La poussée des mouvements pro-hindous au Népal

Le 19/09/2025
Au Népal, lors des récentes manifestations ayant conduit à la chute du gouvernement, certains groupes ont relancé la demande d’un retour de la monarchie et du rétablissement de l’hindouisme comme religion d’État. Les mouvements royalistes et hindouistes exploitent ainsi la colère populaire face à l’instabilité politique, tandis que se pose la question de l’influence indienne. Bien que minoritaires au Parlement népalais, ces mouvements pro-hindous pèsent sur le débat national, révélant les attentes d’une partie de la population en quête de repères dans un Népal où la République peine à tenir ses promesses.
La situation politique au Népal a connu un bouleversement majeur au début du mois de septembre, suite à une série de manifestations menées par la jeunesse, surnommées les « protestations de la génération Z ». Ces manifestations ont éclaté après l’interdiction de plusieurs plateformes de médias sociaux et ont été alimentées par la frustration face à la corruption gouvernementale, au népotisme et à l’instabilité politique persistante. Face à cette crise, le Premier ministre K.P. Sharma Oli a démissionné.
Le 12 septembre, Sushila Karki, ancienne présidente de la Cour suprême et militante anticorruption, a été nommée Première ministre intérimaire, devenant ainsi la première femme à occuper ce poste au Népal. Cependant, des tensions demeurent et la situation politique reste fragile, notamment en ce qui concerne les revendications royalistes et hindouistes, qui continuent de peser sur le débat national.
L’instabilité politique actuelle a ravivé les revendications en faveur d’un retour à la monarchie et du rétablissement de l’hindouisme comme religion d’État. Vingt ans après la chute du dernier roi du Népal, Gyanendra Shah, une nostalgie ressurgit, portée par des mouvements pro-hindous qui cherchent à capitaliser sur la colère populaire face à l’instabilité chronique et à la corruption. République laïque depuis 2008, le Népal connaît ainsi depuis quelques années ce type de revendications.
La monarchie népalaise, incarnée par la dynastie Shah depuis le XVIIIᵉ siècle, a longtemps symbolisé l’unité et l’identité de l’ancien royaume hindou, où le bouddhisme ne concerne qu’une minorité de la population. Mais après une décennie de guérilla maoïste, suivie par un soulèvement populaire en 2006 et 2007, la royauté a été abolie en 2008, marquant la naissance d’une République laïque. Son souvenir continue cependant d’imprégner l’imaginaire collectif et de nourrir aujourd’hui des revendications de retour au trône.
Les pro-monarchie veulent retrouver un symbole de stabilité et d’identité culturelle
Anciens guérilleros convertis au jeu politique en 2006, les maoïstes se sont imposés comme les plus fervents défenseurs de la laïcité, rejetant toute forme de religion. Mais au fil du laborieux processus de rédaction de la Constitution, de 2008 à 2015, l’idée s’est répandue que la laïcité avait été imposée de l’extérieur et ne reflétait pas la volonté profonde des Népalais. « La Constitution népalaise de 2015 intègre une définition curieuse de la laïcité », explique Biswas Baral, rédacteur en chef du Kathmandu Post, dans la revue The Diplomat.
La charte définit le Népal comme un État « laïc », garantissant « les libertés religieuses et culturelles, y compris la protection des religions et des cultures transmises depuis des temps immémoriaux ». Ce dernier passage a été ajouté pour apaiser les conservateurs religieux qui voyaient dans le nouvel ordre laïc une menace existentielle pour les croyances hindoues.
Au cœur de cette agitation se place le Rastriya Prajatantra Party (RPP-Nepal), formation nationaliste et conservatrice. Des figures inattendues, comme Durga Prasai, ancien combattant maoïste devenu porte-voix du royalisme, se joignent à une coalition d’une quarantaine de groupes monarchistes et hindouistes, qui promettent une agitation « illimitée » jusqu’à la restauration du roi. Pour leurs partisans, il ne s’agit pas tant de rendre au souverain un pouvoir absolu que de retrouver un symbole de stabilité et d’identité culturelle dans un pays où les gouvernements se succèdent sans réformes durables.
