Mgr Olivier Schmitthaeusler : « Le moment était venu d’avoir un évêque local, comme dans toutes les Églises d’Asie »

Le 11/07/2025
Deux semaines après la nomination de Mgr Pierre Suong Hang Ly comme vicaire apostolique coadjuteur de Phnom Penh, Mgr Olivier Schmitthaeusler, MEP, à la tête du vicariat depuis 2010, revient sur cette nouvelle étape historique pour l’Église locale. Il rappelle qu’en tant que missionnaire, il reste l’un des seuls évêques encore étrangers en Asie. Il estime que pour l’Église au Cambodge, « le moment était venu de s’enraciner davantage sur sa terre » : « Une nouvelle page s’ouvre avec un clergé local qui construit cette Église aujourd’hui. »
Ad Extra : Le 28 juin, quand Mgr Ly a été nommé évêque coadjuteur de Phnom Penh, vous avez parlé d’un « grand cadeau » pour l’Église locale ?
Mgr Olivier Schmitthaeusler : Oui, même si ce n’était pas une surprise, car cela fait déjà plusieurs mois que nous nous y préparions ! C’était le moment de préparer l’avenir et de permettre à l’Église du Cambodge de s’enraciner davantage sur sa terre. Je suis un missionnaire étranger, et un des seuls évêques encore étrangers ici en Asie. Après plusieurs années comme vicaire général de Mgr Émile Destombes et après 15 ans d’épiscopat, j’ai fait la demande au pape François de penser à un évêque coadjuteur, et si cela pouvait être un khmer ce serait formidable. Les choses ont été un peu repoussées parce que le Saint-Père était très malade, et finalement c’est le pape Léon XIV qui a fait cette nomination.
C’est le premier évêque cambodgien depuis 50 ans…
Effectivement, et c’est une année très symbolique pour nous, parce que c’est le jubilé d’or de l’ordination de Mgr Joseph Chmar Salas, qui avait été ordonné le 14 avril 1975 par Mgr Yves Ramousse, dans des circonstances très particulières. Trois jours après son ordination, les Khmers Rouges sont arrivés à Phnom Penh. Les missionnaires ont été envoyés à l’ambassade de France pendant trois semaines, avant d’être expulsés du pays. Mgr Salas, avec trois autres prêtres cambodgiens dont son frère, sont partis sur les routes de l’exil, et lui-même est mort en 1977.
Ensuite, nous n’avons plus eu d’évêque jusqu’en 1992, quand Jean-Paul II a renommé Mgr Ramousse – ce qui doit être une première dans toute l’histoire de l’Église, alors qu’il avait démissionné en 1976 de son siège à Phnom Penh. La succession a continué avec les MEP, avec Mgr Destombes puis avec moi-même.

Il y a deux ans, nous fêtions le 50e anniversaire de la FABC (Fédération des conférences épiscopales d’Asie). À cette occasion, un document a été publié après une grande assemblée qui a duré plus de trois semaines. Une partie du texte rappelait le travail qui a été fait en terres d’Asie, en particulier avec les missionnaires (les MEP, les jésuites…), en ajoutant qu’une nouvelle page s’ouvre avec un clergé local qui construit cette Église aujourd’hui.
Il faut aussi rappeler que nous sommes la Conférence épiscopale Laos-Cambodge : au Laos, depuis 1975, il y a des ordinaires qui sont laotiens, mais pour le Cambodge, à cause des péripéties de l’histoire, cela n’a pas pu être poursuivi. Tout en sachant que pour préparer un évêque, il faut vingt ans ! Dix ans au séminaire, et au moins dix ans de formation.
Depuis la Constitution Praedicate evangelium du 19 mars 2022, le pape François parle de « nouvelles Églises particulières » à la place de « territoires de mission » : notre petite Église est devenue une « Eglise particulière » et de ce fait se doit d’avoir un pasteur local !
Dans votre lettre publiée il y a quelques jours, vous dites que cette nomination est un signe de maturité pour l’Église locale ?
Oui, car cela fait plus de 30 ans que Mgr Ramousse et Mgr Destombes sont revenus au Cambodge, en 1990 avec le père Ponchaud et quelques missionnaires. Donc le temps de cette nouvelle maturité est vraiment venu.
Quand je suis devenu évêque en 2010, j’ai eu à cœur d’organiser le vicariat non seulement avec les missionnaires – nous en avons une quarantaine ici au Cambodge –, mais aussi d’organiser les structures du vicariat avec neuf offices diocésains (pour la catéchèse, la pastorale de la jeunesse, la santé, l’art…).
