Corée du Sud : destitution en vue de la présidence après la brève crise politique qui a ébranlé Séoul
Le président Yoon Suk-yeol et la première dame Kim Keon Hee, en juin 2022 à la base aérienne de Séoul. © Jeon Han / Korea.net / CC BY-NC-SA 2.0Le 06/12/2024
Après les événements politiques de ces derniers jours en Corée du Sud, le politologue Olivier Guillard revient sur la brève crise politique qui a ébranlé le pays d’Asie de l’Est. Moins de six heures après avoir tenté d’imposer la loi martiale sans préavis aux 51 millions de Sud-Coréens, ce pari s’est retourné contre lui grâce à un vote nocturne à l’Assemblée nationale et à une émotion populaire quasi-générale. Son avenir politique semble plus qu’incertain au « pays du Matin calme », 11e économie mondiale et 4e économie d’Asie.
Ces derniers jours, dans la péninsule coréenne toujours fébrile et divisée, les regards étaient tournés non pas au Nord du 38e parallèle et de la zone démilitarisée, mais au Sud, du côté de la République de Corée.
Au « pays du Matin calme », 11e économie mondiale et 4e économie d’Asie, la soirée et la nuit du 3 au 4 décembre ont été particulièrement agitées, avec des événements politiques à l’issue plutôt incertaine. Cette fois-ci, étonnamment, les troubles ne viennent pas d’une énième provocation de Kim Jong-un, chef suprême de la République populaire démocratique de Corée de la dynastie kimiste, mais de son homologue sud-coréen, élu démocratiquement en 2022.
Moins de six heures après avoir tenté d’imposer la loi martiale sans préavis aux 51 millions de Sud-coréens, le parti politique du président Yoon Suk-yeol s’est retourné contre lui à l’aide d’un vote nocturne à l’Assemblée nationale, et d’une émotion populaire quasi-générale. Son avenir politique, qui était déjà très incertain à moyen terme, devrait subir durement et rapidement les conséquences de cette audace, la perspective d’une procédure de destitution imminente se dessinant avec clarté.
L’opposition abasourdie mais nullement impressionnée
Retour rapide sur ces événements politiques qui ont ébranlé la nation en seulement quelques heures, interpellé les observateurs étrangers sur la logique du locataire de la Maison Bleue (la présidence sud-coréenne), et inquiété les milieux d’affaires redoutant un nouvel assaut contre les perspectives économiques nationales.
Le président (conservateur) Yoon Suk-yeol prend littéralement de court jusqu’à son premier ministre, mettant dans la confidence le ministre de la Défense et quelques collaborateurs civils et militaires, en accusant l’opposition majoritaire à l’Assemblée nationale de « se livrer à des activités antiétatiques et de fomenter une rébellion » (sans apporter de preuves tangibles) et en décrétant la loi martiale, comme la Constitution de 1948 lui en donne techniquement le droit en réponse à des « situations d’urgence de guerre ou assimilables à la guerre ». Selon l’intéressé, cette mesure est destinée à « éradiquer les forces pro-Corée du Nord [au sein de la classe politique sud-coréenne] et protéger l’ordre constitutionnel et la liberté ».
L’opposition, abasourdie par l’initiative présidentielle mais loin d’être terrassée, et encore moins impressionnée par le déploiement en nombre de soldats et de forces de police sur divers sites sensibles de la capitale (dont l’Assemblée nationale et les grands médias), se ressaisit en peu de temps et appelle la population à dénoncer ce coup de force.
C’est pourquoi l’opposition, face à une manœuvre plus politique, sans lien avec une quelconque menace existentielle, n’hésite pas à manifester sa colère dans la rue, et à braver sans peur ce qui s’apparente à une véritable tentative de coup d’Etat institutionnel, dissimulé sous des habits grossiers de « danger immédiat » planant sur la nation.
Les élus des principaux partis de l’opposition, décidés à ne pas laisser le champ libre un seul instant aux velléités présidentielles, parviennent à pénétrer de nuit dans l’enceinte du pouvoir législatif – malgré l’intervention des forces de l’ordre finalement débordées –, et votent unanimement contre l’imposition abusive de la loi martiale en obtenant sa levée, avec effet immédiat, ainsi que le permet la Constitution en de telles circonstances. Devant cette levée de boucliers et cette réactivité de l’opposition (Democratic Party, Rebuilding Korea Party, Reform Party), le président et l’armée obtempèrent immédiatement, et le cabinet présente collectivement sa démission.
Une initiative vivement dénoncée par l’allié stratégique nord-américain
Cette initiative s’est révélée trop audacieuse pour un président à bout de souffle deux ans seulement après son intronisation, alors que 83 % des sondés, avant même cet épisode politique mouvementé, lui tournaient résolument le dos (avec seulement 17 % d’avis favorables fin novembre, et 13 % au lendemain de l’imposition de la loi martiale).
La faute en partie à une gouvernance peinant à convaincre l’opinion, à une série d’affaires plus ou moins graves éclaboussant par ricochet l’image présidentielle (dont une concernant un possible manquement éthique de la Première Dame), et peut-être à une politique trop agressive vis-à-vis de la Corée du Nord (par rapport à celle de son prédécesseur libéral Moon Jae-in). Sans compter le retour tonitruant de l’opposition à l’Assemblée nationale au printemps dernier, contrariant à chaque occasion la mise en œuvre de sa feuille de route, peut-être au point de pousser le chef de l’Etat dans les cordes, et de commettre ce dernier faux pas.
Chez l’allié stratégique nord-américain (le Traité de Défense Mutuelle entre les États-Unis et la République de Corée s’est conclu le 1er octobre 1953, deux mois après la fin de la guerre de Corée), l’initiative périlleuse du président Yoon a été vivement dénoncée, jetant l’opprobre sur son architecte, désormais moins prisé à Washington.
Curieusement, au-delà de la zone démilitarisée, dans l’austère Pyongyang de la dictature héréditaire kimiste, on se garde pour l’instant de tirer à boulets rouges sur la présidence sudiste, pourtant sous le feu des critiques et au bord du gouffre. Peut-être pour mieux rebondir le jour venu, si la perspective d’une destitution du président Yoon se concrétise et boute hors du pouvoir cet adversaire du Nord, avant le terme de son unique mandat quinquennal (courant théoriquement jusqu’en 2027) ?
(Ad Extra, Olivier Guillard)