroule un voile imprimé avec le visage du Christ. Le Vendredi saint, la statue du Seigneur défunt est portée dans un cercueil en bois et suivie des fidèles portant des cierges. Trois jeunes garçons jouent les rôles des Très Marias (Trois Maries), chantant un chant funèbre en latin dans le silence de la nuit.
« On ne trouve ces traditions que parmi les descendants portugais de Malacca », explique Martin Theseira. « On les rencontre rarement au-delà de cette enclave historique. » En se basant sur les souvenirs du père Pintado et les remarques de Martin, il semble clair qu’à Malacca, la foi n’est pas isolée, mais en harmonie avec l’héritage et l’histoire de la ville, où même les autres communautés religieuses partagent les célébrations de la Semaine Sainte avec respect.
(Avec Ucanews, Joseph Masilamany)