Ces services diocésains sont tous pris en charge par des laïcs cambodgiens, parce que nous n’avons pas suffisamment de prêtres, et les laïcs sont très dynamiques. Ces derniers mois, on a vu le nombre d’événements qui ont été organisés !
Je pense en particulier au grand colloque interreligieux qui a eu lieu ici, en lien avec le Saint-Siège, le vicariat de Phnom Penh et le bouddhisme au Cambodge. Cet événement a été véritablement organisé par nos services diocésains, par l’institut Saint-Paul, par le service des jeunes, la catéchèse… Tous se sont donnés à fond, c’est un signe de maturité. C’était le moment d’avoir à la tête du vicariat de Phnom Penh un évêque qui soit local, comme dans toutes les Églises d’Asie.
Mgr Ly a confié récemment qu’il est difficile de convertir les Cambodgiens à une foi authentique en Jésus Christ… Comment expliquez-vous cela ?
La mission, c’est l’annonce de la Bonne Nouvelle ! Dans cette annonce où l’on sème large, c’est comme le semeur qui sort : il y a des graines qui tombent sur la bonne terre, d’autres sur les pierres, d’autres dans les épines. Je pense que c’est cela notre mission : pouvoir semer cette Bonne Nouvelle. La mission, ce n’est pas forcément la conversion.
On remarque quand même qu’avant 1975, Mgr Emile Destombes disait qu’il avait baptisé deux Cambodgiens, pendant dix ans de mission. De mon côté, j’ai célébré mes premiers baptêmes en 2003, dans la paroisse où j’avais été nommé curé avec un chrétien, et jusqu’à aujourd’hui, dans cette paroisse-là, nous avons eu plus de 400 baptêmes. De cette paroisse sont aussi nées plus de 8 communautés dans la région de Takéo.
L’annonce de la Bonne Nouvelle prend du temps, mais elle a aussi beaucoup changé. Pol Pot a ravagé le Cambodge, aussi bien du point de vue économique et humain qu’au niveau religieux et culturel. On a quand même pu observer un certain nombre de baptêmes, entre le temps des camps de réfugiés, puis après 1995 et durant les années 2000.

Aujourd’hui, les chrétiens de 3e génération ont seulement quelques années. Leurs grands-parents ont été baptisés, puis leurs parents, et maintenant la 2e génération est en âge de se marier et d’avoir des enfants. Ainsi, nous sommes toujours au temps des apôtres.
Mais même si notre Église est petite, pendant ces 15 ans d’épiscopat, j’ai ordonné douze prêtres, dont dix locaux. C’est déjà énorme ! Nous avons aussi 17 prêtres locaux, soit plus que dans toute l’histoire de l’Église du Cambodge : de 1555 à 1975, nous n’avons eu que cinq prêtres locaux, dont Mgr Paul Tep Im Sotha, préfet apostolique, et Mgr Salas, vicaire apostolique.
Rapporté au nombre de chrétiens (25 000 à peine au Cambodge, avec au moins 70 % de Vietnamiens), ce sont de beaux signes de l’action de la Bonne Nouvelle et de la Parole de Dieu dans le cœur des Cambodgiens.
Cette Église est « petite », mais elle a une longue histoire… qui remonte jusqu’au XVIe siècle ?
Le premier missionnaire est un Portugais arrivé en 1555. Ensuite, des catholiques japonais, qui fuyaient les persécutions au Japon, sont venus. C’était le premier contact.
Par la suite, c’est seulement dans les années 1770 qu’il y a eu un évêque résident à Phnom Penh. En 1850, du temps de Mgr Jean-Claude Miche, le vicariat apostolique du Cambodge a été mis en place. En 1924, il a été appelé vicariat apostolique de Phnom Penh, puis il a été divisé en trois en 1968, entre Kampong Cham, Battambang et Phnom Penh.
Quand Mgr Ramousse est revenu après 1990, il a été à la fois vicaire apostolique de Phnom Penh et administrateur de Battambang. En l’an 2000, c’est Mgr Kiké (Enrique Figaredo, jésuite) qui a pris la charge de Battambang. Puis Mgr Émile a été ordonné en 1997 et a été coadjuteur de Mgr Ramousse pendant quatre ans, jusqu’en 2001.
