Japon : le nombre de suicides augmente parmi les mineurs, « victimes de pression sociale » selon un missionnaire

Le 07/02/2025
Le nombre de suicides parmi les mineurs japonais est en hausse selon les nouveaux chiffres publiés par le ministère de la Santé et du Bien-être. Les premières données sur l’année 2024 indiquent 20 268 suicides dans le pays (13 763 hommes pour 6 505 femmes), soit une baisse globale de 1 569 par rapport à 2023. Malgré cette baisse globale, 527 mineurs se sont donné la mort au Japon l’an dernier, soit 14 de plus qu’en 2023, et au-dessus du record de 514 atteint en 2022. Les lycéens (349) représentent presque 70 % de ce chiffre.
Malgré un déclin national du taux de suicide au Japon, le nombre de mineurs qui se sont donné la mort augmente dans le pays d’Asie de l’Est, avec 527 cas l’an dernier, soit 14 de plus qu’en 2023, quand le chiffre était de 513. En 2024, dans la majorité des cas (349), les victimes étaient des lycéens, mais 15 cas ont été signalés au primaire. De plus, le nombre de filles parmi les cas de suicide est en hausse (288). Un représentant du ministère de la Sante, du Travail et du Bien-social a parlé d’une situation « sérieuse », soulignant le besoin d’étudier davantage la question afin de comprendre les causes profondes derrière la détresse des jeunes.
Selon le père Marco Villa, un prêtre de la société missionnaire italienne PIME et basé depuis 2009 dans le diocèse de Saitama (une mégalopole peuplée de plus d’un million d’habitants, en banlieue de Tokyo), la hausse des suicides dans le pays peut s’expliquer par différents facteurs. « Les enfants sont de plus en plus seuls à la maison, et ils ressentent la pression de devoir exceller par leurs propres moyens », explique-t-il. « La compétition est rude dans les salles de classe, et le harcèlement scolaire continue d’être un fléau, même si c’est de manière moins ouverte et visible. Dans presque toutes les salles de classe, il y a un ou deux élèves en décrochage scolaire. »
Les chiffres officiels d’un rapport de 2023 indiquent que 415 252 mineurs refusaient de se rendre à l’école. Depuis 2012, le père Marco Villa a coordonné le centre social de Mizu Ippai, qui offre son soutien aux hikikomoris, ceux qui se renferment et se coupent de la société pour vivre dans la solitude. « Dans notre centre, nous n’avons pas beaucoup de mineurs, mais certains viennent. Je pense au cas d’une fille ; elle a cessé de sortir de chez elle alors qu’elle était encore en primaire, parce que d’autres filles la harcelaient à cause de son apparence physique. Heureusement, son histoire a eu une issue heureuse et aujourd’hui elle va bien. »
Une société où l’individu a moins d’importance que la communauté
À travers le Japon, les suicides ont diminué pour atteindre 20 268 cas en 2023 (sur 126 millions d’habitants), soit un des chiffres les plus faibles jamais enregistrés dans le pays (depuis le début des statistiques en 1978). « C’est assez courant, pour certaines familles, d’avoir un membre souffrant d’une forme de détresse mentale ou psychologique. Souvent, seuls des traitements pharmacologiques sont offerts. Les thérapies sont très coûteuses, donc les gens se retrouvent souvent à devoir porter cette croix dans la solitude. »
Par ailleurs, le missionnaire signale que l’isolement est enraciné dans la culture asiatique, où l’individu a moins d’importance que la communauté. « Des gens ont donc tendance à se renfermer – c’est aussi la signification du mot ‘hikikomori’ –, afin de ne pas être un poids pour les autres. La morale sociale pèse toujours lourdement au Japon », explique-t-il. « Les lieux où se rencontrent les jeunes semblent disparaître à l’âge adulte, quand les gens rejoignent la vie active et doivent se confronter à une société très rigide. »
