Japon

Au Japon, une Vierge à l’enfant devant un temple bouddhiste

Maria Kannon de Chichibu © A. de Monjour
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Les « Maria-Kannon » sont des représentations de la Vierge Marie dissimulée sous les traits d’une déesse bouddhique de la miséricorde. Elles étaient utilisées par les chrétiens japonais au temps des persécutions (1613 – 1873).
Dans le temple de la vallée de Chichibu, ville située dans le département du Saïtama-Ken, au nord-ouest de Tokyo, se trouve une statue d’une déesse allaitant un enfant, tout à fait inhabituelle dans les représentations classiques de Kannon.

Ê-ma de la Maria Kannon de Chichibu.
© A. de Monjour

Les ê-ma (littéralement, « image de cheval ») sont de petites planches de bois décorées sur une face d’une image et, de l’autre, l’espace est réservé pour écrire une prière ou un vœu. La plaque ainsi complétée est ensuite accrochée sur un présentoir dans l’enceinte du sanctuaire shintoïste ou du temple bouddhiste où elle a été achetée. Des visiteurs l’emportent parfois comme souvenir du lieu.

Ê-ma de cheval.
© A. de Monjour
Ê-ma devant le sanctuaire Shinto d’Ikebukuro à Tokyo.
© A. de Monjour

C’est l’un des éléments caractéristiques des sanctuaires shintoïstes car on demande ainsi à la divinité, le « Kami » auquel le lieu est dédié, de lire le message écrit sur la planche et, bien sûr, d’y répondre favorablement. Les ê-ma sont très populaires, on en trouve de nombreux dans les temples bouddhistes. Il est courant au Japon de retrouver des éléments d’une religion dans les lieux de culte de l’autre : shintoïsme et bouddhisme sont ainsi devenus indissociables l’un de l’autre.

      Un ê-ma s’achète dans un des guichets du sanctuaire ou du temple et coûte de 500 à 1000 yens l’unité (environ 3,80 à 7,70 Euros). Toutes ces petites planches ont une face décorée, certaines encore d’un cheval mais le plus souvent d’un symbole, image d’animaux, élément d’architecture etc. en rapport avec le lieu, ou la « divinité locale » du sanctuaire. L’autre face est gardée libre pour y inscrire un message.

Une représentation inattendue dans le temple bouddhiste

Le ê-ma de cette Maria Kannon est proposé au temple de Kinshô-ji, dans la vallée de Chichibu, ville située dans le département du Saïtama-Ken, au nord-ouest de Tokyo, où se trouve un pèlerinage célèbre de 34 statues de la déesse Kannon. Celle de ce temple porte le N°4 de ce pèlerinage.

Maria Kannon de Chichibu.
© A. de Monjour
Maria Kannon de Chichibu. Détail. La grenouille.
© A. de Monjour

Cette statue d’une déesse allaitant un enfant est tout à fait inhabituelle dans les représentations classiques de Kannon. D’autre part, elle est placée, non pas à l’intérieur du temple qui lui est dédié, mais à l’extérieur, sur une sorte de balcon, visible de loin. Enfin, sur l’arrière en bas de la statue est sculpté une petite grenouille… qui se dit en japonais « Kaêru » (prononcer kaêlou): c’est, selon le bonze qui fait visiter les lieux aux pèlerins, la signature cachée d’un sculpteur chrétien, probablement du XVIIe siècle, s’appelant « Mikaelu » ou « Michel » ! Preuve de l’identité de cette « Maria-Kannon ». Ainsi, pendant la longue période de persécution des chrétiens (1613-1873), ceux qui avaient gardé la foi, appelés les chrétiens cachés, pouvaient venir discrètement prier la Vierge Marie et Jésus en venant jusqu’au temple bouddhiste sans avoir à entrer à l’intérieur du bâtiment ! Il est à noter que plusieurs temples de ces 34 lieux de pèlerinage de la vallée de Chichibu « cachent » des statues ou symboles chrétiens du temps des persécutions. Cela semble confirmer leur présence relativement nombreuse et la tolérance, ou au moins la bienveillance, de bonzes et de la population majoritairement bouddhiste de cette région alors relativement isolée.

Père Antoine de Monjour

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