Inde Pakistan

Inde-Pakistan : la diplomatie et la médiation prévaudront-elles ?

Les drapeaux de l’Inde et du Pakistan, à Wagah sur l'unique poste-frontière terrestre entre l’Inde et le Pakistan. Les drapeaux de l’Inde et du Pakistan, à Wagah sur l’unique poste-frontière terrestre entre l’Inde et le Pakistan. © Jack Zalium / CC BY-NC 2.0
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Une semaine après l’attentat de Pahalgam, qui a coûté la vie à une trentaine de victimes indiennes hindoues dans la « petite Suisse » du Cachemire, l’Inde, meurtrie mais calculatrice, semble dans une phase d’attente selon le géopolitologue Olivier Guillard. Face au Pakistan, pointé du doigt pour son rôle trouble dans le soutien à certains groupes islamistes, New Delhi joue la carte diplomatique sans écarter une riposte ciblée. La communauté internationale redoute une nouvelle déflagration voire une nouvelle guerre dans le sous-continent indien.

Il y a un peu plus d’une semaine survenait la tragédie de l’attaque du 22 avril au Cachemire indien, dans la région touristique de Pahalgam[1], la « petite Suisse » du Cachemire). Provoquée par un groupe terroriste (The Resistance Front, parent du plus connu Lashkar-e-Taiba ou LeT pakistanais[2]), elle laisse dans son sinistre sillage une trentaine de victimes indiennes hindoues et autant de blessés.

Jusqu’alors, en représailles de cet attentat terroriste aveugle, les autorités indiennes n’ont décrété « qu‘une » série de mesures principalement administratives et politiques : expulsion de diplomates pakistanais, fermeture du poste frontière d’Attari, arrêt de la délivrance des visas, invitation pour les ressortissants pakistanais à quitter le territoire indien avant le 29 avril, et enfin suspension historique des dispositions de l’Indus Water Treaty[3].

Certains estimeront peut-être un brin hâtivement que la réaction indienne semblerait attester qu’en dépit du courroux de la première démographie de la planète et des appels pressants de son opinion publique à sanctionner durement le voisin oriental (République islamique du Pakistan), la raison et la mesure paraissent prévaloir in fine.

Une réponse indienne pour l’instant moins musclée qu’attendue

Ces derniers jours, les forces frontalières indiennes et pakistanaises procèdent tout de même à des échanges de tirs (armes légères) quotidiens (mais étonnamment sans faire de victimes…). Mais à cette heure, en l’absence de réponse indienne plus musclée par-delà la line of control – cette frontière de facto séparant sur 740 km de long les parties de l’ancienne principauté du Cachemire aujourd’hui administrée par l’Inde (le Jammu et Cachemire) et par le Pakistan (Azad Kashmir / Gilgit Baltistan) –, prévaut en ce début de semaine entre les deux pierres de touche du sous-continent indien une sorte de pause ou d’attente presque étonnante.

Peut-être pour laisser du temps aux efforts extérieurs de médiation entre New Delhi et Islamabad (Washington, Londres, mais également Téhéran, Pékin et Ryad sont déjà à l’œuvre, en soutien des appels du Secrétaire général de l’Onu au dialogue entre les parties). Sans doute aussi pour donner aux stratèges et autres chefs militaires du pays de Nehru le temps nécessaire à la planification d’une action concrète, visible, marquante et calibrée sur le terrain (ciblant par exemple un camp d’entrainement du TRF ou du LeT).

Dans la patrie du Mahatma Gandhi et de l’énergique Premier ministre Narendra Modi (entré ce printemps dans sa douzaine année à la tête de la « plus grande démocratie du monde » et future 4e économie mondiale[4]), au diapason de l’opinion meurtrie par ce déferlement de violence ciblée – le commando terroriste de Pahalgam s’est assuré de la confession religieuse (hindoue) de chacune de ses 28 victimes avant de les exécuter. Les responsables politiques n’ont ni ménagé leurs mots ni dissimulé leur colère froide, à l’instar du 18e chef de gouvernement : « L’Inde identifiera, traquera et punira tous les terroristes et leurs soutiens. Nous les poursuivrons jusqu’au bout du monde (…). Le terrorisme ne restera pas impuni. Le moment est venu de raser ce qui reste du refuge des terroristes. » (N. Modi).

