Ce que les chrétiens peuvent apprendre de l’hindouisme

Rédigé par Anantanand Rambachand, le 27/03/2025
Anantanand Rambachand est l’auteur du livre « Chemins pour un dialogue hindou-chrétien » (Pathways to Hindu-Christian Dialogue – voir encadré). Il développe le point de vue hindouiste sur le dialogue interreligieux avec les chrétiens. Dans cet extrait du chapitre « ce que les chrétiens peuvent apprendre de l’hindouisme », il explique les similitudes et les différences entre la notion chrétienne de péché et la notion hindouiste d’ignorance qui aboutissent dans les deux cas au désordre du monde.
Je voudrais commencer ce chapitre par un aveu : il m’est bien plus difficile à écrire que le précédent, qui portait sur ce que les hindous peuvent apprendre du christianisme. Malgré le titre de ce chapitre, mon objectif n’est pas d’expliquer aux chrétiens ce qu’ils devraient apprendre de l’hindouisme : je n’ai aucune recette toute faite à donner. Apprendre d’une autre tradition est un processus profond et lent, qui exige humilité, ouverture, discernement, confiance et empathie. C’est un engagement qui sollicite à la fois l’esprit et le cœur. Connaître une autre religion est un chemin d’engagement au cours duquel on découvre, par soi-même, la sagesse d’une autre tradition qui enrichit sa propre vie spirituelle.
Il faut ajouter un apprentissage interreligieux véritable est toujours mutuel. Gandhi l’avait ainsi exprimé clairement aux missionnaires chrétiens, et ses paroles s’appliquent à toutes les religions :
« La toute-puissance de Dieu ne doit pas être limitée par les capacités de compréhension humaines. À vous qui êtes venus enseigner à l’Inde, je dis donc : vous ne pouvez pas donner sans recevoir. Si vous êtes venus offrir de riches trésors d’expériences, ouvrez aussi vos cœurs pour recevoir les trésors de cette terre, et vous ne serez pas déçus, pas plus que vous n’aurez mal interprété le message de la Bible. »
« Vous ne pouvez pas donner sans recevoir. » Ces mots de Gandhi résonnent comme une vérité profonde. On ne peut tendre la main à autrui sans recevoir en retour, et offrir quelque chose à une autre tradition suppose une ouverture à recevoir également d’elle. Je vais parler ici de ce que les hindous ont à offrir, mais je suis conscient que nous sommes aussi des récipiendaires des enseignements des chrétiens qui incarnent les paroles de Jésus. Il est essentiel que notre apprentissage soit mutuel.
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Mon profond intérêt pour la tradition chrétienne vient de mon éducation dans un environnement de religions diverses, de ma scolarité dans un lycée chrétien, de mon expérience de professeur au département des religions de la faculté Saint Olaf, et de ma participation pendant plus de quarante ans au dialogue hindou-chrétien sous l’égide du Conseil œcuménique des Églises, du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux du Vatican, ainsi que d’autres grandes organisations.
Mon objectif dans ce chapitre est d’identifier des points significatifs de la tradition hindoue qui pourraient ouvrir des portes à un dialogue approfondi, à un apprentissage mutuel et à un enrichissement réciproque. Je ne prétends pas que les hindous ont toujours été fidèles à ces idées, et je ne suggère pas non plus la supériorité d’une tradition sur une autre.
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Le problème humain
L’un de mes versets préférés de la Bhagavadgītā provient du sixième chapitre (30) :
« Pour ceux qui me voient partout et voient tout en moi, je ne suis jamais perdu, et ils ne sont jamais perdus pour moi. »
(yo mām pashyati sarvatra / sarvam cha mayi pashyati / tasyāhaṁ na praṇaśhyāmi / sa cha me na praṇaśhyati).
La Katha Upaniṣad (1.2.20) décrit le divin comme étant « plus petit que le plus petit et plus grand que le plus grand, habitant dans le cœur de tous les êtres » (anoraṇiyānmahato mahīyanātmāsyajantornihitoguhāyām).
Le principe qui traverse les traditions hindoues est que nous ne sommes pas et ne pouvons jamais être séparés de Dieu, ni dans l’espace ni dans le temps. C’est une vérité, que nous en soyons conscients ou non. C’est pourquoi la tradition hindoue décrit la question du péché d’une manière différente de la plupart des traditions chrétiennes. Elle le considère comme une forme d’ignorance (avidyā). La nature humaine n’est pas fondamentalement corrompue ou déchue, mais notre compréhension de nous-mêmes est obscurcie. Dans cet état d’ignorance, nous ne réalisons pas que nous partageons la plénitude du divin, qui est plus grand que le plus grand et plus petit que le plus petit, présent au cœur de tout et dans notre propre être. C’est cette plénitude que nous cherchons véritablement et qui seule peut nous satisfaire.
