Sri Lanka

Ruki Fernando : « J’essaie de soutenir les familles des victimes, pour la vérité et la justice »

Une banderole affichant les visages de plusieurs victimes des attentats du 21 avril 2019 au bord d’une route de Batticaloa, Sri Lanka. © Quintus Colombage / Ucanews ; S. Ganasiri / Ucanews
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Pour Ruki Fernando, un défenseur catholique des droits de l’homme, il est impossible de faire la vérité sur les attentats et de rendre justice aux victimes sans une enquête internationale. Fondateur de l’association Inform, il documente les violations commises au Sri Lanka, en particulier durant la guerre civile. Il explique puiser sa force dans sa foi et auprès « des victimes dont les combats continuent de me mettre à l’épreuve mais aussi de m’inspirer ».

Ruki Fernando, un défenseur catholique des droits de l’homme au Sri Lanka, âgé d’une cinquantaine d’années, explique que c’est sa foi et son engagement au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) qui l’ont conduit à militer contre les violations qui sont survenues dans son pays durant la guerre civile (1983-2009), et qui se sont aggravées après début 2007. Aujourd’hui, il s’efforce de sensibiliser et d’éduquer les gens sur les droits de l’homme, et il documente les violations qui surviennent au Sri Lanka avec l’association Inform, un centre de documentation qu’il a fondé à Colombo, la capitale.

Malgré les menaces dont il a été victime à cause de son travail, notamment au titre de la loi controversée sur la prévention du terrorisme (PTA), il poursuit son travail aux côtés de différentes organisations chrétiennes et laïques. Il est membre de la Commission justice, paix et intégrité de la création de la Conférence des supérieurs majeurs de l’Église locale, et il fait partie des aumôniers du Mouvement international des étudiants catholiques (MIEC) dans la région Asie-Pacifique.

Quels sont vos principaux engagements aujourd’hui ?

J’écris des articles et j’interviens sur divers journaux et sites internet, et je forme différentes personnes sur les droits de l’homme et la justice sociale, au Sri Lanka et parfois dans toute l’Asie. Parmi ceux que j’accompagne, il y a notamment des gens qui militent pour les droits de l’homme, des responsables religieux, des journalistes, des membres de gouvernements, des universitaires, des étudiants, etc. J’essaie aussi de soutenir les survivants, les familles des victimes et les communautés affectés par la guerre, afin de faire la vérité et rétablir la justice. Je participe aussi à des programmes de sensibilisation à l’échelle nationale et internationale. Je travaille très étroitement avec les groupes catholiques.

La chaîne britannique Channel 4 a publié un documentaire qui apporte un regard nouveau sur les attentats de Pâques 2019 et qui confirme l’inaction des services de renseignements. L’Église au Sri Lanka a réagi en demandant une enquête internationale. Quelle est votre réaction ?

La chaîne Channel 4, dans son documentaire, révèle des éléments qui mettent en évidence les cerveaux derrière les attaques du dimanche de Pâques 2019, comme elle l’avait déjà fait à propos de crimes graves et d’atrocités commis durant la derrière phase de la guerre civile. Toutes ces accusations, et pas seulement à propos des attentats de Pâques 2019, doivent être prises au sérieux. Je pense qu’à ce stade, cela ne peut être fait qu’avec une enquête internationale. Les responsables catholiques doivent suivre de près et documenter l’évolution de la situation sur le plan légal, social et politique, et ils doivent intervenir fermement et régulièrement de manière adaptée.

Pour les responsables catholiques, il est aussi essentiel de faire cela de manière collaborative, ainsi que le font les Tamouls dans le Nord et l’Est et les Cinghalais dans la plupart des autres provinces à propos des crimes de guerre, des attentats de 2019, des crimes économiques, des questions liées à l’État de droit, etc. À ce jour, ce que nous avons, c’est un mécanisme de collecte de preuves et de témoignages préliminaires, qui pourrait seconder un processus légal international. J’espère en tout cas que les choses vont s’accélérer et que tous les responsables pourront être poursuivis, pour les survivants et les familles des victimes.

Le cardinal Ranjith, deux évêques auxiliaires de Colombo, des militaires, des membres du gouvernement et des prêtres inaugurent un programme de logement pour les victimes des attaques.

Avez-vous remarqué une augmentation du nombre d’attaques contre les chrétiens et la liberté religieuse au cours des dernières années au Sri Lanka ? Est-ce que c’est quelque chose de nouveau dans le pays ?

À l’échelle des attaques de Pâques 2019, c’est quelque chose de nouveau. Mais durant la guerre civile, beaucoup d’églises ont été attaquées, et des gens sont morts. Par exemple, en 1995 l’église Saints-Pierre-et-Paul de Navaly, à Jaffna, a été remplie de réfugiés tamouls qui fuyaient les combats. Les habitants de Navaly, dont des membres du groupe de jeunes catholiques, ont aidé les déplacés en leur fournissant de la nourriture.

Selon les témoins et les survivants, le 9 juillet vers 17 heures, un avion Pukkara a lâché 8 à 13 bombes sur Navaly, autour de l’église, du temple hindou Sri Kathirkama Murugan et des quartiers résidentiels, tuant plusieurs centaines de personnes et causant de nombreux blessés. Depuis des années, il y a aussi eu de nombreuses attaques contre les chrétiens évangéliques, avant et après les attentats de 2019. Du 3 février au 14 avril 2019, à travers le Sri Lanka, des communautés ont été dérangées et attaquées de différentes manières durant leurs célébrations sur 11 dimanches consécutifs.

Le Sri Lanka traverse aussi une grave crise économique, et l’inflation affecte toujours beaucoup d’habitants. Comment l’Église sri-lankaise s’est-elle organisée face à une telle situation ?

La plupart des gens souffrent toujours. Les paroisses ont accompagné les plus vulnérables, mais elles doivent faire davantage en mettant tout ce qu’elles ont à la disposition des gens qui sont le plus dans le besoin, par exemple à travers des coopératives. Elles peuvent aussi agir en intervenant localement au niveau politique, notamment via des activités de lobbying et de recherche.

Plus de 14 ans après la fin de la guerre civile, comment sont les tensions entre les communautés ethniques cinghalaises et tamoules ? Plusieurs organisations ont lancé des programmes de réconciliation depuis 2009…

Il y a toujours beaucoup de tensions ethniques non résolues. Beaucoup doit encore être fait, en particulier afin de s’attaquer aux causes profondes du conflit (et plus tard de la guerre), et à ses conséquences…

Vous avez été menacé à plusieurs reprises à cause de votre travail. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?

Ma force vient de ma foi catholique et de l’exemple de vie donné par Jésus, mais aussi des survivants, des victimes et des familles des victimes de violations des droits de l’homme, des communautés affectées par la guerre, dont les combats et les difficultés continuent de me mettre à l’épreuve mais aussi de m’inspirer.

(Propos recueillis par Eglises d’Asie)

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