Corée du Sud

Corée du Sud : rien ne favorise le retour de la sérénité au « pays du Matin calme »

Près de 44 millions d’électeurs sud-coréens seront invités à voter le 3 juin, pour ce qui sera la 9e élection présidentielle de l’histoire moderne du pays d’Asie orientale. Près de 44 millions d’électeurs sud-coréens seront invités à voter le 3 juin, pour ce qui sera la 9e élection présidentielle de l’histoire moderne du pays d’Asie orientale. © Archidiocèse de Séoul / Facebook
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Avec la destitution de son président, la Corée du Sud entre dans une période d’incertitude politique. La décision de la Cour constitutionnelle du 4 avril, mettant fin au mandat de Yoon Suk-yeol après sa brève tentative d’imposer la loi martiale, ouvre la voie à une présidentielle anticipée le 3 juin. À moins de deux mois du scrutin, le pays affronte une double pression selon le géopolitologue Olivier Guillard, entre un paysage intérieur fracturé et un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Au sud du 38e parallèle, l’interminable procédure de destitution visant le président Yoon (pour son initiative éphémère et vaine d’imposer la loi martiale début décembre) s’est conclue sans trop de remous ce vendredi 4 avril. Malgré tout, les 51 millions de Sud-Coréens n’en sont pas pour autant quitte avec la fébrilité politique domestique de ces derniers mois.

En effet, en confirmant la destitution du chef de l’État Yoon Suk-yeol (entré en fonction en 2022), la Cour constitutionnelle rappelle que selon la lettre de la Constitution, un scrutin présidentiel anticipé doit impérativement être organisé dans les 60 jours suivants le rendu de son verdict.

Dès lors, les 44 millions d’individus inscrits sur les listes électorales sont invités à se rendre aux urnes le 3 juin, pour ce qui sera la 9e élection présidentielle de l’histoire moderne de cette nation d’Asie orientale. Celle-ci a fait le choix de la démocratie à la fin des années quatre-vingt (à la grande différence de l’imprédictible et défiante République populaire démocratique de Corée, la dictature héréditaire kimiste du Nord).

Aussi, quoiqu’éreintée par les soubresauts de ces quatre derniers mois, nés de la douteuse initiative (heureusement inaboutie) de l’ex-président Yoon Suk-yeol, la population de la 12e économie mondiale demeurera par nécessité immergée (a minima) ces huit prochaines semaines dans une pesante atmosphère préélectorale.

Les principales formations politiques telles que le People Power Party (PPP, le parti de l’ex-président Yoon) et le Democratic Party (DP, principale formation de l’opposition, majoritaire à l’Assemblée nationale) embrayent sans avoir le temps de se poser trop de questions sur l’organisation de primaires pour désigner le candidat représentant le parti au scrutin du 3 juin. Sans compter le lancement, à compter du 12 mai, d’une bien courte campagne électorale, qu’il s’agira de mener tambour battant, avec optimisme ou fatalité selon le camp considéré.

4 sondés sur 5 approuvent la destitution de l’ex-président

Ainsi en est-il du parti présidentiel (PPP) sortant assez mal en point du maelström politico-institutionnel et de la posture jusqu’au-boutiste de Yoon (4 sondés sur 5 approuvent la décision de la Cour constitutionnelle destituant le président), que les instituts de sondage donnent pour l’heure perdant.

Pourtant, ce scénario de probable revers électoral ne rebute guère les postulants à la fonction suprême, le DPP comptant déjà une demi-douzaine de candidats engagés dans la primaire… Par ailleurs, la presse de Séoul laisse entendre ces derniers jours que la justice s’intéresse – à nouveau[1] – de (très) près à la désormais ex-First lady Kim Keon-hee (pour violation de la loi électorale), soupçonnant l’épouse du président destitué d’ingérence dans les nominations de candidats à l’Assemblée nationale.

A priori, à une cinquantaine de jours du scrutin, les augures présidentiels semblent plus favorables au Democratic Party et notamment à son ancien président Lee Jae-myung (qui échoua de peu lors du scrutin présidentiel de 2022 face à Yoon, avant d’être victime d’une tentative d’assassinat en janvier 2024). Lee a à nouveau fait acte de candidature et se trouve actuellement en tête des sondages d’opinion. Tout récemment blanchi par la justice (pour infraction à la loi électorale), il est crédité de bonnes chances de succès.

