Inde

Cardinal Gracias : « Il y aura une opposition saine, c’est une bonne chose pour l’Inde, la démocratie et l’avenir »

Narendra Modi avec des responsables chrétiens dont le cardinal Gracias (à gauche), lors d’un évènement avec la communauté chrétienne en 2023 dans sa résidence à New Delhi. © narendramodi.in
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Au pouvoir depuis 2014, le premier ministre Narendra Modi conserve les rênes de la nation la plus peuplée au monde à l’issue des élections législatives. L’homme fort de l’Inde a prêté serment pour un 3e mandat consécutif lors d’une cérémonie qui s’est déroulée le 9 juin à New Delhi. Mais sa marge de manœuvre se trouve fortement réduite puisqu’il doit désormais gouverner avec une coalition politique. Son parti nationaliste hindou du BJP a échoué à obtenir une majorité absolue et devra composer avec des alliés issus d’horizons différents.

Le plus grand scrutin électoral jamais réalisé à l’échelle de la planète avait appelé aux urnes, durant six semaines et sous des pics de canicule, plus de 960 millions d’électeurs en âge de voter. Annoncés le 4 juin, les résultats ont créé la surprise : le parti nationaliste hindou de Narendra Modi n’est pas parvenu à franchir le cap de la majorité parlementaire. En effet, le BJP a obtenu 240 sièges sur les 543 de la chambre basse du Parlement, bien en dessous des estimations et des sondages qui lui prédisaient un triomphe électoral.

Pour rester au pouvoir, les nationalistes hindous ont dû prendre le soutien de certains alliés connus pour leurs allégeances changeantes, laissant entrevoir la possibilité d’une future instabilité politique. L’un des alliés importants, Nara Chandrababu Naidu du parti Telugu Desam Party (TDP), avait qualifié en 2019 Narendra Modi, qui était alors son rival politique, de « terroriste ». Au total, l’alliance démocratique nationale (NDA) du BJP cumule 293 sièges, face à l’opposition qui en détient 234 : l’écart entre le pouvoir et l’opposition se réduit.

Âgé de 73 ans, Narendra Modi a prêté serment ce dimanche 9 juin dans le palais présidentiel du Rashtrapati Bhavan, à New Delhi. La cérémonie s’est déroulée en présence de centaines de personnalités, dont les dirigeants des pays voisins du sous-continent, à l’exception du Pakistan, le frère ennemi. Réputé proche du premier ministre, le milliardaire Gautam Adani était au rendez-vous, tout comme de grands acteurs de Bollywood. Devant ses illustres invités, le premier ministre a promis d’être le garant de la souveraineté et de l’intégrité de l’Inde, et de gouverner avec une « foi sincère et en allégeance à la Constitution ».

Une victoire en demi-teinte

La victoire électorale de Narendra Modi est en demi-teinte, les nationalistes hindous étant loin d’avoir provoqué le raz-de-marée électoral qu’ils escomptaient. Dans leur forteresse hindiphone du nord de l’Inde, et notamment en Uttar Pradesh, ils ont même reculé. La réélection de Narendra Modi dans sa circonscription de Varanasi, sur les bords du Gange, n’a pas été le triomphe espéré. Le fief d’Ayodhya, symbole de l’avènement nationaliste hindou depuis l’inauguration d’un temple hindou construit sur l’emplacement d’une mosquée, a même échappé au BJP.

Pourtant, le scrutin législatif s’est déroulé dans le contexte d’un pouvoir tout-puissant qui, au fil de ces dernières années, a muselé de nombreuses voix critiques, opposants politiques, chercheurs, intellectuels et journalistes. La diversité d’expression n’a cessé de reculer en Inde. Avec des moyens financiers considérables, le parti du BJP a imposé, durant la campagne, l’omniprésence de son leader, Narendra Modi, et de son idéologie visant à transformer l’Inde laïque en une nation hindoue.