De la volonté d’apaisement au ton belliqueux depuis Islamabad

Du côté du Pakistan, dans la capitale du « pays des purs » – et des généraux omnipotents limitant le développement de la démocratie depuis l’indépendance en 1947 –, en réaction aux événements de ces derniers jours et selon les interlocuteurs considérés, le propos des responsables politiques s’étire sur un spectre pour le moins étendu, de la volonté d’apaisement au ton belliqueux ; quand il ne frise pas l’inconséquent.

Le Premier ministre Shebhaz Sharif (dont il n’est guère nécessaire de rappeler ici la relation cordiale avec l’institution militaire depuis son arrivée au pouvoir au printemps 2022) s’emploie sans grand tact à l’exercice compliqué du grand écart, déclarant tout d’abord – à l’occasion d’une parade dans une académie militaire le 27 avril –, sur un ton presque conciliant mais pas au point d’emporter la conviction du voisin indien : « Poursuivant son rôle de pays responsable, le Pakistan est disposé à participer à toute enquête neutre, transparente et crédible[5] (sur les circonstances de l’attaque de Pahalgam) (…). Le Pakistan a toujours condamné le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations en tant que pays de première ligne dans la lutte contre le terrorisme. »

Avant d’entonner quelques instants plus tard une rengaine beaucoup moins mesurée en abordant les délicates thématiques de la suspension par New Delhi des termes de l’Indus Water Treaty puis du soutien d’Islamabad aux velléités séparatistes (pro-pakistanais) de certains Cachemiris : « Toute tentative visant à arrêter, réduire ou détourner le débit des eaux appartenant au Pakistan en vertu du Traité sur l’Indus sera contrée avec toute la force et la puissance nécessaires (…). Il ne fait aucun doute que le Pakistan continuera à soutenir le droit à l’autodétermination du peuple cachemiri jusqu’à ce qu’il obtienne ses droits grâce à sa lutte acharnée et à ses sacrifices. » Des saillies pour le moins engagées à destination autant de l’opinion publique intérieure que de la nation voisine indienne.

« Le monde devrait s’inquiéter de la perspective d’un conflit à grande échelle dans la région »

Depuis Islamabad, le propos le plus maladroit (sinon le plus inconséquent) – au niveau rhétorique – restait encore à venir et fut « l’œuvre » – fractionnée en diverses saillies douteuses – du ministre de la Défense K. M. Asif qui, à l’antenne d’un média britannique (Sky News), ne prit guère de gants et tonna fièrement devant les caméras le 26 avril : « Si une attaque totale (indienne sur le sol pakistanais) ou quelque chose de ce genre se produit, alors il y aura évidemment une guerre totale (…). Nous nous sommes déjà préparés à toute attaque de la part de l’Inde », ajoutant dans cette veine va-t’en-guerre malencontreuse « le monde devrait s’inquiéter de la perspective d’un conflit militaire à grande échelle dans la région (Asie du Sud) ».

Après avoir déclaré n’avoir « jamais entendu parler » du groupe terroriste (The Resistance Front) ayant revendiqué le massacre de touristes hindous indiens à Pahalgam (« Cette fois encore, les personnes accusées ne sont pas connues »), le ministre très en verve argua au sujet du Lashkar-e-Taiba (LeT) de sinistre réputation : « Le Lashkar-i-Taiba est un nom appartenant au passé. Il n’existe plus. Lorsque l’organisation mère (d’une organisation terroriste) n’existe plus, comment une ramification peut-elle voir le jour ? »[6]

