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Inde : le gouvernement Modi adopte une réforme controversée sur la gestion des propriétés musulmanes

Une propriété islamique dans l’Uttar Pradesh. La réforme de la loi « Waqf » sur les propriétés religieuses et caritatives musulmanes provoque des manifestations depuis le 5 avril. Une propriété islamique dans l’Uttar Pradesh. La réforme de la loi « Waqf » sur les propriétés religieuses et caritatives musulmanes provoque des manifestations depuis le 5 avril. © TheAafi / CC BY-SA 4.0
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Le 5 avril, le Parlement indien a adopté un amendement concernant la législation « Waqf », qui régit les propriétés religieuses et caritatives constituées par les musulmans au fil des siècles. Introduite par le gouvernement Modi, cette réforme modifie la gestion de ces biens. Ses partisans affirment qu’elle renforcera la transparence, mais de nombreuses critiques dénoncent une atteinte aux droits de la minorité musulmane. L’adoption de la réforme a déclenché des manifestations dans plusieurs villes, notamment au Bengale-Occidental.

En Inde, la minorité musulmane s’indigne et manifeste depuis l’adoption, le 5 avril, d’un amendement controversé sur la gestion de ses propriétés caritatives et religieuses. De nombreuses voix perçoivent cette réforme comme une atteinte aux droits de la minorité. Au Bengale-Occidental, dans le district de Murshidabad, des violences ont éclaté ce vendredi 11 avril à la suite de protestations. La police a confirmé la mort de trois personnes, tandis que 118 manifestants ont été arrêtés et au moins 15 policiers blessés.

Le 5 avril dernier, l’adoption du projet de loi « Waqf » a déjà donné lieu à des débats houleux au sein du Parlement indien. Les votes ont reflété une division marquée, avec 288 députés en faveur du texte et 232 s’y opposant. Le Parlement a validé l’amendement visant à encadrer la gestion du foncier islamique, incluant des biens tels que les mosquées, les orphelinats et les cimetières.

Appelés Waqf Boards, les conseils musulmans gèrent des propriétés religieuses, pour beaucoup issues de donations anciennes. Supervisant plus de 851 000 biens d’une valeur estimée à 14,2 milliards de dollars, ces conseils figurent parmi les trois plus grands propriétaires fonciers en Inde. La nouvelle réforme exige désormais des documents officiels pour justifier la propriété de ces biens, qui étaient souvent reconnus jusque-là par l’usage ou la tradition. Elle prévoit également l’intégration de membres non musulmans au sein des conseils, tandis que l’État dispose du pouvoir de trancher en cas de litige, renforçant ainsi son contrôle sur ces propriétés. Enfin, la réforme impose la présence d’au moins deux femmes musulmanes dans chaque conseil, dans un souci de promouvoir l’égalité des genres.

« Le BJP traite depuis longtemps les minorités comme des citoyens de seconde zone »

Dans un message publié sur X (anciennement Twitter), le Premier ministre Narendra Modi a décrit l’adoption de la réforme comme un « moment charnière ». M. Modi a estimé que le système Waqf avait été, pendant des décennies, « synonyme d’opacité et de manque de responsabilité ». Il a ajouté que la nouvelle législation allait « renforcer la transparence » tout en « protégeant les droits des citoyens ». Le ministre des Affaires des minorités, Kiren Rijiju a également déclaré que l’amendement permettrait de mettre fin à la corruption, saluant une « réforme pro-musulmane ».

Cette législation s’inscrit dans un climat de tensions entre la communauté musulmane et le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi. Les voix critiques perçoivent cette loi comme une menace portant sur leur présence historique et spirituelle en Inde. L’opposition et les organisations islamiques dénoncent une atteinte aux droits constitutionnels de la minorité, déjà fragilisée par la politique du Bharatiya Janata Party (BJP) depuis son arrivée au pouvoir en 2014. Ses détracteurs craignent que la loi ne serve à démanteler le patrimoine musulman, alors que les nationalistes hindous réclament déjà la restitution de terrains de mosquées à travers le pays. De leur côté, les nationalistes hindous rejettent toute accusation de discrimination religieuse.

Le chef de l’opposition, Rahul Gandhi, est monté au créneau, dénonçant « une arme visant à marginaliser les musulmans ». Le président du parti du Congrès, Mallikarjun Kharge, a exprimé des préoccupations similaires, qualifiant le texte de loi d’« ouvertement inconstitutionnel » : « Le BJP, qui traite depuis longtemps les minorités comme des citoyens de seconde zone, cible désormais leurs biens à travers ce projet de loi. » Des actions légales ont été engagées pour contester la validité constitutionnelle de la réforme, des responsables de l’opposition saisissant ainsi la Cour suprême.

« Ce projet de loi crée un précédent pour viser d’autres communautés à l’avenir »

Le BJP est régulièrement accusé de marginaliser la communauté musulmane, qui représente plus de 200 millions d’Indiens. Des décisions, comme la loi sur la citoyenneté (CAA), la révocation du statut spécial du Cachemire, ou encore le soutien à la construction du temple hindou de Ram sur le site d’une ancienne mosquée à Ayodhya, ont été dénoncées par ses détracteurs comme discriminatoires à l’égard des musulmans.

Au cours de ces derniers jours, des protestations ont eu lieu dans plusieurs grandes villes, notamment dans des États d’opposition comme Calcutta, au Bengale-Occidental ou Bangalore, dans le Karnataka. Les forces de l’ordre sont intervenues sur certains sites et ont annoncé un renforcement de la sécurité dans les zones sensibles du Bengale-Occidental, où la situation reste sous haute surveillance.

Dans un communiqué publié le 31 mars, la Conférence épiscopale indienne (CBCI) a pour sa part appelé l’ensemble des partis politiques et des législateurs à adopter une « approche impartiale et constructive » concernant l’amendement de la loi sur le Waqf. Au Kerala, le conseil des évêques a même demandé aux députés de ne pas s’opposer à l’amendement.

Pourtant, alors que les protestations contre la réforme se multiplient, l’opposition évoque un possible ciblage des institutions chrétiennes. Le chef de l’opposition, Rahul Gandhi, a affirmé sur les réseaux sociaux que les biens liés aux lieux de culte chrétiens seraient bientôt concernés : « Le projet de loi sur le Waqf s’attaque aux musulmans aujourd’hui, mais crée un précédent pour viser d’autres communautés à l’avenir. »

(Ad Extra, A. B.)

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