L’élection du pape Léon XIV vue depuis les Philippines

Rédigé par Jérémy Ianni, le 19/05/2025
Dix jours après l’élection de Léon XIV, panorama de l’ambiance et des réactions à travers l’archipel philippin, troisième nation chrétienne au monde après le Brésil et le Mexique, avec 80 % des Philippins se déclarant catholiques. De nombreux habitants ont suivi de près le conclave alors que trois cardinaux philippins se trouvaient au sein du collège cardinalice : le cardinal Luis Antonio Tagle, le cardinal Jose Advincula et le cardinal Pablo Virgilio David. Parmi eux, le cardinal Tagle figurait sur la liste des favoris à la plus haute fonction de l’Église de Rome.
Pour de nombreux habitants de l’archipel philippin, le conclave a représenté un immense espoir de voir élire le premier pape philippin. Des membres du clergé local ont même formulé des messages d’espoir et de nombreuses prières quant à l’élection possible du cardinal Tagle, comme le père Matunog qui s’est exprimé ainsi : « Nous croyons au pouvoir de l’Esprit Saint. J’espère que les cardinaux seront touchés par l’Esprit Saint au moment où ils choisiront le nouveau pape. Notre foi est aujourd’hui importante, plus que jamais. »

D’un autre côté, une religieuse philippine qui connaît personnellement le cardinal Tagle dit qu’elle « ne priera jamais pour qu’il devienne pape », car elle a « peur des enjeux politiques autour de cette élection ». Il faut dire qu’historiquement, le catholicisme aux Philippines s’est érigé comme contre-pouvoir, en particulier lors de la dictature de Ferdinand Marcos et de la guerre contre la drogue menée par l’ancien président Duterte, et que son positionnement politique est la source de vives discussions. De nombreuses personnalités et membres du clergé local plaident ainsi pour un catholicisme moins politique et qui se recentre sur l’universalité de la communauté catholique.
« Qu’est-ce que cela change que le pape ne soit pas philippin ? »
Sur la toile, les réactions des habitants de l’archipel philippin ne se sont pas fait attendre : chacun y va de son commentaire, comme cet homme qui écrit qu’il est « heureux que nous ayons un nouveau pape. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser, comment cela aurait été si nous avions eu Tagle comme pape ? ». Un autre internaute commente : « En tant que Filipino, l’élection du cardinal Robert Prevost comme pape n’est pas le résultat que j’attendais… Mais ma foi me dit que le choix du pape Leon XIV correspond à la volonté divine. Je reste fier et reconnaissant que le cardinal Tagle ait été sérieusement considéré pour devenir le successeur de Saint-Pierre ».
Là où certains regrettent que le nouveau pape ne soit pas philippin, d’autres expliquent que « ces Philippins si fiers qui attendaient que Tagle soit élu, voulaient juste avoir quelque chose qui les rende fiers. Mais ce n’est pas arrivé, et maintenant ils montrent leur déception. Mais au final, qu’est-ce que cela change que le pape ne soit pas philippin ? ».

Il faut dire que les discussions et les projections faites par les habitants sur le résultat du conclave ont presque donné l’impression d’assister aux commentaires d’une compétition sportive, entre commentaires, analyses, et projections individuelles pour soutenir celui qui serait jugé comme le meilleur candidat. À la fin du processus électoral, certaines fake-news sont même venues jeter le trouble, annonçant l’élection d’un cardinal philippin au rang de pape ! Cela a obligé certains médias populaires philippins à rétablir la vérite, comme Philstar qui a publié cet article : « Vérifions les faits : le cardinal Tagle n’est pas le 267e pape ».
Léon XIV s’est déjà rendu trois fois aux Philippines
Quoi qu’il en soit, l’élection de Léon XIV ne laisse personne indifférent. En effet, le cardinal Robert Prevost, devenu Léon XIV, s’est rendu au moins trois fois aux Philippines en 2002, 2010 et 2012, notamment dans la ville de Cebu, où se trouve la basilique du Santo-Niño (Saint Enfant). Considérée comme le berceau du catholicisme philippin, c’est dans cette basilique que le cardinal Prevost s’est rendu, pour y vénérer la statue de l’Enfant Jésus apportée par Ferdinand Magellan en 1521. Le cardinal était à cette époque à la tête de l’ordre de Saint-Augustin, et c’est dans ce cadre qu’il s’est rendu à trois reprises dans l’archipel philippin.
C’est pourquoi, passée la déception de ne pas voir élu le cardinal Tagle, les journaux et médias locaux ont titré dès le lendemain de son élection que « Le père Robert Prevost – maintenant pape Léon XIV – a visité les Philippines au moins trois fois comme prieur général de l’ordre religieux des Augustins », en diffusant des photos de ces visites.
Sa connaissance des Philippines rend ce nouveau pape sympathique pour de nombreux habitants de l’archipel. Cet engouement s’est en fait manifesté dès la conférence de presse qui s’est tenue à l’issue du conclave, pendant laquelle le cardinal David a invité officiellement le nouveau pape à se rendre de nouveau aux Philippines. Cela ne va pas sans rappeler l’effervescence spectaculaire produite par la visite du pape François aux Philippines en 2015, pendant laquelle il avait rencontré différents acteurs locaux engagés dans la lutte contre la pauvreté endémique que subissent de nombreuses familles philippines.

La confiance et l’émotion des cardinaux philippins
C’est en effet à travers son message de lutte contre la pauvreté et de reconnaissance de l’expérience des plus pauvres que le pape François avait créé l’émoi aux Philippines. Investi dans cette grande cause nationale, le cardinal Tagle s’est d’ailleurs exprimé dès la fin du conclave en soulignant qu’il « avait confiance en Léon XIV pour continuer les projets et actions du pape François qui visaient les pauvres qui restent négligés, même si bien sûr ces projets prendront d’autres formes dans les années à venir ».
Par ailleurs, le cardinal Tagle a aussi suggéré que le nouveau pape s’engage dans une réforme de la Curie romaine, l’ensemble des institutions administratives du Saint-Siège et organe central du gouvernement de l’Église de Rome : « Le travail du pape François sur la Curie romaine avait pris une certaine forme, et il n’y a pas de mal à réévaluer, et vérifier s’il y a d’autres manières de faire ». Quant au cardinal David, il a exprimé sa joie et son émotion lorsqu’il a assisté à l’Urbi et Orbi du nouveau pape, qui synthétisait d’après lui une bonne partie des discussions qui avaient eu lieu durant le conclave. En s’exprimant auprès de la presse locale, ce dernier a ensuite ajouté : « Lorsque j’ai entendu l’Urbi et Orbi, je me suis dit que ce nouveau pape chérissait la mémoire du pape François. »
Même si chaque pape est différent, les Philippins semblent donc attendre que Léon XIV continue l’œuvre de François auprès des plus pauvres et réforme une partie des institutions du Saint-Siège, pour que le nouveau pape prenne un rôle de pontifex maximus (« grand pontife »), ce bâtisseur de ponts qui assure l’unité de l’Église universelle.
(Ad Extra, Jérémy Ianni)