L’influence du BJP indien sur le paysage politique népalais
À Katmandou, nombreux sont ceux qui soupçonnent derrière ce mouvement pro-hindou la main de New Delhi à travers le BJP, le parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde depuis 2014. « L’agenda du BJP en Inde influence le paysage politique du Népal », estime l’analyste politique Narendra Thapa. « Des dirigeants, au-delà des clivages idéologiques, s’alignent sur des récits centrés sur l’hindouisme, alors même que le pays s’efforce de préserver son identité laïque. »
Officiellement, le ministre indien des Affaires étrangères, S. Jaishankar, a nié toute ingérence, mais les accusations persistent. Un rapport du Département d’État américain sur la liberté religieuse, publié en 2023, relève une montée des groupes pro-hindous alimentés par des financements du BJP. Des acteurs de la société civile népalaise y affirment que « l’influence du BJP au pouvoir et d’autres groupes hindous en Inde continuait de faire pression sur les responsables politiques au Népal, en particulier sur le Rastriya Prajatantra Party (RPP), parti de droite, afin de soutenir un retour à l’État hindou », ajoutant que ces réseaux financeraient des responsables influents pour promouvoir cette cause.
À Katmandou, nombre de responsables politiques prennent désormais soin de flatter la sensibilité hindoue, y compris au sein du Congrès népalais (NC), principale formation du pays. « L’agenda pro-État hindou gagne du terrain jusque dans ce parti libéral. Sentant l’attrait de la religion auprès de l’électorat en ces temps troublés, même les acteurs politiques dominants du Népal reconsidèrent leur soutien antérieur à la laïcité », observe Biswas Baral.
K.P. Sharma Oli, le Premier ministre contraint de démissionner ce mois-ci, avait multiplié visites de temples et participations à des rituels hindous, indiquant qu’il est désormais difficile de gouverner à Katmandou sans le soutien de New Delhi.
Le sentiment hindou instrumentalisé
Pour la plupart des Népalais, l’affinité envers le parti nationaliste hindou du Premier ministre indien Narendra Modi relève davantage du culturel que du politique. Méfiants, beaucoup gardent encore en mémoire les difficultés endurées durant le blocus de six mois imposé par New Delhi juste après le séisme de 2015, en réaction au contenu du nouveau projet de Constitution népalaise. Par ailleurs, bien que les hindous représentent plus de 80 % de la population népalaise, le pays dans son ensemble demeure une nation de minorités.
Durant les récentes protestations, le sentiment hindou a été instrumentalisé par certains médias et influenceurs. Des chaînes de télévision et des responsables politiques indiens ont ainsi affirmé, à tort, que des émeutiers avaient vandalisé un temple au Népal. « Une attaque contre un temple est une attaque contre la foi hindoue », s’est enflammé Jivesh Mishra, membre du BJP. Sur les réseaux sociaux, des influenceurs d’extrême droite ont relayé cette fausse information, tandis que d’autres ont avancé, sans preuve, que les manifestations avaient été « instiguées et financées » par des « forces anti-hindoues et islamistes » pour cibler des sites religieux.
Malgré le renouveau de ces courants, le retour du roi demeure un horizon lointain. Une telle restauration exigerait une révision constitutionnelle majeure, voire un référendum, auquel les principaux partis républicains s’opposent fermement. Fragmentées, les forces royalistes oscillent entre la revendication d’une monarchie symbolique et celle d’un souverain doté de véritables pouvoirs. Pour l’heure, leur influence est davantage politique que parlementaire.
Le RPP demeure minoritaire à l’Assemblée, mais les mobilisations de rue pèsent sur le débat national. Face à l’usure des institutions républicaines, certains partis traditionnels pourraient être tentés d’intégrer plus encore des éléments de rhétorique religieuse et identitaire afin de ne pas laisser le terrain aux royalistes. La résurgence du royalisme reflète le regard tourné vers un passé idéalisé, où certains Népalais espèrent trouver la stabilité que la jeune démocratie peine encore à offrir.
(Ad Extra, A. B.)