Le plus grand défi pour un centre comme Mizu Ippai, où le père Villa coordonne un groupe de volontaires, est de repérer les situations difficiles. « Si les jeunes ont une famille solide derrière eux, parfois, ce sont les parents qui prennent contact avec nous ou les services sociaux. Mais quand les gens s’enferment dans une pièce, c’est difficile de les en faire sortir. Dans la grande majorité des cas, ceux qui viennent à nous ont été diagnostiqués avec une forme de détresse psychologique. »
Le père Marco et les volontaires sont toujours présents au centre. « Ceux qui viennent au centre sont libres de venir quand ils veulent. Actuellement, on peut dire que nous avons environ 60 visiteurs réguliers. Toutefois, ce serait beaucoup dire que les volontaires et les visiteurs deviennent amis. »
Pour le missionnaire, le but de son travail est de permettre aux visiteurs d’échapper aux pressions. « Ils ne veulent pas parler de leurs problèmes, ils veulent juste passer du temps en dehors de chez eux. Nous leur consacrons du temps et nous leur offrons l’opportunité d’échanger. Nous essayons de créer un lieu où les gens peuvent faire un premier pas pour retrouver à nouveau une vie normale, où ils peuvent passer du temps sans se sentir mal à l’aise. »
L’Église peut contribuer à prévenir les suicides au Japon
Le journaliste Cristian Martini Grimaldi, basé à Tokyo, estime que dans ce contexte, l’Église, avec des siècles d’expérience d’aide humanitaire, d’accompagnement et de soutien communautaire, peut jouer un rôle crucial. Pourtant au Japon, la communauté chrétienne reste marginalisée, en partie à cause de l’image qui persiste d’une institution assimilable à une secte, plutôt que celle d’un pilier d’aide sociale fiable.
« En s’engageant de manière plus ouverte auprès de la société japonaise – en proposant des programmes d’intervention de crise, des conseils en santé mentale et des refuges sûrs pour les personnes vulnérables –, l’Église peut contribuer à combler les manques laissés par les institutions publiques », assure-t-il, en estimant toutefois que les jugements profondément enracinés de l’opinion publique restent une barrière significative.
Le journaliste évoque l’histoire récente d’un homme qui s’est jeté d’un pont avec sa fille de 5 ans dans les eaux froides d’un lac de Shimokitayama, un village de la préfecture de Nara. Alors que la police a conclu à un suicide-meurtre, accusant le père de manière posthume de la mort de sa fille, Cristian Grimaldi évoque des causes plus profondes derrière ce drame : « C’est l’histoire d’un père qui a appelé à l’aide, en vain, d’une société qui pouvait les sauver mais qui a détourné le regard. Cela nous force à nous confronter avec des questions qui dérangent, sur la manière dont nous traitons les plus fragiles parmi nous. »
Il affirme que le drame aurait été évitable par l’intervention du centre de protection de l’enfance que le père avait cherché à contacter, de ses parents âgés qui avaient minimisé les problèmes de leur fils ou de son entourage (voisins, connaissances…). « Les actions du père n’étaient pas celles d’un tueur de sans froid mais d’un homme se noyant dans le désespoir. La réponse du centre qu’il avait contacté s’est limitée à des appels téléphoniques », poursuit-il. « Mais au-delà des échecs des institutions qui auraient pu intervenir, le rôle de l’indifférence sociétale ne peut pas non plus être ignoré. C’est emblématique d’une question plus large qui touche tout le système social japonais. Dans une société qui met souvent l’accent en priorité sur l’autonomie et le stoïcisme, ceux qui sont en difficulté sont souvent livrés à eux-mêmes. »
Le journaliste explique que « dans une culture où les problèmes personnels restent privés, demander de l’aide est vu comme un signe de faiblesse, et offrir de l’aide est souvent considéré comme intrusif ». « Cette indifférence collective crée un environnement où des individus se sentent invisibles et désespérés. Cette tragédie devrait servir d’alerte pour le Japon et toutes les sociétés à travers le monde. Elle évoque un besoin urgent de protections sociales plus solides, de meilleures ressources psychologiques, et d’un basculement culturel vers une responsabilisation collective. »
(Avec Asianews et Ucanews)