Le fils d’Aung San Suu Kyi sur les 80 ans de sa mère en prison : « Elle reste un symbole d’espoir pour la Birmanie »

Le 18/06/2025
Ce jeudi 19 juin, Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix 1991 et icône du mouvement prodémocratie birman, passera son 80e anniversaire en prison, où elle est détenue depuis le coup d’État militaire de février 2021. Malgré ce silence forcé, son fils Kim Aris assure que sa mère continue d’être une source d’espérance pour son peuple. Ces derniers mois, il a organisé différentes initiatives solidaires afin de lever des fonds et attirer l’attention sur la crise birmane.
Les prières quotidiennes de Kim Aris sont pour la paix. Selon lui, la guerre civile en Birmanie « peut terminer dans un bain de sang, et les choses semblent prendre cette direction pour le moment, ou bien les gens peuvent commencer à parler, et c’est pour cela que je prie tous les jours, pour que les massacres cessent et que le dialogue commence. Mais ce dialogue ne peut avoir lieu que si les militaires se retirent et libèrent tous les prisonniers politiques, dont ma mère ».
Plus de quatre ans de détention n’ont pas fait taire la voix de la lauréate du prix Nobel Aung San Suu Kyi, qui a été emprisonnée durant le coup d’État militaire de février 2021 qui a déclenché la guerre civile. Son combat pour la démocratie en Birmanie perdure à travers son fils, Kim Aris, qui à l’occasion du 80e anniversaire de sa mère ce jeudi 19 juin, soutient une série d’initiatives solidaires destinées à attirer l’attention sur le conflit interne et à lever des fonds pour la résistance.
Il est récemment rentré d’une tournée aux États-Unis, où il s’est rendu pour accepter le « Citizen of Burma Award », un prix qu’il a reçu au nom de sa mère. Malgré les troubles liés au contexte américain actuel, la tournée a été un succès en termes de solidarité : « J’ai pu rencontrer de nombreuses communautés birmanes et lever plus de 400 000 dollars, qui étaient plus que nécessaires. »

« C’est une façon de rester unis pour la justice, la liberté et l’espérance en Birmanie »
Ce montant a été rendu encore plus urgent après le séisme de magnitude 7,7 qui a frappé le pays fin mars, et qui a aggravé la crise humanitaire : « Bien sûr, avant de partir, je n’avais aucun moyen de savoir que le séisme aurait lieu pendant que j’étais là-bas. Donc la levée de fonds et la campagne de sensibilisation est devenu d’autant plus importante. »
« Nous basons toute la campagne sur le nombre 80 », explique le fils de l’ancienne dirigeante birmane, symbole du mouvement prodémocratie birman. Au cœur de l’initiative se trouve une série de messages vidéo. Ainsi, Kim Aris explique que tout le monde peut enregistrer un message pour Aung San Suu Kyi et le publier en ligne : « Nous voulons atteindre au moins 80 000 personnes à l’échelle mondiale. Pour les gens, c’est une opportunité d’envoyer leur amour alors que la voix de ma mère a été réduite au silence, pour qu’elle sache qu’elle n’est pas oubliée. » Il ajoute : « Tous les messages seront stockées numériquement pour que nous puissions les lui montrer quand elle sera libre. »
Mais Kim Aris a aussi fait de cette campagne un message personnel : « Je courrais sur 80 km en huit jours, 10 km par jour. Je n’ai encore jamais rien fait de la sorte auparavant. J’ai commencé le 12 juin et je terminerai le 19 juin, le jour de son anniversaire. C’est un hommage à sa vie, à son endurance patiente. Et c’est une façon de rester unis pour la justice, la liberté et l’espérance en Birmanie. » L’initiative est accompagnée d’une levée de fonds pour soutenir la résistance birmane.
« Pour moi, c’est très personnel. J’ai l’impression que je n’en fais jamais assez »
L’action de Kim Aris a inspiré beaucoup de monde : « C’est incroyablement touchant de voir qu’il y a des centaines de personnes à travers le monde prêtes à agir pour ma mère », commente-t-il. Il cite plusieurs exemples : « Une dame très âgée a dit qu’elle essayera de faire au moins 80 pas par jour. Et il y a un jeune acteur birman que j’ai rencontré en Amérique et qui compte faire cent pompes durant huit jours. Plusieurs centaines de gens de tous âges à travers le monde qui ont répondu à mes publications sur les réseaux sociaux et qui se sont lancé leurs propres défis personnels, comme 80 actes de charité, d’amour ou de commémoration, ou encore donner 80 fleurs, 80 colis alimentaires, 80 manuels scolaires, entre autres défis et activités physiques. »
Bien que d’une manière différente, Kim Aris semble avoir parfaitement assumé le rôle d’héritier de sa mère, en devenant un point de référence international pour la cause birmane. « Je ne me considère pas comme un militant politique, parce que ma mère n’a jamais voulu m’impliquer en politique, et le militantisme implique la politique d’une certaine manière. Mais peut-être que c’était de la psychologie inversée, on ne sait jamais avec ma mère », réfléchit Kim Aris en plaisantant.
« Tout ce que je dis et fais peut être interprété politiquement, mais en réalité, pour moi c’est très personnel », ajoute-t-il. « La politique vous lie les mains de bien des manières. Vous ne pouvez pas en faire autant quand vous entrez en politique. Et essayer d’atteindre des résultats à travers la politique est un processus très long et difficile, comme ma mère le sait très bien. J’aime obtenir des résultats un peu plus rapidement. »
Kim Aris montre ensuite une photo de sa mère derrière lui, en exprimant ce qui le motive : « J’ai l’impression que je n’en fais jamais assez. Après tout, on ne peut jamais agir suffisamment quand la situation est si terrible. Non, ce ne sera jamais assez », insiste-t-il.

