Benedict Rogers : « Pour la Nouvelle année lunaire, soyons prudents comme les serpents et candides comme les colombes »

Rédigé par Benedict Rogers, le 31/01/2025
Alors que plusieurs centaines de millions de personnes viennent de célébrer le Nouvel an lunaire, Benedict Rogers, journaliste et militant britannique des droits humains, rappelle dans cet éditorial que cette fête est célébrée non seulement en Chine mais sur tout le continent. « Dans cette diversité, célébrons la Nouvelle année lunaire pour toutes les communautés », suggère-t-il, en invitant à adopter « la sagesse et l’ingéniosité » traditionnellement liées à l’Année du Serpent « face aux nombreux défis et conflits à travers l’Asie et le monde entier ».
Cette semaine, plusieurs centaines de millions de personnes à travers l’Asie et le monde entier célèbrent la Nouvelle année lunaire et inaugurent l’Année du Serpent. Nous leur souhaitons de joyeuses célébrations avec leurs familles, leurs amis et leurs communautés. Alors que nous accueillons l’Année du Serpent, on peut considérer trois observations importantes.
Tout d’abord, les caractéristiques associées au serpent. Selon le zodiaque chinois, chaque Nouvelle année lunaire est marquée par un nouveau symbole animal, et chacun d’entre eux représente des caractéristiques particulières. Beaucoup d’experts disent que ceux qui sont nés durant l’Année du Serpent sont intelligents, stratèges, créatifs et charmants, ainsi qu’ingénieux, perspicaces et intuitifs. Mais ils peuvent aussi être secrets, rusés et impitoyables. L’Année du Serpent est aussi décrite comme apportant la sagesse et l’adaptabilité. Alors que nous faisons face à une série de défis et de conflits à travers l’Asie et le monde, nous aurons besoin de toutes ces caractéristiques cette année.
La Nouvelle année lunaire, et non le Nouvel an chinois
Deuxièmement, souvenons-nous que nous célébrons la Nouvelle année lunaire, et non le Nouvel an chinois. C’est une distinction importante que beaucoup de mes amis pro-démocratie de Hong-Kong aiment faire remarquer avec justesse. Chaque année, le régime du Parti communiste chinois (PCC) de Pékin cherche à récupérer ce festival, le politiser, pour le transformer en campagne de propagande. Le PCC essaie toujours de changer le Nouvel an lunaire en un test de loyauté envers sa propre idéologie ou en arme destinée à alimenter le nationalisme chinois. Mais beaucoup de communautés en dehors de Chine célèbrent elles aussi ce festival, et nous devons assurer que notre rhétorique soit inclusive. C’est leur célébration, et non pas celle de Xi Jinping et de ses partisans.

Avant tout, le Nouvel an lunaire est célébré par beaucoup de gens d’ethnie chinoise qui n’ont aucun lien avec le PCC ni aucune allégeance envers l’État chinois contemporain – à travers la Chine, à Hong-Kong, Taïwan et Singapour, ainsi qu’en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande, en Birmanie et au-delà. De plus, c’est un festival qui est également célébré par les Coréens, les Japonais et les Vietnamiens, entre autres. Ne rentrons donc pas dans le jeu politique et nationaliste de Pékin. Par ailleurs, le Nouvel an lunaire est aussi célébré par les Tibétains – avec leur festival de Losar – presque un mois plus tard, du 10 au 12 février, d’une manière similaire avec le Noël orthodoxe fêté plusieurs semaines après les autres chrétiens. Dans beaucoup de nos différentes traditions, nous fonctionnons selon des calendriers divergents. Dans cette diversité, célébrons la Nouvelle année lunaire pour toutes les communautés, à travers l’Asie et le monde entier.
« Gong Hei Fat Choy ! »
Troisièmement, le Nouvel an lunaire est un temps consacré à la famille et aux amis qui se rassemblent, pour partager des repas festifs, échanger des cadeaux (en général l’enveloppe rouge contenant de l’argent, appelée en mandarin hóngbāo ou en cantonais lai see) et profiter des coutumes traditionnelles, d’une manière semblable à ce que représente Noël pour beaucoup en Occident et pour les chrétiens dans le monde entier.