Les conséquences de l’ignorance ne doivent pas être sous-estimées. Elles sont considérables et engendrent de grandes souffrances, aussi bien pour l’individu que pour la société. Les Upaniṣads décrivent l’ignorance comme l’un des trois « nœuds du cœur » (hṛdayagranthi) dont il faut se libérer. Ces trois nœuds sont l’ignorance, le désir et les actions motivées par ce désir (avidyā-kāma-karma). Ignorants de la plénitude divine que nous partageons et qui nous unit à tout, nous souffrons de la méconnaissance de notre véritable nature. Pour découvrir cette plénitude de Dieu en laquelle nous avons notre être, nous avons besoin d’aide. Cette aide prend la forme d’un maître bienveillant dont la guidance nous permet de découvrir la vérité sur nous-mêmes. La Chandogya Upaniṣad (6.14.2) compare la personne sous l’emprise de l’ignorance à quelqu’un qui aurait été arraché de force à son foyer bien-aimé, les yeux bandés, puis abandonné dans un désert. Un être bienveillant entend son appel à l’aide, enlève son bandeau et lui montre le chemin du retour. De la même manière, un guide compatissant libère l’individu enchaîné par l’avidyā.
Les traditions hindoue et chrétienne identifient toutes deux un problème fondamental à surmonter, mais elles le décrivent différemment. Pour la tradition chrétienne, l’accent est mis sur le péché originel, et non sur l’ignorance. À cause du péché, nous vivons dans un état de chute dont nous devons être sauvés, car nous ne pouvons pas nous sauver nous-mêmes. Cependant, les conséquences du péché et de l’ignorance sont assez similaires : égocentrisme, fragmentation, cupidité, séparation et aliénation.
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Conclusion
La Bhagavadgītā (12:13) décrit celui qui est cher à Dieu comme étant compatissant, miséricordieux, amical, et dénué de haine ou d’égoïsme. Elle recommande de s’identifier aux autres dans la souffrance comme dans le bonheur (6:32) et de trouver du plaisir à œuvrer pour le bien-être des autres (12:4). Dans nos deux traditions, une vie religieuse centrée sur soi-même est une contradiction. Les enseignements les plus importants de nos traditions ne nous détournent pas de nos voisins dans le besoin ni ne nous rendent sourds à leurs appels à l’aide. Notre compréhension de Dieu n’est authentique que si elle s’exprime activement dans des vies empreintes de compassion et dans un travail visant à alléger la souffrance. Nous vivons le service des autres comme un humble privilège et une opportunité de servir Dieu.
Les hindous et les chrétiens, qui reconnaissent l’importance de la libération dans nos vies sur cette terre, peuvent s’aider mutuellement à approfondir leur compréhension des engagements religieux et à œuvrer ensemble pour surmonter la souffrance et l’injustice dans notre monde.
Nous pouvons nous tenir ensemble et unir nos voix contre toute idéologie ou structure politique et sociale qui nie la dignité et l’humanité des individus, ou qui cautionne l’injustice et l’irrespect. Nous pouvons parler d’une seule voix pour la justice, non seulement pour des raisons politiques et économiques, mais aussi pour témoigner de la présence divine au cœur de chaque être humain. Aujourd’hui, discerner cette présence divine nous appelle avec urgence à prendre soin de notre maison commune, la Terre, ainsi qu’à des efforts conjoints pour stopper sa dégradation et promouvoir la responsabilité écologique dans nos nations, nos communautés et nos entreprises.
Dans ces tâches, chrétiens et hindous peuvent apprendre les uns des autres et œuvrer ensemble avec joie.
Extrait tiré du livre Pathways to Hindu-Christian Dialogue d’Anantanand Rambachand
Sélectionné et traduit par Sophie Agueh – Ad Extra
Anantanand Rambachan est professeur de religion à la Faculté Saint Olaf, dans le Minnesota, aux États-Unis depuis 1985. Hindou de confession, il a été le premier président non chrétien du département de religion de cet établissement luthérien. Il est membre du Comité directeur pour l’éducation théologique de l’American Academy of Religion, du Conseil consultatif du Centre d’étude de la religion et de la société de l’Université de Victoria (Colombie-Britannique, Canada), conseiller pour le Pluralism Project de l’Université Harvard, président du conseil d’administration du MN Multifaith Network, ainsi que membre de la Consultation on Population and Ethics, une organisation non gouvernementale affiliée aux Nations unies. Rambachan est très impliqué dans le dialogue interreligieux. Il est un membre actif du programme de dialogue du Conseil œcuménique des Églises et a participé aux quatre dernières Assemblées générales. |

Pathways to Hindu-Christian Dialogue
Fortress Press, 2022 – English – 158 pages
Hindous et chrétiens ont une longue histoire d’interactions sur le sous-continent indien. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, avec l’augmentation des possibilités d’immigration, hindous et chrétiens vivent côte à côte dans de nombreuses régions du monde occidental, et le nombre de mariages et de familles hindou-chrétiennes ne cesse de croître.
En Amérique du Nord, par exemple, la population hindoue approche les trois millions de personnes. De nombreux étudiants hindous fréquentent des universités ayant une histoire et des idéaux chrétiens. Afin d’éviter le risque que ces communautés partagent un même espace géographique sans réellement se comprendre, Pathways to Hindu-Christian Dialogue propose un dialogue favorisant la compréhension mutuelle, le respect et l’apprentissage au sein des deux traditions.