Chine

P. Gianni Criveller, sinologue : « L’espoir pour l’avenir de l’Église en Chine vient des catholiques chinois »

Le 24 février devant la cathédrale Saint-Ignace de Shanghai, lors de la visite d’une délégation du diocèse de Hong-Kong. Le 24 février devant la cathédrale Saint-Ignace de Shanghai, lors de la visite d’une délégation du diocèse de Hong-Kong. © Diocèse de Hong-Kong
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Alors que le cardinal Chow de Hong-Kong s’est rendu à Shanghai et Notre-Dame de Sheshan la semaine dernière, et alors que viennent de s’ouvrir les « deux sessions » à Pékin, l’événement politique de l’année pour le gouvernement chinois, le père Gianni Criveller, sinologue, qui a vécu et enseigné durant 27 ans dans le monde chinois (Hong-Kong, Taïwan, Macao et Chine continentale), répond aux questions d’Ad Extra sur l’Église en Chine aujourd’hui.

Le père Gianni Criveller, sinologue italien, historien et théologien, dirige actuellement le centre missionnaire PIME (Institut pontifical pour les missions étrangères) à Milan après avoir vécu et enseigné dans le monde chinois (Hong-Kong, Taïwan, Macao et Chine continentale) durant 27 ans.

Cette année est célébré le Jubilé 2025 sur les « pèlerins d’espérance ». Quelles sont les raisons d’espérer pour l’avenir de l’Église en Chine ?

Humainement parlant, l’heure n’est pas aux grandes espérances. Tout d’abord, le nombre de catholiques n’augmente pas en Chine ; par rapport il y a vingt ou trente ans, il y a de moins en moins de candidats dans les séminaires ou les couvents. Toutefois, l’espoir pour l’avenir de l’Église en Chine ne vient pas du Vatican, ni de l’extérieur ; il vient des catholiques chinois eux-mêmes.

Depuis que le catholicisme est arrivé dans le pays, que l’on remonte à la première présence chrétienne au VIIsiècle ou à l’histoire plus récente avec la venue des jésuites avec Matteo Ricci puis des ordres religieux à partir de la fin du XVIIsiècle, le christianisme et le catholicisme ont traversé beaucoup de difficultés, persécutions, troubles, et malentendus.

Même si les catholiques représentent un petit nombre, ils ont toujours gardé la foi, ils sont toujours parvenus à survivre et à continuer de professer leur foi. C’est ce qui continue d’arriver. Les dévotions traditionnelles catholiques (le Sacré Cœur, la figure du pape, la Vierge Marie, saint Joseph…) ont aidé les catholiques chinois à garder la foi. J’ai beaucoup d’admiration face à leur résilience quelles que soient les circonstances.

Mon espérance, c’est qu’en plusieurs lieux en Chine, il y ait toujours des villages catholiques qui maintiennent la foi, des jeunes qui gardent la foi en allant vivre dans les grandes villes, et des jeunes qui deviennent catholiques parce qu’invités par des amis ou à cause d’expériences de vie au cours de leurs études…

Tout cela me donne de l’espoir. Cela ne peut certainement pas venir de l’extérieur, mais d’au-dessus – de Dieu, nous croyons en l’action de l’Esprit Saint – et de l’intérieur – parce que j’ai remarqué que beaucoup de jeunes chinois veulent garder la foi. Ils refusent de l’abandonner pour des raisons idéologiques, qu’il s’agisse de problèmes d’ordre politique ou face à la sécularisation, qui est répandue dans le monde entier.

Quelles sont les relations entre la culture chinoise et le catholicisme, alors qu’on parle davantage de « sinisation » que d’inculturation… ?

L’inculturation, c’est exprimer la foi à travers la culture, le style de vie, la langue, les chants… Cette question a été un enjeu et un problème important durant les siècles derniers. Il y a ainsi eu la « querelle des rites » [qui a vu s’opposer différentes visions de la mission entre les ordres missionnaires jésuites, franciscains et dominicains aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles].

Cette histoire met en évidence la distance entre la foi catholique et la culture chinoise. C’est une relation difficile. Aujourd’hui, on peut dire qu’il n’y a pas une culture chinoise mais des cultures chinoises. Il y a la culture confucianiste traditionnelle, la culture taoïste, la culture bouddhiste… Puis le communisme est arrivé et aujourd’hui, il y a aussi une importante culture marxiste communiste.

Durant plusieurs décennies, l’objectif politique du parti communiste, en particulier durant la Révolution culturelle, a été de détruire les cultures chinoises traditionnelles. Parce qu’elles étaient vues comme la cause de la pauvreté. Le communisme athée a eu beaucoup d’influence. C’est pourquoi il est devenu difficile de voir les cultures et rites traditionnels – le culte des ancêtres, le culte des défunts, les festivités dans les temples… C’est plus visible à Taïwan par exemple.

Le confucianisme est une autre question : aujourd’hui, il est adopté par le parti communisme, mais il ne s’agit pas du confucianisme que l’on peut lire dans les livres classiques, mais plutôt d’une interprétation politique du confucianisme, qui devient un outil pour la gouvernance du parti communisme.