C’est pourquoi nous pensons à ceux qui sont séparés de leurs proches défunts en ces temps festifs à cause des répressions, des persécutions et des conflits. Alors que les familles et amis partagent ensemble les repas traditionnels, souvenons-nous de ceux qui sont en prison à cause de leurs convictions politiques ou religieuses, et qui ne peuvent célébrer avec leurs proches. On pense notamment au plus célèbre prisonnier politique de Hong-Kong, Jimmy Lai, un citoyen britannique de 77 ans qui a déjà passé plus de quatre ans en prison, et dont le procès continue. On pense aussi à l’avocate Chow Hang-tung, au leader étudiant Joshua Wong, au professeur de droit Benny Tai et à tous les prisonniers politiques à Hong-Kong.
Souvenons-nous aussi de tous les prisonniers d’opinion à travers la Chine. Des gens comme l’avocate et lanceuse d’alerte chinoise Zhang Zhan, emprisonnée pour sa couverture du début de la pandémie de Covid-19 à Wuhan, ou comme le pasteur Wang Yi, fondateur de l’Église de l’alliance de la pluie d’automne (Early Rain Covenant Church). Ou comme les nombreux dissidents, blogueurs, défenseurs des droits de l’homme, avocats, chrétiens, adeptes du Falun Gong et lanceurs d’alertes qui sont aujourd’hui dans les prisons chinoises. Pensons aussi à ceux qui sont dans camps de réfugiés et de prisonniers au Xinjiang et en Corée du Nord, ou dans les camps accueillant les déplacés internes le long des frontières birmanes.
Nous nous tournons aussi vers les démocraties en Asie, où ce festival est célébré et où la liberté est pourtant de plus en plus menacée, comme à Taïwan face à Pékin, ou en Corée du Sud dont l’exemple de démocratie a été terni ces derniers mois. Nous prions pour que durant l’Année du Serpent, ces pays soient raffermis, renouvelés et suffisamment équipés face aux menaces et face aux crises.
Nous pensons aussi aux diasporas à travers le monde, pour qu’elles puissent célébrer ce festival en partageant la sagesse et la joie de leurs coutumes avec leurs nouvelles communautés élargies. En particulier, nous pensons aux centaines de milliers de Hongkongais qui se sont installés ces dernières années au Royaume-Uni, au Canada, en Australie, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. À eux, je dis chaleureusement : Gong Hei Fat Choy ! (vœux de bonne année en cantonais)
« Envoyés comme des brebis au milieu des loups »
Tous les plus grands festivals culturels et religieux à travers le monde – qu’il s’agisse de Noël et Pâques, l’Aid, Hannukah, Diwali, ou le Festival bouddhiste de l’Eau en l’Asie du Sud-Est – nous offrent des opportunités de réfléchir, de nous purifier et de nous renouveler. En Asie et dans le monde, nous traversons une période sombre et il y a beaucoup de lieux en péril. Mais laissons tous nos festivals – aux images de lumière, d’amour, de purification et de renouveau – nous inspirer afin de redynamiser nos communautés, reconstruire nos sociétés et libérer nos peuples. Les lumières de Noël, de Hannukah et de la Nouvelle année lunaire, la purification du Festival bouddhiste de l’Eau, les jeûnes du Carême et du Ramadan ainsi que les renouveaux apportés par l’Aid et par Pâques donnent à tous une vie nouvelle.
Le serpent est une des créatures que j’aime le moins, mais essayons d’illustrer ses meilleures vertus. Dans nos combats pour la liberté et la justice, soyons plus intelligents, créatifs, stratèges et ingénieux. Cette année, dans notre quête pour la dignité humaine et les droits de l’homme – alors que nous sommes envoyés comme des brebis au milieu des loups –, invoquons l’appel contenu dans l’Évangile de Saint-Matthieu : soyons « prudents comme les serpents et candides comme les colombes ». Je souhaite à tous mes amis qui se réjouissent cette semaine, un joyeux Nouvel an lunaire.
(Avec Ucanews, Benedict Rogers)
Benedict Rogers est un militant britannique des droits humains et journaliste basé à Londres. Son travail se concentre sur l’Asie, notamment la Birmanie, la Corée du Nord, l’Indonésie, les Maldives, le Timor oriental, le Pakistan et Hong-Kong. Il est notamment Cofondateur de l’ICNK (Coalition mondiale pour mettre un terme aux crimes contre l’humanité en Corée du Nord).