Dans la Birmanie post-séisme, au milieu du chaos, une junte sans état d’âme

Le 04/04/2025
Alors que la Birmanie tente de se relever du plus violent séisme qu’elle ait connu depuis un siècle, le politologue Olivier Guillard dénonce le mépris glaçant que la junte militaire continue d’afficher envers la population sinistrée. Entre son refus de suspendre les festivités nationales, ses tergiversations autour d’un cessez-le-feu et l’absence d’une aide d’urgence à la hauteur de la catastrophe, le régime du général Min Aung Hlaing confirme son indifférence aux souffrances du pays d’Asie du Sud-Est.
Dans ce pays du Sud-Est asiatique, durement éprouvé le 28 mars par le plus violent séisme depuis un siècle en ces terres de bouddhisme (88 % de la population[1]), on aurait pu attendre des généraux – de retour au pouvoir en février 2021 dans la foulée d’un énième coup d’État – un minimum de compassion pour leurs concitoyens, pour les milliers de disparus et leur famille, pour celles et ceux ayant tout perdu ou presque.
Une semaine après le tremblement de terre destructeur et meurtrier, intervenu au nord-ouest de Mandalay (2e ville du pays), dans la région de Sagaing, il n’y a toujours aucune trace de commisération de la part des hommes en uniforme. Si l’on ne saurait bien sûr leur imputer la responsabilité de ce désastre naturel intervenu dans une région notoirement sismique (jonction des plaques tectoniques asiatique et eurasiatique), ils ont pourtant bien d’autres choses à se reprocher.
Hélas, rien qui ne surprendra l’observateur du microcosme militaire birman, plus pétri d’égocentrisme, de dédain pour le voisin et de rejet de toute démocratie que d’empathie pour le sort quotidien des 55 millions de Birmans ventilés dans l’incroyable kaléidoscope ethnique national (quelque 135 groupes ethniques distincts répertoriés).

La fête de l’eau maintenue du 13 au 16 avril
Ces derniers apprenaient ce mercredi 2 avril, cinq jours à peine après la tragédie et en pleine période de deuil national, que le régime militaire (State Administration Council, SAC) du général Min Aung Hlaing (n° 1 de la junte) ne voyait « aucune raison » – malgré les circonstances tragiques – de repousser les célébrations de la fête de l’eau (Thingyan Festival), programmées du 13 au 16 avril.
Le général compte encore moins déprogrammer son déplacement officiel à Bangkok (Thaïlande) ce vendredi 4 avril, pour un sommet régional (Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral Technical and Economic Cooperation) pourtant loin de constituer l’événement international de l’année.
À l’encontre du bon sens et des attentes populaires et avec la morgue traditionnelle la caractérisant, la junte a également traîné jusqu’au 2 avril pour accepter (enfin) un cessez-le-feu temporaire dans les combats l’opposant à la résistance armée. Initialement, la piste d’un cessez-le-feu a été avancée unilatéralement par le Gouvernement d’unité nationale (National Unity Government ou NUG, un gouvernement pro-démocratie « parallèle » émanant notamment de la LND d’Aung San Suu Kyi) en ces temps post-catastrophe nationale.
Un cessez-le-feu confirmé du 2 au 22 avril
La main tendue a été tout d’abord repoussée sans ménagement, les généraux voyant dans cette initiative, pourtant opportune et bien intentionnée, un répit temporaire que la résistance armée (pro-démocratie) exploiterait à son profit pour mieux reprendre ses attaques ensuite contre les forces du régime. La direction de la junte a finalement convenu du principe d’un cessez-le-feu entre le 2 et le 22 avril, pour « faciliter » les opérations d’assistance post-séisme…
Encore faut-il que les termes de ce cessez-le-feu soient scrupuleusement respectés sur le terrain par les forces du régime. En considérant l’historique de la junte à ce propos (violations des cessez-le-feu et autres trêves locales temporaires à de multiples reprises par le passé, il est permis d’avoir quelques doutes sur la solidité de cet engagement. Du reste, dès le 3 avril, la Kachin Independence Army (KIA) déplorait déjà des frappes aériennes menées par la junte dans la région de Sagaing (près de Bhamo) et dans l’État Kachin (près de la capitale Myitkyina)…
Pour sa part, sans attendre une quelconque proposition de la junte, la Brotherhood Alliance (une coalition de groupes ethniques armés anti-junte rassemblant les forces de la Myanmar National Democratic Alliance Army, de la Ta’ang National Liberation Army et de l’Arakan Army) avait suggéré un cessez-le-feu unilatéral du 1er au 30 avril. En s’associant au souhait du NUG de préserver les zones de conflit touchées par le séisme d’une affliction supplémentaire, la coalition préférait se mobiliser en apportant son écot aux opérations humanitaires, pour assister une population durement éprouvée et actuellement privée de tout.
Les curieuses priorités du pouvoir face à la catastrophe
Cette dernière ne manque pas du reste de pointer du doigt les curieuses priorités du pouvoir, en relevant notamment que durant les heures suivant le séisme, dans les zones mêmes impactées par la violence de la nature, celle des militaires s’exerçait sans retenue (poursuite des bombardements sur divers sites de la résistance dans la région de Sagaing).