Enfin, il y a la politique de sinisation, qui signifie que tout doit devenir chinois avec des caractéristiques chinoises. Si vous chantez et que vous êtes musicien, votre musique doit avoir des caractéristiques chinoises ; si vous êtes artiste, votre art doit avoir des caractéristiques chinoises ; si vous êtes croyant, votre religion doit avoir des caractéristiques chinois ; si vous êtes catholique, vous devez avoir des caractéristiques chinoises.

Bien sûr, c’est un problème, à ne pas confondre avec l’inculturation qui est un processus théologique et ecclésial légitime que chaque catholique à travers le monde doit entreprendre. La sinisation est plutôt l’imposition d’une idéologie politique sur les croyants par le parti communiste.

Les relations entre le Saint-Siège et la Chine ont beaucoup évolué ces dernières années : est-ce positif ?

Tout d’abord, je dois rappeler ce que tout le monde sait. En 2018, il y a eu la signature de l’accord provisoire Chine-Vatican, renouvelé en 2022, puis à nouveau en 2024 pour quatre ans. Nous n’en connaissons pas les détails, qui sont secrets, mais nous savons qu’ils concernent la sélection et l’élection des évêques en Chine. C’est un bon accord, dans le sens où les évêques en Chine sont reconnus par le pape.

Ainsi, il n’y a plus d’Église dite « patriotique », parce que tous les évêques en Chine sont canoniquement reconnus. Donc la vie catholique en Chine est « sous la houlette » de l’Église catholique romaine. Je pense que c’est très positif, mais je dois dire qu’après sept années sous cet accord, il y a encore des difficultés. C’est pourquoi je pense que cet accord ne fonctionne pas aussi bien qu’il le pourrait.

Premièrement, près de 30 évêques dits « souterrains » ne sont pas encore reconnus par le gouvernement. On peut donc voir que cet accord n’est pas symétrique : le pape a reconnu tous les évêques chinois, même ceux qui venaient du gouvernement, mais jusqu’à ce jour, le gouvernement n’a pas reconnu les évêques « souterrains ».

Deuxièmement, une quarantaine de diocèses sont toujours sans évêque. Cet accord concernait la nomination des évêques, mais il y a trop de diocèses qui n’ont toujours pas d’évêque. On peut dire que les progrès sont très lents.

Par ailleurs, un accord ne veut pas dire qu’il y a la liberté pour l’Église en Chine. Les évêques chinois n’agissent pas comme les autres évêques : ils ne peuvent pas se rencontrer indépendamment des représentants de l’État, ils ne peuvent voyager à Rome de manière autonome pour rencontrer le pape… Je pense que c’est une grave ingérence. Bien sûr, il y a deux ans, deux évêques chinois ont participé au Synode, puis à nouveau l’an dernier : c’est une petite amélioration, mais c’est encore loin de ce dont nous avons besoin.

Enfin, le pape nomme les évêques, et c’est une évolution majeure. Mais on peut difficilement dire que le pape choisit les évêques ; je dirais qu’ils sont choisis et proposés au pape par des élections locales au sein d’un système où les autorités chinoises ont, selon moi, beaucoup d’influence. Ensuite, les noms sont proposés au pape pour qu’ils soient nommés, et ces nominations ne sont pas très visibles.

Le pape François ne cache pas son amour pour la culture chinoise. À son retour de Singapour, il avait exprimé son souhait de se rendre en Chine… Cela pourrait se concrétiser ?

Le pape François a exprimé plusieurs fois son désir de visiter la Chine. Il a aussi manifesté à de nombreuses reprises sa considération pour la civilisation et la culture chinoise. C’est bien sûr significatif, même si tout le monde reconnaît que la Chine est une grande civilisation.

Au cours de son pontificat, le pape a aussi envoyé de nombreux messages aux autorités chinoises. Quand il est allé en Mongolie, en Corée du Sud et à Singapour, il a toujours rappelé la proximité de ces pays avec la Chine. Chaque fois qu’il a survolé l’espace aérien chinois, il a saisi l’opportunité d’envoyer un message aux autorités et au peuple chinois.

Cependant, actuellement, je ne pense pas qu’un voyage en Chine soit possible pour ce pape. En dehors du fait qu’il est âgé et malade, je pense que les autorités chinoises ne sont pas prêtes pour le recevoir. La Chine devient de plus en plus orientée vers l’idéologie et la rhétorique du contrôle communiste sur tous les aspects de la vie chinoise : économie, culture, art, religion, finances, armée, diplomatie… Donc je trouve cela peu vraisemblable.

On peut toutefois rappeler qu’aucun pape n’a encore jamais visité Taïwan. Le pape n’a pas non plus visité Hong-Kong – Paul VI s’y est rendu en 1971, mais avec la loi sur la sécurité nationale introduite en 2020, c’est une ville différente aujourd’hui. Sur ces deux sujets, Hong-Kong et Taïwan, le Saint-Siège a très peu parlé ; sans doute pour garder la porte ouverte à un possible accord avec la Chine, qui permettrait de dépasser les difficultés actuelles, et aussi pour garder la possibilité d’une visite du pape en Chine.

(Propos recueillis par Ad Extra)

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