Corée du Sud : « Une victoire pour la démocratie », mais Séoul doit « agir rapidement pour défendre sa Constitution »
La Cloche de la démocratie de Gwangju, qui porte l’inscription « cloche de la démocratie » écrite de la main de l’ancien président Kim Dae-jung. © Steve46814 / CC BY-SA 3.0Le 06/12/2024
« C’est avec un choc immense que j’ai digéré la nouvelle de la déclaration de la loi martiale cette semaine par le président Yoon », écrit Benedict Rogers, militant des droits humains et journaliste britannique, dont le travail se concentre sur l’Asie, notamment la Corée du Nord. « La Corée du Sud a toujours été une des nations que j’ai le plus admiré en Asie », ajoute-t-il. Impressionné depuis toujours par « sa démocratie solide, sa société civile active et son économie dynamique », il appelle le pays à « résister aux tentatives des forces antidémocratiques ».
Parmi les nations asiatiques où la liberté et les droits de l’homme sont menacés ou bafoués, il y en a beaucoup qui me préoccupent, mais la Corée du Sud n’a jamais été sur ma liste. Au contraire, j’ai toujours considéré la Corée du Sud comme une alliée. La Corée du Sud a toujours été une des nations que j’ai le plus admirées en Asie. Sa démocratie solide, sa société civile active et son économie dynamique m’ont toujours fortement impressionné.
C’est donc avec un choc immense que j’ai digéré la nouvelle de la déclaration de la loi martiale cette semaine par le président Yoon Suk-yeol. C’est avec beaucoup d’inquiétude que j’ai assisté aux scènes des soldats prenant d’assaut le Parlement à Séoul. J’ai été dans ce Parlement – l’Assemblée nationale – de nombreuses fois, j’y ai rencontré des élus dans leurs bureaux, et j’ai parlé à des manifestants devant l’institution. J’aimais je n’aurais pu prédire qu’en 2024, des soldats y seraient déployés pour l’assiéger.
Bien sûr, un des points à se rappeler à propos des scènes choquantes du 3 décembre est cela : l’assemblée a voté unanimement – et courageusement – la levée de la loi martiale, et les élus leurs collaborateurs se sont barricadés en repoussant les soldats. Finalement, les militaires ont cédé. C’est donc semble-t-il – au moins pour l’instant – une victoire pour la démocratie.
La cathédrale de Séoul, symbole de la route vers la démocratie
Il faut aussi noter que la démocratie sud-coréenne est encore jeune. Le pays a été dirigé par des dictateurs autoritaires jusqu’en 1987, et la démocratie participative n’y a vraiment été établie que depuis les deux dernières décennies. De fait, durant les manifestations pro-démocratie de 1987, les soldats et la police s’en sont pris aux manifestants, dont beaucoup se sont cachés dans la cathédrale de Myeongdong (Séoul).
Quand les troupes sont arrivées à la cathédrale – où j’ai assisté à la messe de nombreuses fois –, l’archevêque de Séoul, le cardinal Stephen Kim Sou-hwan, leur a fait face devant la cathédrale. Le cardinal Kim avait déjà demandé aux prêtres et aux religieuses de se placer derrière lui. Et il a défié ainsi les militaires : « Vous pouvez arrêter les manifestants. Mais vous devez d’abord m’arrêter moi, puis vous devrez prendre tout le clergé, puis tous les religieux. Alors seulement vous pourrez emmener les manifestants. » Les soldats ont cédé, et la transition vers la démocratie a débuté en Corée du Sud.
Le fervent catholique Kim Dae-jung, homme d’État sud-coréen et lauréat du Prix Nobel de la paix de l’an 2000, a été déterminant, bien sûr, ainsi que le saint pape Jean-Paul II, qui a prié pour la réunification de la péninsule en 1989 lors d’une visite historique à Séoul.
Démocratie, croissance économique et vitalité spirituelle
J’ai travaillé étroitement avec les gouvernements, diplomates et hommes politiques successifs en Corée du Sud, afin de mettre en lumière les crises des droits de l’homme en Corée du Nord, les menaces posées par le régime de Kim Jong-un dans la péninsule, et les contrastes entre le Sud et le Nord. J’ai visité la Corée du Sud au moins une douzaine de fois au cours des quinze dernières années. C’est un pays que j’aime.
Chaque fois que je parle d’un sujet, je montre une carte satellite de la péninsule coréenne, qui illustre la différence : le nord presque toujours dans le noir, le Sud toujours avec des brillantes lumières. J’ai toujours démontré que cette image symbolise les ténèbres de la répression totalitaire, de l’arriération économique et de la pauvreté spirituelle au Nord, contre les lumières de la liberté et de la démocratie, de la croissance économique, et de la vitalité spirituelle au Sud.
Cet argument ne fonctionne que si la Corée du Sud et tous ses alliés défendent constamment les valeurs de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme. On ne peut pas défendre la démocratie et les droits de l’homme en appliquant la loi martiale – les deux sont incompatibles et contradictoires. Les actes du président Yoon ont été contre-productifs et destructeurs.
La démocratie à travers le monde est déjà fragile et attaquée par des menaces extérieures, sans voir chanceler des démocraties respectées et établies. Il s’est montré particulièrement malavisé et déraisonnable, en offrant à Kim Jong-un à Pyongyang, à Xi Jinping à Pékin, et à Vladimir Poutine à Moscou, une arme qui pourra être utilisée non pas contre Séoul mais contre le monde libre.
Restaurer la confiance en la démocratie, à Séoul et ailleurs
Espérons que la résistance courageuse des législateurs sud-coréens – dont beaucoup d’élus du propre parti de Yoon – restaurera la confiance en la démocratie, non seulement à Séoul mais dans tout le monde libre. Certains ont affirmé que le président Yoon aurait agi ainsi parce qu’il craignait la destitution, que ce soit à cause de sa propre conduite ou des accusations de corruption contre la Première dame.
Lui-même a soutenu de son côté que ses craintes étaient alimentées par les groupes pro-Corée du Nord au sein du gouvernement sud-coréen. Il n’a cependant pas fourni de preuves suffisantes d’une telle affirmation, même si cela ne me surprendrait pas. Mais le problème, c’est que dans une démocratie, on ne peut pas réagir à de telles suspicions ou accusations en imposant la loi martiale. Il y a d’autres outils politiques ou constitutionnels qui auraient pu, et auraient dû être déployés de manière plus appropriée.
Si la Corée du Sud veut continuer de vivre les valeurs qu’elle a défendues au cours des 25 dernières années au moins, et résister avec succès aux tentatives des forces antidémocratiques – qu’elles soient pro-Corée du Nord ou non –, elle doit agir rapidement en protégeant sa Constitution, en rejetant toute tentative de renverser la démocratie et en défendant ses libertés.
La Corée du Sud est comme un phare qui éclaire toute la région, en raison de ses libertés et de sa démocratie. Si elle perd cela, les lumières s’éteindront dans toute la péninsule, et elles deviendront plus fragiles dans une bonne partie de l’Asie.
Benedict Rogers est un militant britannique des droits humains et journaliste basé à Londres. Son travail se concentre sur l’Asie, notamment la Birmanie, la Corée du Nord, l’Indonésie, les Maldives, le Timor oriental, le Pakistan et Hong-Kong. Il est notamment Cofondateur de l’ICNK (Coalition mondiale pour mettre un terme aux crimes contre l’humanité en Corée du Nord).
(Avec Ucanews / Benedict Rogers)