Inde

Le pèlerinage hindou de la Kumbh Mela, le plus grand rassemblement religieux de la planète

Le plus grand rassemblement religieux au monde, la Kumbh Mela (ici en 2019 à Prayagraj – Allahabad –, Uttar Pradesh, avec le Shastri Bridge en arrière-plan). Le plus grand rassemblement religieux au monde, la Kumbh Mela (ici en 2019 à Prayagraj – Allahabad –, Uttar Pradesh, avec le Shastri Bridge en arrière-plan). © Michael T Balonek / CC BY-SA 4.0
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Dans le nord de l’Inde, le pèlerinage hindou de la « Kumbh Mela » a débuté en début de semaine au confluent de fleuves sacrés, dans la ville sainte d’Allahabad (Uttar Pradesh), rebaptisée Prayagraj en 2018. Près de 400 millions de personnes sont attendues pour ce rassemblement démesuré qui se déroule jusqu’au 26 février et devrait battre tous les records d’affluence.

Dans une clameur religieuse et festive, le coup d’envoi de la Kumbh Mela a été donné ce lundi 11 janvier, avec les premiers bains rituels dans la ville de Prayagraj, en Uttar Pradesh, un État du nord de l’Inde. Ces immersions de masse se déroulent dans les eaux au confluent des fleuves sacrés du Gange, de la Yamuna et de la Sarasvati. Selon la croyance hindoue, les ablutions permettent aux pèlerins de laver leurs péchés, mais aussi de se libérer du cycle des réincarnations.

Dans une Inde de plus d’1,4 milliard d’habitants, ce rendez-vous hors-norme promet d’atteindre des records d’affluence. Les « Kumbh Mela » ont lieu tous les quatre ans, dans un cycle plus propice encore tous les douze ans, auquel appartient l’édition actuelle. En 2019, les célébrations avaient attiré 240 millions de visiteurs. Cette année, la Kumbh Mela, qui se déroulera jusqu’au 26 février, devrait en réunir 400 millions. Les autorités indiennes saluent le « plus grand événement humain » au monde et le plus « grand acte de foi collectif ». Depuis 2017, ce pèlerinage est par ailleurs inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Durant quarante-cinq jours, la « Kumbh Mela » a pour décor une ville historique, baptisée Allahabad au XVIe siècle par l’empereur moghol Akbar. En 2018, ces racines musulmanes ont été effacées par les autorités nationalistes hindoues, au pouvoir à la fois à New Delhi et en Uttar Pradesh. La ville a pris le nom de Prayagraj, dans une stratégie politique visant à imposer l’hégémonie hindoue en Inde. C’est dans cette ville que se rejoignent les fleuves du Gange, de la Yamuna et de la Saraswati, dans une confluence sacrée aux yeux des hindous, appelée le « Sangam ».

La fête hindoue de Kumbh Mela, le plus grand rassemblement religieux au monde, a débuté ce lundi 13 janvier et doit durer jusqu’au 26 février.
La fête hindoue de Kumbh Mela, le plus grand rassemblement religieux au monde, a débuté ce lundi 13 janvier et doit durer jusqu’au 26 février. Crédit : Needpix.com / Public domain

Le pèlerinage est une expérience à la fois spirituelle et festive

La Kumbh Mela, « foire de la cruche sacrée », trouve son origine dans les récits fondateurs de l’hindouisme. D’après la légende, les dieux et les démons se sont affrontés dans la quête de la cruche (kumbh) contenant le nectar de l’immortalité (amrit). Des gouttes tombèrent sur les fleuves à Prayagraj, Haridwar, Ujjain et Nashik. C’est ainsi que ces villes accueillent tour à tour les célébrations de la Kumbh Mela. Prayagraj est considéré comme le pèlerinage suprême du calendrier hindou, qui a lieu tous les douze ans, à des dates fixées par les astrologues. Cette année, le pèlerinage de Prayagraj bénéficie d’un alignement céleste qui ne se produit qu’une fois tous les 144 ans.

Durant ce grand festival, chaque jour, des millions de religieux et de visiteurs hindous se pressent sur le rivage sablonneux de Prayagraj pour s’immerger dans les eaux sacrées, au rythme des incantations, des coups de sifflet des policiers et des annonces des haut-parleurs invitant à rejoindre les pontons flottants. Dans la clameur, les tambours et les processions, le pèlerinage est une expérience à la fois spirituelle et festive.

Pour les familles qui ont fait le déplacement, l’humeur est joyeuse. Reconnaissables à leurs drapés safran, la couleur de l’hindouisme, les religieux et les ascètes hindous attirent l’attention, en particulier les célèbres « sadhus » issus des 13 « akharas », les grandes sectes monastiques de l’hindouisme. Les scènes saisissantes de leurs bains sacrés attirent également les photographes du monde entier, notamment lors de la parade des Naga Sadhus, hommes nus qui se couvrent le corps de cendres en signe de renoncement, et qui a eu lieu le deuxième jour. Lors des éditions précédentes, la présence inédite d’une congrégation transgenre, la Kinnar Akhara, avait été remarquée, et des femmes ascètes avaient eu le droit de se baigner pour la première fois aux côtés des hommes saints.

