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Séoul, Tokyo, Taïpei et le spectre d’ajustements douloureux avec l’administration Trump 2.0

Donald Trump avec l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe et le président chinois Xi Jinping, en 2019 à Osaka, Japon. Donald Trump avec l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe et le président chinois Xi Jinping, en 2019 à Osaka, Japon. © The White House / Public domain (Wikimedia)
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Trois capitales asiatiques de premier plan, Tokyo, Séoul et Taïpei, alliées de longue date des États-Unis, restent hésitantes voire inquiètes face à l’investiture 2.0 de Donald Trump, ce lundi 20 janvier à la Maison Blanche. Pour le géopolitologue Olivier Guillard, ce nouveau chapitre présidentiel suscite de multiples interrogations non seulement à l’intérieur du pays mais dans le reste du monde, en particulier en Asie dans un contexte de tensions majeures, de la péninsule coréenne au détroit de Taïwan.

Alors que la capitale américaine célèbre fébrilement l’investiture 2.0 de Donald Trump, ce lundi 20 janvier à la Maison Blanche, une partie de la 3e population mondiale (340 millions d’habitants) accuse encore le coup de son succès électoral en novembre dernier. Si ce nouveau chapitre présidentiel suscite de multiples interrogations outre-Atlantique sur ses conséquences internes à court terme, il provoque également de véritables inquiétudes en dehors du pays.

En Asie-Pacifique notamment, et plus particulièrement auprès d’un trio de capitales de tout premier plan. À l’heure actuelle, Tokyo, Séoul et Taïpei ne savent pas précisément quelle position adopter à court terme avec la nouvelle administration, dont les premiers contours et le détail des individualités annoncées ne rassurent pas ces alliés stratégiques asiatiques de longue date. Qui plus est en ces temps difficiles et aux lendemains incertains – des portes orientales de l’Europe à la péninsule coréenne, en passant par le Moyen-Orient et le détroit de Taïwan.

Le cas de Taïwan

Arrêtons-nous sur le cas de Taïwan. Nul besoin de rappeler ici l’état dégradé des rapports de l’ancienne Formose avec la République populaire de Chine du président Xi Jinping, alors que ce dernier ne cesse de rappeler à Taïpei à chaque occasion la menace qui pèse sur son avenir – tel qu’il est perçu dans la capitale pékinoise.

Durant la mandature démocrate américaine qui s’achève, les rapports américano-taïwanais n’ont fait que se resserrer, forts du soutien et des convictions assumées du président sortant Joe Biden. Des rapports qui se sont trouvés consolidés à chaque nouvelle démonstration de force chinoise à proximité de l’île rebelle – à l’instar des manœuvres militaires massives effectuées par l’Armée populaire de libération (APL ; l’armée chinoise) en mai, octobre et décembre 2024.

Taipei, Taïwan (avril 2017).
Taïpei, Taïwan (avril 2017).
© rawpixel.com / CC0 1.0

Cela en dépit du fait que Washington adhère – comme la presque totalité des nations, à l’exception d’une douzaine d’États dont le Vatican – à la One China Policy chère à Pékin, laquelle implique automatiquement, entre autres conséquences, que Taïwan est une province chinoise comme une autre, sous l’autorité de la Chine continentale. Pour autant, sur la base du Taiwan Relations Act de 1979, posant le cadre des relations entre Washington et Taïpei, la première doit pourvoir à la défense de la seconde (par la livraison d’armes défensives, notamment) si d’aventure celle-ci venait à être attaquée par une nation tierce, comprenez en l’occurrence la Chine communiste.

Qu’en sera-t-il avec la nouvelle administration Trump ?

Ces quatre dernières années, à la satisfaction de leurs homologues taïwanais, les autorités américaines n’ont pas rechigné à exploiter cette piste, en autorisant notamment à 19 reprises la fourniture d’équipements militaires aux forces armées taïwanaises, soulevant à chaque annonce de ces accords la colère de Pékin. Mais qu’en sera-t-il avec la prochaine administration américaine ? Ces fournitures d’armes et de systèmes de défense seront-elles toujours aussi régulières et non conditionnées, alors même que Donald Trump a adressé une invitation au président chinois Xi Jinping pour assister en personne à son investiture (un fait sans précédent) ?

Les termes comptables de ces fournitures d’équipements US seront-ils les mêmes, ou risquent-ils à terme d’inclure des contreparties exorbitantes (par exemple au niveau de la volumétrie financière des acquisitions), de nature financière ou politique ? À Taïpei, sans oser exprimer ces craintes en public ouvertement, les observateurs qui redoutent quelque ajustement difficile et contraint (pour la partie taïwanaise) ne sont pas rares.

