Cardinal Goh : « Nous devons avoir une relation personnelle avec Jésus, et l’Église doit donner cette opportunité »
Le cardinal William Goh, archevêque de Singapour depuis début 2013 et créé cardinal en 2022. © Sean Boyce / EWTN NewsLe 18/05/2024
Pour le cardinal William Goh, archevêque de Singapour, la clé pour transmettre la foi, c’est de s’éloigner d’une foi trop institutionnelle ou routinière, pour vivre une « vraie rencontre personnelle avec Jésus ». « Nous devons permettre aux jeunes de vivre une rencontre profonde avec Jésus », insiste-t-il. Dans une interview publiée initialement par le média catholique américain EWTN News, le cardinal singapourien évoque quelques questions et défis posés à l’Église locale, notamment sur le thème de l’évangélisation.
Le pape François a annoncé récemment son intention de se rendre en Asie du Sud-Est, afin de visiter l’Indonésie, la Papouasie Nouvelle-Guinée, le Timor oriental et Singapour. La nation insulaire de Singapour est l’une des régions asiatiques les plus diverses sur le plan ethnique et religieux, et compte environ 395 000 catholiques. La cité-État, petite mais d’importance stratégique, détient aussi la plus forte densité urbaine en Asie, mais elle est aussi classée comme le pays où l’on trouve la qualité de vie la plus élevée sur le continent.
Comme partout ailleurs, Singapour est aussi confronté aux menaces de la sécularisation et du relativisme, ainsi qu’à une perte des valeurs traditionnelles, en particulier concernant l’engagement familial et le respect des plus âgés. Le pasteur spirituel de l’Église à Singapour est le cardinal William Goh, archevêque depuis début 2013 et cardinal depuis 2022. Extraits d’une interview réalisée le 19 avril par Matthew Bunson, vice-président et directeur éditorial du média catholique américain EWTN News.
Quand vous avez été nommé membre du collège des cardinaux, comment avez-vous vécu cette expérience, avec ces nouvelles responsabilités et cette relation particulière avec Rome ?
En tant que cardinaux, nous avons certainement une plus grande responsabilité envers l’Église universelle. Mais pour l’instant, j’ai seulement participé à deux consistoires ainsi qu’à une réunion en tant que membre du dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie. Je crois que ce que fait le pape François est une bonne chose, en créant des cardinaux du monde entier. L’Église doit être inclusive, universelle.
Mais je pense que la difficulté, c’est d’amener les cardinaux à bien se connaître, surtout quand il s’agira de se rassembler pour élire un pape en conclave. Ce serait nécessaire, mais pour l’instant, je pense que la plupart d’entre nous ne nous connaissons pas, et tous ne parlent pas italien. Donc je pense qu’il faudrait une plus grande communion entre les cardinaux.
Que signifie la visite du pape à Singapour ? Jean-Paul II a fait une brève visite en 1986, quel souvenir en avez-vous ? Quelles sont vos espérances pour celle de septembre ?
Tout d’abord, François est très populaire auprès de beaucoup de nos fidèles, et je pense qu’il est porteur d’espérance. Il apporte aussi la miséricorde et la compassion. C’est son atout, vraiment, alors qu’il essaie de continuer l’œuvre du pape saint Jean-Paul II et du pape Benoît XVI. Le thème de l’évangélisation est très cher au cœur du pape François, mais sa façon d’évangéliser, c’est vraiment de proclamer la joie de l’Évangile, ce qui inclut le fait d’accueillir les gens, d’être avec les pauvres et les marginalisés.
Dans cet esprit, il pourra promouvoir une plus grande unité et renforcer la foi de nos catholiques, et aussi inspirer tous les croyants d’autres confessions, en montrant que l’Église ne se préoccupe pas seulement d’elle-même mais qu’elle est au service de l’humanité. En fait, les responsables religieux non catholiques à Singapour apprécient beaucoup le pape François, et ils le tiennent en haute estime.
Ici, les chrétiens représentent environ 20 % de la population. Quelles sont les opportunités pour le dialogue œcuménique et interreligieux à Singapour ? Le contexte semble très riche pour cela.
Oui, c’est quelque chose d’assez unique à Singapour. Nous essayons de faire de Singapour un symbole, une figure de proue de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux. Cependant, je pense que c’est un peu difficile pour les autres pays d’imiter ce que nous faisons ici. Nous avons des relations excellentes avec toutes les autres religions. Nous connaissons tous les responsables religieux de nom, et pour nous ce sont des amis.
Nous sommes très coopératifs et amicaux les uns avec les autres. Nous nous visitons lors des fêtes religieuses. Nous nous rencontrons souvent, nous partageons, et il y a beaucoup de respect mutuel et d’appréciation. Il y a aussi le fait qu’à Singapour, nous avons une loi qui interdit à quiconque de parler mal d’une autre religion. Cela aide beaucoup, et cela renforce le respect, parce que c’est quelque chose de très sensible. En termes d’œcuménisme, nous sommes en très bons termes avec les chrétiens, nous nous soutenons mutuellement.