Avant de s’aventurer étrangement loin – pour un responsable politique du 5e pays le plus peuplé du globe – sur l’épineuse question du soutien historique présumé du Pakistan à divers groupes radicaux. Après avoir reconnu « l’implication passée » de son pays, l’ancien banquier punjabi, sénateur et ministre aux divers portefeuilles (affaires étrangères, énergies, sports, etc…) rejeta avec véhémence la responsabilité de cette coopération condamnable autant que malsaine sur les démocraties occidentales : « Nous faisons ce sale boulot pour les États-Unis depuis des décennies, vous savez, et pour l’Occident, notamment pour la Grande-Bretagne ». Un « sale boulot » relevé comme il se doit par la presse indienne : ce n’est pas en effet tous les jours qu’un ministre fédéral du pays voisin admet publiquement le soutien institutionnel aux activités des groupes radicaux pourtant officiellement bannis.

Il reste à espérer que la désescalade se prolonge

Pour rappel, voilà six ans (février 2019), dans la foulée de l’attaque d’un convoi militaire indien au Cachemire (près de Pulwama) qui coûta la vie à une quarantaine de soldats indiens et que revendiqua un groupe terroriste pakistanais actif de longue date au Cachemire (Jaish-e-Mohammed[7]), des appareils de l’Indian air force menaient une douzaine de jours après les faits des frappes aériennes sur un camp terroriste situé en territoire pakistanais (près de Balakot[8], province de Khyber-Pakhtunkhwa), tandis que le lendemain, après une frappe aérienne pakistanaise sur le sol cachemiri indien, des chasseurs indiens et pakistanais s’affrontaient dans le ciel (pour la première fois depuis la 3e guerre indo-pakistanaise de 1971).

Il fallut alors l’entremise de diverses capitales influentes et des « assurances » particulières pour que la situation ne s’envenime pas davantage et ne se mue pas en un 5e conflit indo-pakistanais (après les précédents de 1947-48, 1965, 1971 et 1999). Dont rien n’aurait pu totalement exclure une possible déclinaison nucléaire tactique locale : pour mémoire, depuis 1974 pour l’Inde, et depuis 1989 pour le Pakistan, les deux parties disposent de l’arme atomique et des vecteurs balistiques et aériens pour l’employer hors des frontières.

Il reste naturellement à espérer que cette jurisprudence privilégiant la désescalade aux inconséquences d’une crise plus grave – voire d’un nouveau conflit – se prolongera ce printemps de part et d’autre de la line of control. La communauté internationale, déjà ébranlée par les hostilités en Ukraine et au Moyen-Orient et affaiblie par les nouvelles règles du jeu assénées par le locataire de la Maison Blanche, ne gagnerait rien à voir un tumulte supplémentaire alourdir plus encore son fardeau.

(Ad Extra, Olivier Guillard)


[1] Une centaine de km à l’Est de Srinagar, la capitale d’été du Cachemire indien.

[2] Considéré comme proche d’Al Qaïda, le LeT (armée des pieux) figure notamment sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, des États-Unis, du Royaume uni ou encore de l’Inde.

[3] Depuis sa conclusion en 1960, le Traité des eaux de l’Indus ou Indus Water Treaty dispose que les eaux des fleuves occidentaux (Chenab, Jhelum et Indus) sont attribuées au Pakistan et celles des fleuves orientaux (Ravi, Beas et Sutlej) à l’Inde pour une utilisation sans restriction.

[4] Selon les projections 2025 du Fond Monétaire International (FMI).

[5] Dawn (Pakistan), 27 avril 2025.

[6] Dawn (Pakistan), 26 avril 2025.

[7] Dont le dessein originel vise à détacher le Cachemire administré par l’Inde pour le rattacher à la République islamique du Pakistan…

[8] Localité située à une soixantaine de km d’Abbottabad, ville du Nord du pays où le leader historique d’Al-Qaïda (O. Ben Laden) passa les dernières années de sa vie avant d’être abattu par un commando des US Navy Seals en mai 2011.

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