Séoul

L’inquiétude – à peine dissimulée tant elle est généralisée – prévaut également du côté de Séoul, par ailleurs tétanisé depuis le 3 décembre et la vaine tentative de déclaration de la loi martiale par le président Yoon. Ce dernier était déjà à bout de souffle politiquement, depuis le succès électoral de l’opposition aux législatives de juillet, sans compter les ondes de choc politiques et institutionnelles de sa tentative de coup de force (sans précédent depuis 1987) sur la 4e économie d’Asie et alliée stratégique majeure des États-Unis en Asie Pacifique. On peut rappeler ici la signature en octobre 1953, deux mois après l’armistice qui a mis fin à trois années de guerre meurtrière entre les deux Corées, du Traité de défense mutuelle entre les États-Unis et la République de Corée (Corée du Sud).

Les craintes sud-coréennes vis-à-vis du retour de Trump ne sont guère surprenantes. Lors de son premier mandat de quatre ans à la Maison Blanche, Donald Trump avait agité à dessein à plusieurs reprises le spectre préoccupant – presque menaçant – d’un éventuel retrait futur des 28 500 soldats US déployés en permanence sur le sol sud-coréen depuis 1953, si Séoul ne prenait pas à sa charge une part plus conséquente du coût comptable de cette présence militaire, ou encore si les autorités sud-coréennes se montraient trop peu dépensières pour ce qui est des achats d’armes et d’équipements militaires US.

Un destroyer américain entre dans le port de Donghae (province de Gangwon, Corée du Sud), mars 2010.
Un destroyer américain entre dans le port de Donghae (province de Gangwon, Corée du Sud), mars 2010. Crédit : Expert Infantry / CC BY 2.0

Des arguments frisant la grossièreté sinon l’imposition brutale, mais suffisamment crédibles pour que Séoul les intègre et y regarde de plus près. Ajoutez à cela les propos ces derniers mois du prédécesseur et successeur de Joe Biden relatifs à la Corée du Nord et aux extraordinaires rapports entretenus avec Kim Jong-un… En 2018 et 2019, alors président, Donald Trump avait en effet rencontré à plusieurs reprises son « homologue » nord-coréen, en zone démilitarisée (DMZ), puis à Singapour et une dernière fois à Hanoi (Vietnam) ; sans jamais toutefois parvenir à un accord substantiel. Sans compter les possibilités évoquées d’un possible accord américano-nord-coréen historique à venir (de quelle nature ?), qui se passerait de toute participation sud-coréenne… On mesure donc sans peine, dans ce pays déjà aux prises avec une crise politique d’une exceptionnelle gravité, toute l’amplitude de son appréhension.

Tokyo

De l’autre côté de la mer de l’Est (ou mer du Japon), les autorités nipponnes se font, elles aussi, un sang d’encre bien compréhensible – sans le verbaliser au grand jour là encore, bienséance diplomatique oblige –, redoutant comme leurs homologues taïwanais ou sud-coréens de devoir composer avec un exécutif américain aux contours atypiques faisant peu cas de l’étroitesse et de la sensibilité des rapports stratégiques tissés et renforcés sans relâche depuis 1945.

En ces terres orientales où la brusquerie et les mauvaises manières jettent mécaniquement l’opprobre sur leur auteur, où le respect de l’interlocuteur et des termes de l’échange sont gravés dans le marbre, la perspective d’être à nouveau exposé – sans pouvoir s’y soustraire – au diktat de l’allié stratégique US piloté ces quatre prochaines années par une gouvernanceparticulière alliant imprévisibilité, égocentrisme et rentabilité, n’enchante pas grand monde, mais inquiète beaucoup.

Loin d’être de simples suggestions, les « appels du pied » de la 1ère économie mondiale à la 4e économie mondiale à augmenter la part du PIB japonais dédié à la défense – pour mieux en faire profiter l’industrie de défense américaine – ne sont pas pris à la légère dans l’empire du Soleil Levant, où la puissante US Army déploie à travers l’archipel une cinquantaine de milliers d’hommes, pour un coût financier rédhibitoire pour le contribuable américain selon Donald Trump.

Lequel ne fait pas mystère de sa préférence pour un retour des boys sur le sol US. Une perspective que le gouvernement nippon préfère ne pas concevoir alors que les relations avec Pékin restent empruntes de tension et de fragilité (malgré des rapports commerciaux approchant les 300 milliards de dollars US en 2023, selon les Nations unies) et que la menace multiforme nord-coréenne (notamment balistique et nucléaire, entre autres) n’a rien perdu de son actualité. En effet, en plus de Séoul et de Washington, Pyongyang n’épargne généralement guère Tokyo, loin s’en faut ; à l’instar du tir d’un IRBM hypersonique nord-coréen en direction de la mer du Japon ce lundi 6 janvier 2025.

(Ad Extra, Olivier Guillard)