La logistique démesurée de la Kumbh Mela relève de l’exploit

Afin d’éviter les mouvements de foule incontrôlés, les pèlerins sont répartis en groupes et doivent respecter un temps d’immersion imposé. Les sectes d’ascètes sont également soumises à des créneaux horaires. Pour ce rassemblement d’une ampleur inédite, les autorités indiennes assurent avoir mis en place une sécurité exceptionnelle. Près de 40 000 policiers sont déployés pour contrôler les foules et encadrer l’ensemble de la manifestation à travers la ville et son campement géant.

Les policiers sont notamment déployés aux intersections, afin de prévenir les bousculades et d’orienter les visiteurs égarés. En 2013, 36 personnes étaient mortes dans une bousculade à la gare ferroviaire et, en 1954, près de 500 morts avaient été déplorés, à la fois par noyades et en raison de la charge d’un éléphant sur la foule. Cette année, la police indienne a prévu « une sécurité maximale » durant les six semaines du rassemblement.

Au service d’une religion sans clergé officiel, la logistique démesurée de la Kumbh Mela relève de l’exploit. Par comparaison, l’été dernier, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris n’ont accueilli qu’une dizaine de millions de visiteurs, tandis que 400 millions de personnes sont attendues à Prayagraj. En six jours seulement, 70 millions d’entre eux ont déjà accompli le bain sacré.

Pour gérer ces foules, plus de 13 000 trains sont prévus pour faire converger visiteurs et pèlerins à Prayagraj. Sur place, un campement de tentes de toile et de bambou s’étend sur plus de 4 000 hectares. Cette gigantesque ville provisoire est dotée de 150 000 toilettes, 68 000 lampadaires et 25 000 poubelles. Elle abrite des marchés, des restaurants, des hôpitaux, des banques, des casernes et des postes de police, avec accès à l’eau potable et à Internet.

Le département de la santé a déployé plus de 200 appareils brumisateurs qui permettent d’éradiquer les moustiques et les mouches. Les innovations numériques apportent un soutien logistique, de l’application « Kumbh Mela » pour aider les pèlerins à naviguer dans le dédale du campement, à un système de traduction en 11 langues pour les questions logistiques et spirituelles. Une application de livraison permet de recevoir des besoins urgents au sein même du campement.

Une représentation spectaculaire de l’une des plus anciennes religions du monde

Pour résoudre le problème récurrent des pèlerins qui s’égarent ou se séparent, un bracelet permet de localiser les « disparus ». 2 700 caméras de surveillance et des centaines de drones ont aussi été déployés pour surveiller la sécurité et les mouvements. Innovations, aménagements, infrastructures et affluence, tout est toujours plus grand à chaque nouvelle édition de la Kumbh Mela depuis deux décennies. Cette logistique a un coût : le budget de la Kumbh Mela 2025 est estimé à 1,4 milliard d’euros. Mais il génère des bénéfices importants et, sur place, un commerce rentable.

À l’écart des rives sacrées, la ville éphémère vit au rythme de ses activités, entre foire mercantile et quête spirituelle. Au son des musiques pieuses, des vendeurs d’ouvrages, de talismans et de souvenirs tapissent les abords des allées. Riches et pauvres se croisent, des simples pèlerins éreintés marchant à pied aux opulents gourous, « VIP » et politiciens qui se déplacent dans de grosses voitures.

Rompant l’isolement de leurs ashrams, les sâdhus reçoivent les pèlerins qui leur présentent des offrandes. Sous les tentes, des hommes saints à dreadlocks fument des chillums gorgés de marijuana. Les « akharas », grandes sectes de l’hindouisme, déploient quant à elles leur grandeur pour attirer les adeptes, conduire des cérémonies initiatiques ou gérer leur marketing religieux. Au XXIe siècle, la Kumbh Mela reste une représentation spectaculaire de l’une des plus anciennes religions du monde.

Cette année, l’événement se teinte également de politique. Si la presse indienne ne tarit pas d’éloges sur l’exploit logistique et l’ampleur du pèlerinage, d’autres soulignent une utilisation politique de l’image de l’événement par les nationalistes hindous qui dirigent l’Inde. Le Premier ministre Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014, a quant à lui souligné que la « Kumbh Mela 2025 » réunissait « une masse innombrable de gens en une confluence sacrée de foi, de dévotion et de culture » et incarnait « l’héritage spirituel éternel de l’Inde ». Le symbole de la Kumbh Mela est fort et représente indéniablement une opportunité d’asseoir l’influence et l’idéologie des nationalistes hindous.

(Ad Extra, A. B.)