Cambodge

50 ans après Pol Pot, le 17 avril est un jour que les Cambodgiens préféreraient oublier

Hin Meng, qui a perdu sa famille durant les années Khmers Rouges : « Nous avons vécu l’enfer. J’ai creusé des digues et j’ai transporté de la terre, parfois à mains nues. » Hin Meng, qui a perdu sa famille durant les années Khmers Rouges : « Nous avons vécu l’enfer. J’ai creusé des digues et j’ai transporté de la terre, parfois à mains nues. » © Vicheka Kol / Ucanews
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Les commémorations des débuts de la tragédie de « l’Année Zéro » devraient être célébrées discrètement au Cambodge. Plutôt que la date du 17 avril 1975, qui marque le 50e anniversaire de l’entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh, le Parti du peuple cambodgien (PPC), au pouvoir depuis l’invasion vietnamienne de 1979, préférerait que la nation se souvienne du jour où ils ont été chassés de la capitale, le 7 janvier 1979. Le journaliste Luke Hunt revient sur ces événements aux côtés de plusieurs rescapés et experts.

Le 17 avril 1975, les célébrations annonçant la prise de contrôle du Cambodge par les communistes ont vite tourné à l’horreur lorsque les Khmers Rouges ont imposé leur redoutable politique de l’année zéro basée sur l’idéologie agraire, qui a entraîné la mort d’environ un tiers de la population et l’effondrement d’une nation en moins de quatre ans.

Dirigés par Pol Pot et Nuon Chea, les ultra-maoïstes soutenus par la Chine sont entrés dans Phnom Penh et ont ordonné presque immédiatement l’évacuation de la ville, sous le prétexte fallacieux que les États-Unis étaient sur le point de la bombarder. Hin Meng, 64 ans, se souvient : « Tout le monde criait de joie et nous avons fait la fête ensemble. Je ne savais pas qu’ils nous forceraient à travailler si dur et même à mourir de faim. »

La cathédrale catholique a été démolie, toutes les religions ont été abandonnées, les musulmans ont été contraints de manger du porc, et des politiques telles que l’abandon de l’argent, les mariages forcés et les génocides contre les Vietnamiens et les Chams musulmans ont été imposées.

« Pendant les Khmers Rouges, nous n’avions pas le choix »

« Nous avons vécu l’enfer. J’ai creusé des digues pendant les Khmers rouges et j’ai transporté de la terre, parfois à mains nues », raconte Hin Meng, en ajoutant que toute sa famille – parents, frères et sœurs – est décédée des suites de maladies contractées sous les Khmers Rouges.

De son côté, Om Narin, 84 ans, qui vend de l’eau dans la rue et s’occupe de ses petits-enfants à Phnom Penh, se souvient de ce que Pol Pot et Nuon Chea ont fait payer à sa famille après s’être emparés du Cambodge et littéralement de tout ce qui s’y trouvait. « Pendant les Khmers Rouges, nous n’avions pas le choix », explique-t-elle. « Lorsque nous plantions des pommes de terre, nous ne pouvions pas les manger parce que tout appartenait aux Khmers Rouges ; ils nous auraient tués si nous les avions mangées. Maintenant, au moins, je peux trouver quelque chose à manger. »

Elle raconte que ses trois fils sont morts de maladie et de manque de nourriture, et que son mari et sa fille sont morts dans des circonstances similaires après la chute des Khmers Rouges chassés par l’invasion vietnamienne fin 1978, alors qu’ironiquement, elle-même travaillait comme cuisinière. « Ils étaient dans une autre unité, non loin de moi. Je savais qu’ils étaient malades, mais je ne pouvais pas les aider. Je devais continuer à faire ce que les Khmers Rouges me demandaient de faire dans la cuisine. Je n’aime pas trop en parler parce que c’est encore douloureux. »

« Ils ont pris tous les principes communistes et les ont appliqués à 100 % »

Quelques semaines après la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges, le Laos et le Sud-Vietnam sont tombés à leur tour sous le contrôle des communistes. Mais les politiques menées à Vientiane et à Hanoi – après l’unification des deux Vietnam – étaient plus pragmatiques et plus tolérantes à l’égard de la culture locale, de la religion et même du capitalisme.

Selon Henry Locard, un historien français basé au Cambodge, aucun autre pays communiste n’a essayé de « ruraliser » une population entière comme au Cambodge. Et les conséquences ont été désastreuses. « Toutes les villes et toutes les capitales provinciales ont été vidées, pas seulement Phnom Penh. Personne d’autre n’a fait cela. Ils ont affamé la population. »

« Voilà ce que les Khmers Rouges ont fait : ils ont pris tous les principes communistes et les ont appliqués à 100 %. Au lieu de nationaliser les principales industries, ils ont tout nationalisé. Ils ont aboli la propriété privée. Aucun autre pays communiste n’a aboli la propriété privée », explique-t-il. « Personne d’autre n’avait fait cela. Personne d’autre n’a dispersé les familles et introduit les mariages forcés. Ils sont les seuls exemples de communistes qui ont interféré avec la vie sexuelle des habitants », ajoute-t-il, en soulignant que les catholiques ont beaucoup souffert sous les Khmers Rouges.

Les Cambodgiens sont simplement reconnaissants que ces années soient derrière eux

Entre 1,7 et 2,3 millions de personnes ont péri, souvent abattues d’un coup de moyeu de charrette sur la nuque après être passées dans l’un des quelque 200 centres d’extermination connus sous le nom de Santebals – où les victimes étaient torturées et forcées de faire de faux aveux. Après l’invasion vietnamienne avec 150 000 soldats, dont des transfuges Khmers Rouges, Pol Pot et Nuon Chea se sont retirés à l’ouest, où ils ont continué à combattre les Vietnamiens soutenus par l’Union soviétique jusqu’à la fin de la Guerre Froide en 1989.

Les Accords de paix de Paris sur le Cambodge ont été signés en 1991, et les forces de maintien de la paix des Nations unies sont arrivées l’année suivante, mais la guerre s’est poursuivie jusqu’en 1998, quand Nuon Chea s’est finalement rendu au Premier ministre de l’époque, Hun Sen, ce qui a permis la mise en place d’un tribunal des Khmers Rouges soutenu par les Nations unies.

Plutôt que le 17 avril 1975, Bradley Murg, chercheur associé au Pacific Forum, explique que le Parti du peuple cambodgien (PPC), au pouvoir depuis l’invasion vietnamienne, préférait que la nation se souvienne du jour où les Khmers Rouges ont été chassés de Phnom Penh, le 7 janvier 1979. La capitulation finale, connue sous le nom de « Win Win », le 29 décembre 1998, est également considérée comme le jour qui a mis fin à la guerre civile au Cambodge, qui avait commencé par un soulèvement des Khmers Rouges en 1967.

« La légitimation de l’État cambodgien et le nationalisme mené par l’État sont fondés sur 1979 plutôt que sur 1975. De la même manière, la politique « Win Win » de la fin des années 1990 est une politique clé : c’est le PPC qui a libéré le Cambodge des Khmers rouges, c’est ce que l’on raconte », poursuit Bradley Murg. Mais les Cambodgiens ordinaires sont simplement reconnaissants que les années Khmers Rouges soient derrière eux, comme le dit Hin Meng : « Ce n’était pas comme aujourd’hui. Mais si je gagne très peu, je suis libre et je mange à ma faim. »

(Avec Ucanews / Luke Hunt)

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