« L’Église dialogue avec prudence et charité » : les 60 ans de Nostra Ætate vus depuis Singapour

Le 17/10/2025
Le 28 octobre marquera les 60 ans de la déclaration Nostra Ætate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, promulguée en 1965 par le pape saint Paul VI. Le site Catholic News de l’archidiocèse de Singapour publiait il y a quelque temps un article rédigé par Lawrence Chong, entrepreneur catholique singapourien et consultant du dicastère pour le Dialogue Interreligieux.En septembre 2024, il était aussi responsable de la section interreligieuse lors du voyage apostolique du pape François à Singapour. Extraits.
Alors que nous approchons du 60e anniversaire de Nostra Ætate, la déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, promulguée le 28 octobre 1965 par le saint pape Paul VI, le moment est venu pour nous en tant qu’Église de réfléchir à notre harmonie religieuse durement gagnée et de renouveler notre engagement.
Durant des décennies, l’archidiocèse de Singapour s’est engagé dans un dialogue d’amour avec nos amis des autres religions. En juin 2025, le Centre de l’archidiocèse de Singapour pour le dialogue interreligieux et l’œcuménisme (AIRDECS) ainsi que le mouvement international laïc catholique des Focolari, coorganisaient le tout premier forum international sur le thème « Une humanité, de nombreux chemins : dialogues de rencontre », avec plus de 60 participants de différentes religions.
Cet événement, qui s’est tenu au Catholic Centre de Singapour, a invité des vétérans du dialogue interreligieux à partager leurs expériences des ponts qui relient les confessions : le Dr Roberto Catalano d’Italie, qui a travaillé avec les hindous en Inde durant 60 ans ; le Dr Chiaretto Yan, un expert du dialogue entre l’Église catholique et la civilisation chinoise et ses religions, basé à Shanghai ; Silvina Clemens, un rabbin juif qui a travaillé avec les chrétiens et avec les pauvres en Argentine à travers ses engagements interreligieux ; et sœur Theresa Seow FDCC, qui au cours des 30 dernières années a représenté l’Église à Singapour dans le dialogue interreligieux.

Prudence et amour
Ce genre de dialogue a souvent lieu en coulisse, et c’est quelque chose que beaucoup de catholiques prennent pour acquis aujourd’hui à Singapour, mais avant 1966, de tels événements étaient rare.
On se souvient de cette citation célèbre de Nostra Ætate : « L’Église exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux. » (NA, 2)
Cette déclaration a poussé l’Église à passer d’une posture de séparation à celle de l’engagement respectueux, et elle contient l’essence même de notre mission : rencontrer les autres non pas comme des objets de conversion, mais comme des compagnons pèlerins sur d’autres chemins, en reconnaissant les graines de vérité et de bonté que Dieu a semé dans chaque culture et tradition.
Cette insistance sur la prudence et l’amour et cruciale ; elle souligne que notre dialogue n’est pas seulement un exercice intellectuel, mais un acte de profonde charité. Vraiment, la méthode même du dialogue, telle qu’elle a été articulée par le pape Paul VI en 1964 dans son encyclique Ecclesiam Suam sur le mandat de l’Église dans le monde moderne, est enracinée dans la charité.
Il a écrit : « Un des caractères de notre dialogue est celui de la douceur, celle que le Christ nous propose d’apprendre de lui-même : ‘Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur’ » (ES, 83 ).
Le dialogue est mission
Aujourd’hui, l’Église catholique reste une des quelques grandes religions qui ont un bureau mondial dédié aux relations interreligieuses. Il est largement respecté, principalement parce qu’il (…) évite le langage péremptoire, n’exige rien, (…) n’utilise aucune méthode extrême, se montre patient face aux contradictions, et enclin à la générosité.
Certains pourraient se demander si le dialogue peut compromettre la mission d’évangélisation de l’Église. Le saint pape Jean-Paul II a écrit en 1990 dans son encyclique Redemptoris Missio : « Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la mission ‘ad gentes’, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression. » (RM, 55)

Le dialogue, quand il est entrepris avec amour, n’est pas une proclamation ou du prosélytisme, mais plutôt un prérequis nécessaire à un témoignage authentique, afin de favoriser un environnement où la vérité peut être reçue dans la liberté et le respect.
Dans le monde d’aujourd’hui, de plus en plus marqué par la polarisation et l’incompréhension, l’encyclique Fratelli Tutti publiée par le pape François en 2020 offre un puissant renfort de cet appel au dialogue aimant.
Il nous appelle à nous engager dans un dialogue franc et authentique, en disant que « dans un esprit vrai de dialogue, la capacité de comprendre le sens de ce que l’autre dit et fait se nourrit, bien qu’on ne puisse pas l’assumer comme sa propre conviction. Il devient ainsi possible d’être sincère, de ne pas dissimuler ce que nous croyons, sans cesser de dialoguer, de chercher des points de contact, et surtout de travailler et de lutter ensemble » (FT, 203).
Ces six décennies de Nostra Ætate ont représenté un formidable chemin de dialogue animé par l’amour, guidé par la prudence, et enrichi par la reconnaissance de la Présence Divine en chaque personne. Notre humanité commune nous appelle à nous rencontrer les uns les autres avec empathie. De telles rencontres nous aident à nourrir la compréhension mutuelle et à construire un monde plus juste et harmonieux, reflétant notre identité partagée comme une seule famille humaine devant Dieu.
Lawrence Chong, 44 ans, entrepreneur catholique à Singapour, est consultant du dicastère pour le Dialogue interreligieux. Il représente également l’archidiocèse de Singapour au sein de l’Organisation Inter-Religieuse (IRO) et fait partie du Conseil archidiocésain pour le dialogue interreligieux.
Source : Lawrence Chong/catholicnews.sg