« Elle bénéficie toujours d’un soutien énorme »
L’armée birmane, dirigée par le général Min Aung Hlaing, a même utilisé le tremblement de terre comme une arme contre la population : « Les militaires ont tendance à utiliser toute catastrophe naturelle pour transformer les aides en arme contre la population, ce qui signifie que la situation devient de plus en plus désespérée chaque année. Historiquement, les militaires ont toujours transformé les aides en arme contre leur propre peuple. »
Et la barbarie continue : « Ils n’ont pas cessé de bombarder les gens, même après le tremblement de terre. Ils ont déclaré un cessez-le-feu, mais l’ont rompu le jour même. Et d’après ce que j’ai compris, ils n’ont rien fait pour aider de nombreuses personnes après le tremblement de terre. Ils ont déblayé des bâtiments avec des corps toujours à l’intérieur, sans permettre aux gens de récupérer leurs biens ou leurs morts. L’arrivée prochaine de la mousson augmente les risques d’épidémies et entrave les opérations de secours. »
La crise humanitaire s’aggrave de jour en jour : « Au moins 40 millions de personnes, soit près des trois quarts de la population, vivent aujourd’hui dans la pauvreté ou sont extrêmement vulnérables sur le plan économique. On compte 3,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays à cause du conflit ou des catastrophes naturelles, et les réductions des aides envoyées par les gouvernements internationaux ont encore aggravé la situation. »
Les Birmans sont également portés par le souvenir encore vif et marquant d’Aung San Suu Kyi, malgré sa détention. « Elle est la dirigeante démocratiquement élue. Et le peuple la soutient toujours autant. Le fait que tant de gens aient assisté à ces événements lorsque j’étais en Amérique montre qu’elle bénéficie toujours d’un soutien énorme », confie Kim Aris, qui ne croit pas aux nouvelles selon lesquelles sa mère a été assignée à résidence à un moment donné.
« Une source de force pour notre nation »
Le silence imposé par la junte est en fait une de ses plus grandes préoccupations : « Ils ne la laissent pas communiquer avec moi. J’ai envoyé des colis et des lettres, mais je n’ai reçu aucune réponse. La dernière lettre que j’ai reçue remonte à plus de deux ans. Et c’est la seule communication que j’ai eue depuis qu’elle est emprisonnée. »
« Elle a des problèmes de santé permanents avec ses dents et son cœur, et elle souffre d’ostéoporose. Cela me préoccupe énormément. Elle aura 80 ans cette semaine, et elle ne recevra pas les soins médicaux dont elle a besoin. D’après ce que j’ai compris, les conditions de vie dans cette prison sont horribles. Sean Turnell, qui était son conseiller économique, a été incarcéré dans la même prison et ses récits sur les conditions de détention n’ont pas été très agréables à lire. »
Malgré tout, il assure qu’Aung San Suu Kyi reste un symbole d’espérance en Birmanie : « Elle n’a pas été oubliée. Depuis les murs de sa prison, son courage inébranlable face à l’adversité a été une source de force pour notre nation, inspirant les communautés birmanes du monde entier et nous rappelant à tous l’importance cruciale de la justice, de la liberté et de la dignité humaine. »
« Les gens ont le pouvoir de changer les choses »
Kim Aris souligne aussi un aspect essentiel de son travail : « Pendant les quelques années de démocratie qu’elle a apportées au peuple birman, elle a accompli ce qu’elle considérait comme sa principale priorité : faire comprendre aux gens qu’ils ont le pouvoir de changer les choses, même par eux-mêmes. »
Il fait ici clairement référence à l’isolement international dans lequel la population birmane s’est retrouvée : « Je crois que la résistance l’emportera. Il se peut que cela prenne plus de temps que nous ne le souhaitons et que de nombreuses personnes meurent en cours de route, parce que nous ne recevons aucune aide du monde extérieur », rappelle-t-il.
« Ces dernières années, la résistance a déclaré que si elle disposait de 2 % de ce qui a été donné à l’Ukraine, elle aurait déjà gagné cette guerre. Un peu d’aide de la part de la communauté internationale permettrait à la plus jeune démocratie du monde de se remettre sur pied », ajoute-t-il.
« La démocratie gagnera », est convaincu Kim Aris, car la détermination du peuple birman est inébranlable : « Les gens se battent pour ce en quoi ils croient et ils ne s’arrêteront pas. C’est là l’essentiel. Ils n’accepteront plus jamais aucune forme de régime militaire à l’avenir. »
Source : Asianews/Alessandra De Poli