Asie

Portraits en miroir : l’art sculpté de la Vierge Marie et du bodhisattva Guanyin

Guanyin Blanc de Chine, traces de dorure. Chine. Collection MEP, Irfa. © N. Xaysourinh
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La Vierge Marie et le bodhisattva Guanyin sont les grandes icônes féminines respectives du christianisme et du bouddhisme. De la fin du Moyen-Âge au XXᵉ siècle, leurs images circulent et se métamorphosent dans le monde sinisé. Formées séparément, les figures de la Vierge et de Guanyin finissent par s’affranchir de leurs cadres symboliques pour se confondre et troubler le regard. S’appuyant sur les collections des Missions Étrangères de Paris et de plusieurs fonds privés, cette exposition met face à face leurs représentations dans l’art sculpté.

À la fin du Moyen-Âge, la représentation mariale en Chine est marquée d’une forte dimension eschatologique. L’hybridité de ces images traduit les tâtonnements d’un art chrétien en Chine encore naissant, jusqu’à sa rencontre féconde avec le culte bouddhique de Guanyin. Dans les deux traditions, la forme rejoint le fond : la beauté des corps sculptés devient le langage de la compassion incarnée au féminin.

Au XVIᵉ siècle, l’établissement de routes commerciales et de relations diplomatiques entre les royaumes ibériques et l’Asie de l’Est permet l’arrivée de missionnaires catholiques et l’apparition de communautés chrétiennes. Les artisans chinois cultivent alors l’équivocité des formes, brouillant volontairement les frontières religieuses — autant pour répondre aux besoins des communautés catholiques du monde sinisé que pour servir l’entreprise jésuite d’une pédagogie de l’objet. La porcelaine — précédée par l’ivoire et la gravure recherchés des cours ibériques — incarne cet art du raffinement : elle marque de son empreinte le visage de Marie tout en renouvelant la figuration de Guanyin inspirée par l’imaginaire chrétien.

Du XVIIIᵉ au XIXᵉ siècle, périodes de tolérance et d’interdiction du christianisme se succèdent en Extrême-Orient. Les correspondances secrètes entre Marie et Guanyin deviennent alors un moyen détourné d’exprimer la foi sous les apparences du syncrétisme. Cette crise spirituelle, révèle une acuité artistique nouvelle : le blanc de Chine véhicule le message chrétien à travers les jeux iconographiques du bouddhisme ; au Japon, la Vierge inspire les sculptures du bodhisattva ; en Corée enfin, la mission catholique adopte une expression d’une grande occidentalité.

Au début du XXᵉ siècle, la question du métissage des genres est de nouveau posée et stimule la créativité. À quel culte appartiennent encore les portraits de Marie et de Guanyin ? À une pensée sinisée, ouverte et éclectique, où le christianisme et le bouddhisme trouvent leur place dans une quête commune de transcendance et de beauté.

Christophe Decoudun


Christophe Decoudun est chercheur, spécialiste d’histoire des arts de l’Asie ancienne et des spiritualités asiatiques – en particulier le bouddhisme dans le monde chinois – à l’Institut catholique de Paris. Il nous parle des Vierges chinoises d’hier et d’aujourd’hui et de l’identité catholique dont elles témoignent.


Exposition

L’exposition intitulée « Portraits en miroir : l’art sculpté de la Vierge Marie et du bodhisattva Guanyin » se tiendra aux Missions étrangères de Paris en février 2026. S’appuyant sur les collections de l’Irfa ainsi que sur plusieurs fonds privés, il se propose de mettre en regard des représentations historiques et inédites de ces deux icônes féminines du christianisme et du bouddhisme. L’exposition abordera la manière dont leurs images sculptées ont circulé et se sont transformées dans l’espace sinisé, de l’époque moderne jusqu’au XXe siècle. Si dans un premier temps, les portraits de la Vierge Marie et du bodhisattva Guanyin se forment distinctement, leur emballage symbolique finit par s’affranchir du moule de leurs traditions respectives pour mieux se confondre et surprendre le spectateur.

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