En amont du verdict du 4 avril de la Cour constitutionnelle, nombre d’observateurs craignaient une possible vague de colère populaire en réaction à la décision de la justice – quelle qu’elle soit – sur la destitution du président Yoon, estimant que le verdict ferait nécessairement de nombreux, chez les sympathisants du chef de l’État (DPP) ou dans le camp de ses adversaires favorables à sa destitution.

Une semaine après la confirmation de la fin de carrière politique de l’ancien procureur général Yoon (2019 à 2021), le chaudron politique sud-coréen demeure certes nécessairement quelque peu agité – alors que se dessine une importante échéance politique nationale avec le scrutin présidentiel du 3 juin. Mais il reste loin de l’ébullition redoutée par certains. Souhaitons que cela reste ainsi jusqu’à l’ouverture des bureaux de vote et le dépouillement des bulletins dans deux mois.

Le 2 avril dans l’île de Gyodong, près de la frontière nord-coréenne, des évêques sud-coréennes prient pour la paix.
Le 2 avril dans l’île de Gyodong, près de la frontière nord-coréenne, des évêques sud-coréennes prient pour la paix.
© Catholic Times of Korea

Une actualité régionale et internationale de plus en plus tendue

Dans les rues de Séoul, de Daejeon, de Busan ou de Jeju, on fait humblement remarquer aux visiteurs que si la scène domestique a certes été accaparée depuis décembre par une série de mélodrames politiques, le pays n’a pas non plus été épargné par une actualité régionale et internationale tout aussi tumultueuse. Ainsi, rien qui ne favorise le retour d’une sérénité intérieure pourtant désirée par une majorité de Sud-Coréens.

Le 8 avril, notamment, était signalée la (brève) incursion d’une dizaine de soldats nord-coréens au-delà la Demilitarized Zone (DMZ) séparant le Nord et le Sud. Elle avait été précédée, en janvier et en mars, par plusieurs tirs de missiles balistiques nord-coréens en direction de la mer Jaune et de la mer de l’Est. Par ailleurs, toujours le 8 avril, Séoul s’est une fois de plus crispé avec le Japon au sujet de la souveraineté des îles Dokdo et Takeshima, ces « rochers » en mer de l’Est (mer du Japon) que se disputent de longue date les deux pays.

Sans oublier le présent et surtout le futur (incertain) des relations avec l’allié stratégique américain – du 10 au 15 mars dernier était organisé l’exercice militaire conjoint annuel appelé Freedom Shield 2025. Près de 30 000 soldats américains se trouvent stationnés en permanence sur le territoire sud-coréen. Cependant, l’administration Trump 2.0. presse Séoul (comme Tokyo et Taipei, entre autres capitales asiatiques) de revoir à la hausse très significativement le budget de la défense nationale (pour notamment se fournir en coûteux systèmes d’armes modernes auprès de l’industrie de défense américaine, et ainsi alléger pour le contribuable américain le coût annuel du déploiement de ses soldats au sud du 38e parallèle).

Naturellement, il faut aussi compter sur les conséquences de la très agressive politique commerciale américaine et son tourbillon changeant de droits de douane orientés à la hausse. Pour rappel, en 2024, le volume des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et les États-Unis frôlait les 200 milliards de dollars US, avec un très important surplus commercial (de l’ordre de 65 milliards dollars US) profitant à l’économie sud-coréenne.

Une situation comptable depuis lors dénoncée dans les termes que l’on devine par le nouveau locataire de la Maison Blanche, dont les mots forts, l’imprévisibilité et les passages en force se marient assez mal avec l’approche plus feutrée prévalant généralement au « pays du Matin calme ».

(Ad Extra, Olivier Guillard)


[1]  En 2022, accusation de plagiat pour sa thèse de doctorat ; en 2023, implication (avant d’être blanchie) dans une affaire de manipulation boursière. En 2024 enfin, affaire médiatique du coûteux « sac Dior » reçu par la première Dame.

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