Jouissant d’une forte popularité, le dirigeant était le grand favori, porté par des réseaux sociaux et des médias largement en sa faveur. Ce contexte particulier laissait peu d’espoirs à l’opposition qui dénonçait un jeu inégal. Elle a également accusé le gouvernement d’instrumentaliser les institutions à des fins politiques au moyen d’enquêtes fiscales visant les opposants politiques.

Le scrutin marque un retour à des problématiques plus traditionnelles

Mais la campagne ne s’est pas déroulée comme prévu. Initialement, le BJP a mis en avant le thème du développement. Puis, cherchant à mobiliser davantage l’électorat hindou, sa stratégie s’est réajustée vers des discours nationalistes aux accents islamophobes. Lors d’un rassemblement, Narendra Modi lui-même a qualifié la minorité musulmane, qui compte plus de 200 millions d’Indiens, d’« infiltrés ».

D’après les observateurs, une partie des électeurs a tourné le dos à cette polarisation religieuse pour se préoccuper d’enjeux liés au quotidien, au chômage et à l’inflation. Un certain mécontentement face au pouvoir s’est affirmé au grand jour. Avec un taux de participation de 66,3 %, le scrutin marque un retour à des problématiques plus traditionnelles. Il exprime également une mise en garde des citoyens indiens à l’égard de leur premier ministre dont la magie semble s’être quelque peu érodée. « L’opposition a tenté de dépeindre ces résultats comme un échec pour nous. Mais nous n’avons pas perdu, nous ne perdons jamais et nous ne perdrons jamais », a rétorqué Narendra Modi.

Néanmoins, le premier ministre ne pourra plus diriger le pays selon ses seules décisions, comme souvent par le passé, et devra faire preuve d’une approche plus consensuelle. Emmenée par Rahul Gandhi du parti du Congrès, l’opposition se sent revigorée. Elle devrait être en mesure de tenir davantage tête aux nationalistes hindous au sein du Parlement, après avoir été étouffée durant une décennie.

Cardinal Gracias : « Je suis heureux que la démocratie fleurisse en Inde »

Avec l’instauration d’un gouvernement de coalition, certains responsables chrétiens n’ont pas caché leur espoir de voir les minorités religieuses mieux protégées à l’avenir. « Les gens ont clairement exprimé leur désir de revenir aux idéaux fondateurs de l’Inde », a déclaré Vijayesh Lal, secrétaire général de l’Evangelical Fellowship of India (EFI), à la tête de 65 000 Églises protestantes. « Ils préfèrent l’harmonie à un sectarisme étriqué et à la politique de division. » Le quotidien The Times of India a souligné pour sa part : « C’est la première fois qu’aucun député musulman n’est assermenté en tant que ministre après des élections ».

Le cardinal Filipe Neri Ferrão, archevêque de Goa, avait appelé les catholiques indiens à voter contre le BJP, exhortant les « électeurs catholiques éligibles » à choisir des candidats ayant des références laïques, en se basant sur les valeurs constitutionnelles de l’Inde. Le père Babu Joseph, ancien porte-parole de la Conférence des évêques de l’Inde, a commenté l’annonce des premiers résultats du scrutin, selon des propos rapportés par l’agence Asianews : « Une chose devient de plus en plus claire : le peuple indien a rejeté la politique de division et de haine de certains partis politiques et a opté massivement pour un système de gouvernement socialement plus inclusif et politiquement transparent. »

« Je suis heureux que la démocratie fleurisse en Inde, a pour sa part déclaré le cardinal de Mumbai, Mgr Oswald Gracias, cité lui aussi par Asianews. Cela montre que les gens sont politiquement conscients et votent correctement. Cela nous réjouit de penser que tout le processus s’est déroulé de manière paisible et ordonnée, ce qui montre qu’il y aura également une opposition saine. Je pense que c’est une bonne chose pour l’Inde, pour la démocratie et pour l’avenir. »

(Ad Extra / Antoine Buffi)