Inde

En Inde, une campagne électorale marquée par des courants de désinformation

En Inde, les enjeux électoraux et les tensions politiques ont multiplié la dissémination de fausses informations durant la campagne. En Inde, les enjeux électoraux et les tensions politiques ont multiplié la dissémination de fausses informations durant la campagne. © Todd Gehman / CC BY-NC 2.0 DEED
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Alors que le Premier ministre indien Narendra Modi, donné grand favori, brigue un troisième mandat à la tête de l’Inde, la campagne électorale a été marquée par la diffusion de fausses informations et des tentatives de manipulation de l’opinion sur la toile et sur les réseaux sociaux. En Inde, les enjeux électoraux et les tensions politiques ont ainsi multiplié la dissémination de fausses informations. Les résultats du gigantesque scrutin électoral, qui a appelé aux urnes plus de 960 millions d’électeurs en âge de voter, seront connus ce mardi 4 juin.

« Avez-vous vu une image, une vidéo, ou toute autre forme d’information qui ne vous semble pas véridique ? Envoyez-la sur notre numéro WhatsApp et nous la vérifierons pour vous. » Tel est le message affiché sur la page X, anciennement Twitter, de Mohammed Zubair et de son organisation Alt News, un site indépendant qui œuvre à identifier les fausses informations dans la vie politique indienne. Avec plus d’un million d’abonnés, l’homme est relativement connu et ses dénonciations lui valent d’être régulièrement insulté par des trolls issus de l’extrême droite indienne, qui défendent le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi.

Depuis le début des élections législatives qui se sont déroulées en sept phases et se sont achevées le 1er juin, Mohammed Zubair est sur le pied de guerre. « Nous avons travaillé sans relâche pour mettre en lumière, documenter et signaler la désinformation politique et les discours de haine lors de la campagne électorale, écrit-il. Nous avons aussi montré comment le premier ministre Narendra Modi a mené la campagne de désinformation de son parti du BJP (Parti du peuple indien) contre le programme du parti d’opposition du Congrès. »

Le parti du BJP impose l’omniprésence médiatique de Modi

Le scrutin se joue dans le contexte d’un pouvoir extrêmement puissant, qui a muselé de nombreuses voix critiques, opposants politiques, chercheurs, intellectuels et journalistes, au fil de ces dernières années. La diversité d’expression recule en Inde. Avec des moyens financiers considérables, le parti du BJP a imposé, durant la campagne, l’omniprésence médiatique de son leader, le premier ministre Narendra Modi, et de son idéologie. Les enjeux de l’information se sont intensifiés et exacerbés.

Arme de propagande, l’information est notamment un outil visant à la promotion de Narendra Modi : elle est relayée par des médias et des chaînes télévisées majoritairement acquis au pouvoir. Le célèbre journaliste Ravish Kumar les a surnommés les « godi » médias, imageant une relation de servilité. L’information se fait alors propagande et glorifie le travail du gouvernement de Narendra Modi. Au cours de la campagne, ces démonstrations partisanes ont monopolisé le paysage médiatique et laissé peu de place à l’opposition politique, ouvertement dépréciée.

Un réseau de 750 faux médias opérant depuis l’Inde

D’après un rapport du Forum économique mondial publié en début d’année, l’Inde se caractérise par le plus haut niveau de risque de désinformation au monde. Récemment, une enquête a révélé l’existence d’un réseau de 750 faux médias opérant depuis l’Inde et déployés à l’étranger, dans le but de manipuler l’information à la faveur du régime indien.

Les outils de communication numériques et en particulier les réseaux sociaux sont couramment utilisés à des fins politiques. L’Inde est le pays le plus peuplé de la planète et compte le plus grand nombre d’utilisateurs du réseau WhatsApp et d’abonnés à la plateforme Youtube. Les géants Google et Meta, qui dirigent Facebook, WhatsApp et Instagram, assurent travailler pour combattre les contenus haineux et privilégier les sources fiables. Mais des rapports d’experts soulignent l’échec de ces engagements en Inde : l’organisation India Civil Watch International a démontré la diffusion de publicités politiques, autorisées par Meta, aux contenus islamophobes ou misogynes.

Le développement d’images et de sons modifiés par intelligence artificielle a également fait irruption à grande échelle dans la campagne électorale. De fausses vidéos de politiciens et de célébrités ont circulé sur la toile. On a pu ainsi découvrir de grandes stars de Bollywood déclarant leur allégeance politique au parti d’opposition, ou bien un politicien musulman chantant sa dévotion hindoue. Arvind Kejriwal, le chef du gouvernement de Delhi emprisonné à la suite d’accusations controversées, a quant à lui été représenté en train de couler du bon temps dans sa cellule. Difficile, pour les électeurs, de démêler le vrai du faux, tant ces vidéos ont la capacité de bien imiter les visages et les voix. Quelle est l’influence réelle des messages forgés par l’intelligence artificielle sur les bulletins de vote ? Dans l’immédiat, nul ne le sait.

(Ad Extra / Antoine Buffi)