Bangladesh

Bangladesh : l’influence croissante des courants radicaux

Des étudiants d’une madrassa (école religieuse) manifestent à Dhaka. Des étudiants d’une madrassa (école religieuse) manifestent à Dhaka. © Soman / CC BY-SA 3.0
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En moins de deux semaines, c’est le troisième match de football féminin qui a dû être annulé face aux protestations islamistes dans le nord rural bangladais. Ces incidents mettent en lumière l’influence croissante des courants radicaux depuis la chute en août de la Première ministre Sheikh Hasina, qui tenait le pays d’une main de fer. Si la société pratique un islam modéré et défend des valeurs laïques, les inquiétudes grandissent face à la résurgence de l’extrémisme dans une nation aujourd’hui dirigée par un gouvernement intérimaire.

Dans l’après-midi du jeudi 6 février, un match de football opposant des équipes féminines issues de deux districts du nord du Bangladesh a été interrompu par les manifestations de fondamentalistes islamistes. La scène s’est déroulée sur le terrain d’une école secondaire de Taraganj, dans la région de Rangpur. Craignant des débordements, la police a dû intervenir pour disperser les foules et a demandé aux jeunes joueuses de rentrer chez elle pour leur propre sécurité. « J’étais frustrée et effrayée. Nous n’avions jamais fait face à une telle situation auparavant », a commenté Asha Roy, l’une des joueuses âgée de 17 ans et interviewée par le média britannique BBC.

Les perturbateurs appartenaient au groupe radical Islami Andolan Bangladesh (Mouvement islamique du Bangladesh). Ses représentants ont qualifié le tournoi d’« anti-islamique ». « Si les femmes veulent jouer au football, elles doivent couvrir tout leur corps, et elles ne peuvent jouer qu’en présence de spectatrices. Les hommes ne peuvent pas les regarder jouer », a déclaré à la BBC Maulana Ashraf Ali, le leader local de l’Islami Andolan Bangladesh, qui a prôné une application stricte de la loi islamique au Bangladesh.

Une période transitoire qui favorise la résurgence des groupes radicaux

Le Bangladesh, qui abrite la quatrième population musulmane la plus importante au monde, traverse une transition politique délicate depuis la chute, en août dernier, du gouvernement autoritaire de Sheikh Hasina. Une administration intérimaire tient les rênes du pays en attendant la tenue d’élections nationales.

Mais cette période transitoire, où la liberté d’expression est davantage tolérée, donne aussi aux groupes radicaux, qui étaient réprimés par le pouvoir, l’opportunité de revenir sur le devant de la scène. Les analystes et observateurs alertent sur la recrudescence de ces velléités fondamentalistes. Ainsi, ce match de football féminin était le troisième à être annulé dans le nord du Bangladesh en moins de deux semaines, en raison des objections de ces islamistes radicaux.

Le 29 janvier, à Joypurhat, un match amical de football féminin opposant l’équipe locale à celle de la ville voisine de Rangpur a également été empêché par des manifestations d’islamistes radicaux. Cette fois, les étudiants d’une madrassa, école religieuse, ont vandalisé le lieu de la rencontre sportive. « Les islamistes de notre région se sont rassemblés dans un champ et ont marché en direction du lieu de la rencontre. Il y en avait des centaines », a alors déclaré Samiul Hasan Emon, l’organisateur du tournoi, à l’agence de presse AFP.

« La situation a empiré et nous avons dû annuler l’événement. » L’agence a également cité les propos d’Abu Bakkar Siddique, le directeur de la madrassa locale et l’un des agitateurs, affirmant que le football féminin était « anti-islamique » : « Il en va de notre devoir religieux d’arrêter toute chose allant à l’encontre de nos croyances. »

La veille, un autre incident s’est déroulé dans la ville voisine de Dinajpur, après une manifestation similaire d’islamistes qui étaient cette fois armés de bâtons. Le match a été suspendu une demi-heure avant le coup d’envoi. « Nous avons dû déplacer rapidement les filles vers un endroit plus sûr », a relaté à la presse l’enseignant Moniruzzaman Zia. Des affrontements ont éclaté entre les manifestants islamistes et les contre-manifestants, et les deux groupes se sont jeté des briques. Le responsable des autorités locales, Amit Roy, a confirmé que quatre personnes avaient été blessées dans cette irruption de violence.

« C’est la première fois que nous faisons face à une telle situation »

Pour sa part, la Fédération de football du Bangladesh a rapidement condamné ces incidents, soulignant le droit des femmes à participer au sport. « Le football est pour tout le monde, et les femmes ont tous les droits pour y participer », a déclaré le responsable des médias de la fédération, Sadman Sakib, dans un communiqué.

Le Bangladesh a ainsi longtemps encouragé la représentation des jeunes filles dans le sport, leur offrant aussi une perspective de sortir de la pauvreté. Une équipe féminine nationale de football a brillé au cours de ces dernières années dans des championnats en Asie du Sud, offrant un modèle et un espoir à des milliers de jeunes filles bangladaises. « J’ai emmené l’équipe à de nombreux tournois au cours de ces sept dernières années, mais c’est la première fois que nous faisons face à une telle situation », a déclaré Nurul Islam, l’entraîneur de cette équipe nationale, à la BBC.

Ces tensions surviennent dans un contexte de regain de confiance des groupes islamistes du Bangladesh, après des années de répression. L’interdiction du plus grand parti islamiste du pays, le Jamaat-e-Islami, a été levée par le gouvernement intérimaire. Dans la vague des libérations d’opposants à l’ancien régime, qui étaient détenus arbitrairement, des individus entretenant des liens avec des groupes extrémistes sont également sortis de prison.

Certains d’entre eux étaient même impliqués dans la série d’attaques sanglantes qui, il y a dix ans, avaient ciblé des blogueurs laïcs, des athées, des minorités et des étrangers. L’épisode le plus violent avait été, en 2016, l’assaut du café Holey Artisan Bakery par des djihadistes armés, dans un quartier aisé de Dhaka, qui avait fait 20 morts dont 17 étrangers.

Aujourd’hui, les groupes islamistes sont accusés de s’en prendre aux minorités religieuses, notamment aux sanctuaires soufis, ou encore de vouloir contrôler les comportements de la société en public, et d’interférer lors d’événements qu’ils jugent offensants ou blasphématoires à l’égard de leur interprétation de la religion.

(Ad Extra, A. B.)