Donc cela a toujours été une petite Église, qui a dû vivre avec ses défis, en particulier à la suite du concile Vatican II auquel Mgr Ramousse avait participé. Il a aussi fallu faire le choix de la langue, parce qu’on célébrait la messe en latin avant le concile. Quand il a fallu célébrer la messe dans la langue vernaculaire des pays, Mgr Ramousse a pris la décision de dire la messe en khmer. Cela été difficile à accepter pour les Vietnamiens (il y avait alors 60 000 Vietnamiens à Phnom Penh).
Cela a été un choix crucial et difficile. Et au retour, en 1990, on a continué sur cette voie-là, en mettant en place des communautés comme du temps des Actes des Apôtres, avec la catéchèse pour la formation, la liturgie pour la prière, la charité pour le partage avec les pauvres… Actuellement, sur Phnom Penh, 80 % des chrétiens sont d’origine vietnamienne, mais ils vivent ici depuis longtemps. Ils étaient déjà là avant Pol Pot, ils sont revenus ensuite. Ils ont pris cette habitude de célébrer et de s’exprimer en cambodgien, parce que s’insérer dans la société et dans la culture, c’est le seul avenir quand on vit ici au Cambodge.
Cette histoire de l’Église au Cambodge s’inscrit dans la vocation Mep de fonder des Églises en Asie…
Oui, et j’aimerais dire un mot sur la mission des Missions Étrangères de Paris. Les MEP ont été fondées pour former une Église locale, avec un clergé local, et avec des chrétiens formés. En fait, les MEP ont fondé une centaine de diocèses dans les Églises d’Asie. Puis en 1940, pendant la 2e Guerre Mondiale, Pie XII a nommé des évêques locaux, en particulier en Thaïlande et au Japon, et tous les évêques MEP ont dû démissionner à ce moment-là.

Ensuite, cela s’est fait au fur et à mesure : en 1975, Mgr Bach, qui était encore vicaire apostolique au Laos au moment des communistes, a lui-même démissionné pour un Laotien. On peut aussi se souvenir de Mgr Dupont, décédé il y a quelques mois, qui avait été nommé à 39 ans comme moi pour fonder le diocèse d’Andong en Corée du Sud, et qui a aussi démissionné à 60 ans pour laisser la place à un Coréen.
Donc il n’y a plus qu’ici à Phnom Penh. C’était une situation particulière, mais cela ne pouvait pas non plus durer ad vitam. C’est pourquoi le moment était venu de demander un coadjuteur, en sachant que Mgr Ly n’a qu’un an de moins que moi. Nous avons commencé ensemble comme curés à Kampot et à Takéo pendant sept ans. Il a passé huit ans à Paris, puis il a été huit ans avec moi comme vicaire général et comme curé du nouveau secteur pastoral de Phnom Penh. Puis il a eu trois ans d’expérience pastorale et de direction d’une Église à Kampong Cham.
Ainsi, je m’inscris aussi dans la grande histoire des MEP, et je peux dire que maintenant, nous continuons notre mission, non pas comme responsables d’une Église locale, mais comme missionnaires qui continuons d’aider à la formation, à annoncer l’Évangile. C’est pour cela que le Saint-Père avait nommé des vicaires apostoliques, pour qu’ils puissent aller dans les différentes régions d’Asie et mettre en place une véritable Église locale.
Cette évolution tombe à l’occasion du Jubilé 2025 sur les « pèlerins d’espérance », ce qui est aussi symbolique ?
Ce sont les signes de Dieu, cela aurait pu arriver avant ou après. Nommer un évêque, c’est un long processus. Car le vicaire apostolique est évêque ; Mgr Ly, qui était jusqu’à présent préfet apostolique, n’avait pas reçu d’ordination épiscopale. Celle-ci aura lieu le 6 septembre, ici à Phnom Penh.
Et nommer un évêque, c’est un long processus d’enquête autour de trois ou quatre noms, d’abord au niveau local, à la nonciature et enfin à Rome. C’est arrivé pendant l’année jubilaire et à l’occasion des 50 ans de l’ordination de Mgr Salas, en sachant que Mgr Ly vient du même village que Mgr Salas !
Enfin, c’est en cette année du jubilé, au mois de décembre, nous allons clôturer l’enquête autour des Martyrs du Cambodge, en vue de leur béatification. Elle avait débuté en 2015. Et à Noël 2025, nous allons pouvoir envoyer à Rome les documents de l’enquête diocésaine pour 12 martyrs, dont Mgr Chhmar Saas et ses compagnons, pour la deuxième partie du processus de béatification. On peut dire que c’est une grande année !
(Propos recueillis par Ad Extra)