Pakistan : la hausse record des affaires de blasphème inquiète les responsables religieux
Mgr Sebastian Shaw, archevêque de Lahore, bénit un couple lors d’un mariage à Jaranwala, deux mois après les émeutes antichrétiennes d’août 2023. © UcanewsLe 05/11/2024
L’augmentation exponentielle des affaires et arrestations liées aux lois anti-blasphème inquiète les responsables religieux du Pakistan, majoritairement musulman et conservateur. Selon le dernier rapport de la Commission nationale pour les droits de l’homme du Pakistan (NCHR), le nombre de personnes arrêtées et emprisonnées au cours du premier semestre 2024 a été multiplié par trois par rapport à l’an dernier à la même période.
Le dernier rapport de la commission indépendante NCHR (Commission nationale pour les droits de l’homme du Pakistan), publié le 31 octobre, affirme qu’au 25 juillet, 767 personnes accusées de blasphème étaient emprisonnées à travers le pays. Le rapport ajoute que ce chiffre était de 213 en 2013, 64 en 2022, 9 en 2021 et 11 en 2020. L’étude est basée sur les enquêtes de la commission sur les affaires de blasphème entre octobre 2023 et 2024. Selon le rapport, c’est le Pendjab, la province la plus peuplée du Pakistan, qui compte le plus grand nombre d’emprisonnements (594), suivie par les provinces de Sindh (120), de Khyber Pakhtunkhwa (64) et du Baloutchistan (2).
Dans son rapport la commission constate que la plupart des affaires de blasphème sont enregistrées auprès de l’Unité anti-cybercriminalité de l’Agence d’investigation fédérale, en collaboration avec une « entité privée ». « Des jeunes hommes auraient été ciblés via des tactiques d’incitation impliquant des agents féminins utilisant des pseudonymes, afin de les pousser à des activités blasphématoires en ligne, aboutissant à leurs arrestations ultérieures », indique le rapport.
Le rapport de la commission a été précédé d’un autre rapport, publié en janvier dernier par la police du Pendjab, qui a révélé pour la première fois la présence d’un « gang blasphème » exploitant les lois anti-blasphème répressives du pays afin de piéger des victimes pour leur soutirer de l’argent.
« Beaucoup de cas de blasphème sont inventés »
Mgr Samson Shukardin, évêque d’Hyderabad (Sindh) et président de la Conférence épiscopale pakistanaise, a fait part de sa préoccupation face à cette augmentation record des affaires de blasphème et des arrestations. « Des personnes jeunes et innocentes sont piégées en ligne, et les deux communautés, chrétiennes et musulmanes, sont extrêmement inquiètes. Certains accusés se sont même plaints de conversions forcées à l’islam. L’implication de la cybercriminalité dans des affaires de blasphème ne fait que nuire à l’image de l’État », a-t-il déclaré. « Et au lieu d’agir, le gouvernement se préoccupe de luttes politiques. »
Muhammad Asim Makhdoom, musulman et président du Kul Masalik Ulema (un des différents conseils d’érudits musulmans ou « oulémas » au Pakistan), a réagi au rapport en demandant une enquête approfondie sur ces affaires de blasphème. « Malgré les directives du gouvernement, même les plus petits connétables continuent d’enregistrer des affaires de blasphème, même quand elles sont infondées. Beaucoup de cas de blasphème sont inventés. Ils attisent l’opinion publique et salissent le pays. L’État a le devoir de prévenir ces abus », a-t-il souligné.
« Les minorités religieuses ne se sentent pas en sécurité »
Le blasphème reste une question sensible dans le pays d’Asie du Sud, où beaucoup d’accusations enflamment l’indignation populaire et causent parfois des violences collectives, comme à Jaranwala en août 2023. Les blasphèmes contre l’islam et le prophète Mohammed constituent des crimes passibles de la peine de mort selon les lois pakistanaises. À ce jour, plusieurs centaines de personnes ont déjà été accusées et emprisonnées depuis l’existence de ces lois anti-blasphème, et certaines ont été condamnées à mort. Toutefois, personne n’a encore été exécuté.
Selon le rapport de la commission NCHR, ces dernières années, 89 personnes ont été lynchées après avoir été accusées de blasphème, dont quatre cette année. Le rapport appelle à « un examen approfondi » des rôles et de la responsabilité à la fois du gouvernement et des entités privées impliquées. Il souligne également des conditions carcérales « déplorables ».
Jaipal Chhabria, un responsable hindou et ancien membre de la Commission nationale pour les minorités (aujourd’hui suspendue), a quant à lui demandé une loi « protectrice » sur le blasphème. « Les minorités religieuses ne se sentent pas en sécurité. L’État doit assurer de poursuivre ceux qui sont impliqués dans des exécutions extrajudiciaires. »
(Avec Ucanews)