Ici, comme partout, l’Église subit la pression de la sécularisation et du relativisme…
Face à la sécularisation, à l’individualisme et à tous les « ismes », je pense que l’Église doit être fidèle à ce qu’elle proclame. Je ne crois pas que nous devions rendre le message de l’Évangile différent ou le diluer. La vérité doit être dite parce que la vérité nous rend libre. Mais bien sûr, la vérité doit aussi être annoncée avec charité. C’est très important. Mais je ne crois pas que nous devions transiger avec l’Évangile. Ma crainte, c’est qu’aujourd’hui, même des responsables d’Église transigent avec l’Evangile. Je ne pense pas que Jésus l’ait jamais fait, même face à la femme adultère. Il a dit « Je ne te condamne pas, va et désormais ne pèche plus ». Je pense qu’il faut le mentionner. C’est là qu’intervient l’importance de l’honnêteté, de la miséricorde et de la compassion.
Singapour a été décrit comme un pont entre l’Occident et l’Orient. Qu’est-ce que cette région peut montrer à l’Église universelle, en termes d’harmonie et de direction à prendre ?
Je pense que Singapour peut être un modèle de différentes manières. Notamment sur la difficulté de parvenir à rester fidèle à la foi dans un pays riche. Car les problèmes de Singapour sont surtout ceux du monde industrialisé. À Singapour, je pense que nous pouvons aussi être vraiment utiles pour l’harmonie interreligieuse. C’est notre force : nous nous voyons nous-même comme un pays multiethnique et multireligieux. C’est là que Singapour peut montrer la voie : comment, dans un pays très cosmopolite, très divers sur le plan religieux, nous pouvons vivre ensemble. Tant qu’il y a le respect, l’écoute des autres, je pense que nous pouvons travailler ensemble.
L’Asie fait partie des régions du monde où la population catholique grandit. Qu’est-ce que le reste de l’Église peut apprendre de l’expérience asiatique ?
Je pense que le problème avec les pays chrétiens comme en Europe, c’est que la foi y est devenue trop institutionnelle. La religion est devenue ritualisée, routinière, cela devient presque une coutume. Ce n’est plus une foi personnelle. Il n’y a plus de rencontre personnelle avec Jésus. En Asie, parce que beaucoup sont des convertis, ces gens ont étudié la foi, ils ont rencontré Jésus.
À propos des luttes idéologiques actuelles, qu’il s’agisse de la théorie du genre, de l’avortement, de l’euthanasie ou autre, je pense que tout ceci se passe parce qu’on agit selon ses idées, avec la tête, donc on peut argumenter comme on veut. Pour nous qui sommes catholiques, si nous rencontrons Jésus, nous savons qu’il est notre Seigneur et Sauveur. Nous apprenons à accepter tout ce qui est enseigné dans les Écritures. À vivre notre vie selon ce que Jésus a vécu et enseigné, même si nous ne sommes pas d’accord – parce que nous avons confiance en lui.
C’est mon approche pastorale envers ceux qui sont hostiles à l’Église. Nous ne pouvons pas imposer nos doctrines à ces gens, donc je les invite à connaître Jésus, à se laisser toucher par son amour. Je crois que Jésus prendra soin d’eux. Mon message à ces gens, c’est Jésus. Nous devons avoir une relation personnelle avec Jésus, et l’Église doit donner cette opportunité. C’est ma crainte vis-à-vis des jeunes d’aujourd’hui. S’ils grandissent dans une famille catholique traditionnelle, mais que la foi de leurs parents est faible, comme le dit le pape François, on peut dire « adieu à la foi ». Parce qu’il n’y a plus de foi, celle-ci devient routinière, factice. C’est pourquoi nous essayons de leur permettre de vivre une rencontre profonde avec Jésus.
Éminence, j’aimerais terminer par une chose particulièrement claire à Singapour : l’importance de la famille. Le pape parle de respecter les générations, de créer des ponts. Quel est le secret à Singapour ?
De manière générale, à Singapour, cela ne concerne pas que l’Église catholique en particulier mais toute la société asiatique. Nous avons tendance à donner plus d’importance à la famille, à la piété familiale, à la piété filiale. Mais cela a tendance à s’éroder à cause de l’influence occidentale, à cause de l’opulence, et parce que les gens veulent vivre mieux… Il y a beaucoup de menaces contre la famille, même à Singapour. Mais nous avons beaucoup d’organisations (onze, je crois) consacrées à la vie familiale. Parce que nous appartenons à la culture asiatique, la dimension familiale est toujours importante, mais nous devons la protéger. Et le gouvernement travaille avec nous.
(Avec Matthew Bunson / Catholic News Agency et National Catholic Register)