Les témoins et victimes ont aussi relevé tout aussi tristement la quasi-absence de moyens militaires lourds (roulants ou volants) engagés sur les périmètres sinistrés, de personnels du génie militaire ou de la santé, pourtant en nombre dans les effectifs et les arsenaux de l’armée. On pourrait pourtant attendre logiquement qu’ils soient déployés toute affaire cessante à des fins civiles pour apporter une assistance d’urgence (eau, médicaments, nourriture) aux Birmans affligés par ces maux cumulés.
La lumière tant espérée ne saurait venir de l’organisation d’un bien hypothétique scrutin parlementaire (dont seraient écartées les principales forces politiques pro-démocratie, à l’instar de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi) annoncée la veille du séisme par la junte (et programmées entre fin décembre 2025 et janvier 2026)…
Une population éreintée, sinistrée et éprouvée
Bien hâtivement, des observateurs extérieurs emportés par un optimisme louable ont cru en l’existence d’un restant d’humanité, de raison et de bon sens dans les échelons supérieurs de la hiérarchie militaire birmane. Un capital sur lequel il s’agirait d’investir pour tenter de ramener la junte et son numéro un à la raison, lui faire prendre la mesure du chaos considérable du moment – entre la guerre civile meurtrière et destructrice fracturant chaque jour plus durement la nation et un paysage apocalyptique de désolation et de douleur dans le sillage du séisme du 28 mars.
À l’heure actuelle, dans leur capitale-refuge-place-forte de Naypyidaw (« demeure du roi ») sortie de terre dans le centre du pays voilà 20 ans, loin de Rangoun (située 300 km plus au sud), distante (à dessein) de toute frontière instable et de centre de population d’importance, les inflexibles généraux font le dos rond. Quand bien même cette improbable capitale porterait depuis le 28 mars les stigmates multiples et éloquents (bâtiments, ministères, infrastructures, routes sinistrées) de la violence de la nature.
Dans cette nation où l’interprétation des signes, la place et l’influence des augures, le rôle de l’astrologie et de la numérologie, ou encore les superstitions les plus diverses n’épargnent guère les hommes de pouvoir – pas même les généraux –, on s’interroge plus particulièrement ces derniers jours sur les possibles raisons et responsabilités expliquant la concomitance de tant de maux.
Une interrogation qui toute nécessaire soit-elle, ne saurait (hélas) à elle seule précipiter le retrait spontané de la junte des affaires politiques nationales, mettre fin aux hostilités ravageant le pays et rétablir la paix, ni venir au secours d’une population éreintée, sinistrée et éprouvée par le cataclysme centenaire sidérant Sagaing et sa région.
(Ad Extra, Olivier Guillard)
[1] On compte également quelque 6 % de chrétiens, 4 % de musulmans, 1 % d’animistes et 0,5 % d’hindous.