De l’archipel des Maldives (Asie du Sud) aux îles Salomon (Océanie), des scrutins qui sourient à Pékin
En Asie, 2024 est une année électorale. Certaines capitales dont Pékin suivent de près ces scrutins, dont ceux qui viennent de se dérouler aux Maldives et aux Îles Salomon. © Gunawan Kartapranata / CC BY-SA 3.0 DEEDLe 27/04/2024
En pleine année électorale majeure pour l’Asie (Bangladesh, Bhoutan, Pakistan, Taïwan, Indonésie, Sri Lanka, Mongolie, Cambodge, Inde, Corée du Sud…), certaines capitales asiatiques observent de près le déroulé de ces rendez-vous politiques, avec l’espoir intéressé que le parti politique ayant leur préférence emporte le scrutin. Au premier rang desquelles se trouve Pékin, qui s’intéresse ces derniers jours aux scrutins qui viennent de se dérouler aux Maldives (Asie du Sud) et aux Îles Salomon (Océanie), à la politique pro-Chine.
Au premier trimestre 2024, dans la vaste région Asie-Pacifique, plusieurs millions d’électeurs ont pu se rendre aux urnes pour renouveler leur Parlement (Bangladesh, Bhoutan, Pakistan…) ou pour désigner le candidat de leur choix à la présidence (Taïwan), voire pour des élections générales comme en Indonésie. Au trimestre suivant, l’Asie compte toujours de nombreux scrutins nationaux, dont certains d’envergure comme les élections législatives ouvertes ces derniers jours en Inde (jusqu’à fin mai en sept phases successives, les 970 millions de personnes inscrites sur les listes électorales sont invitées à voter pour désigner les 543 députés de l’Assemblée nationale, la Lok Sabha). En Corée du Sud, en Asie de l’Est, l’électorat était quant à lui convié début avril aux élections législatives, dans un scrutin parlementaire peu favorable au parti présidentiel (le parti conservateur du Président Yoon). Par ailleurs, d’ici décembre, d’autres scrutins sont prévus dans des pays où la gouvernance reste médiocre (Sri Lanka, Mongolie) et la démocratie bien ténue (Cambodge).
Des scrutins nationaux observés attentivement depuis la Chine
Ces derniers jours, à quelques milliers de kilomètres de distance, en Asie méridionale et en Océanie, deux États insulaires peu peuplés organisaient presque en même temps leurs élections législatives : la République des Maldives le 21 avril, et les Îles Salomon quatre jours plus tôt (le 17 avril). Les Maldives (régime présidentiel, 298 km²) comptent 520 000 habitants (capitale : Malé). Les Îles Salomon (28 900 km², 715 000 habitants) sont une monarchie constitutionnelle et parlementaire membre du Commonwealth (capitale : Honiara).
Entre autres particularités, ces deux archipels présentent tous deux quelques fragilités. Le Corruption Perceptions Index 2023 de Transparency International place les Salomon au 70e rang et les Maldives au 93e, sur 180 pays étudiés annuellement. Dans l’Index of Economic Freedom 2023 de la Heritage Foundation, les Maldives figurent à la 158e place, et les Salomon au 114e rang (sur 184 nations étudiées). Tous deux font l’objet de convoitises voire de franches rivalités de la part de nations régionales aux desseins stratégiques grandissants.
De fait, alors que depuis Malé et Honiara les autorités maldiviennes et des Salomon invitaient leurs électeurs à participer à ces scrutins printaniers, certaines capitales asiatiques, parfois éloignées, observaient « de très près » le déroulé de ces rendez-vous politiques ; avec l’espoir intéressé que le parti politique ayant leur préférence emporte le scrutin. Au premier rang desquelles se trouve Pékin, capitale de la République populaire de Chine ; un paradoxe pour une capitale aussi réticente à toute idée d’expression démocratique ou de scrutin.
Des formations politiques à l’agenda prochinois assumé
Dans ces deux archipels, les électeurs ont visiblement porté leur choix sur des formations politiques à l’agenda prochinois assumé ; aux Maldives plus particulièrement, où le People’s National Congress (PNC) du très sinophile président Muizzu a remporté la mise sans conteste. Ses candidats ont remporté 70 sièges sur 93 sièges à l’Assemblée nationale (Majlis). Un succès électoral inattendu, de nombreux observateurs redoutant ses conséquences sur la démocratie, l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la gouvernance, entre autres… Ce triomphe électoral comble le chef de l’État, en exercice depuis l’automne dernier (élu sur un programme politique ouvertement indo-sceptique et sino-compatible), ainsi que les autorités chinoises qui ne cachent pas leur satisfaction.
De fait, désormais en position de force, le président Muizzu devrait s’appuyer avec plus d’aisance sur le concours de Pékin pour mettre en œuvre sa feuille de route électorale ; notamment pour restructurer l’importante dette publique nationale (115 % du PIB). Une situation ne déplaît pas au créancier chinois qui se trouve en position de force vis-à-vis de Malé, en disposant d’un levier financier décisif.
Un levier susceptible d’être exercé en pressant le gouvernement maldivien d’accéder à diverses demandes (telle l’accès des navires chinois aux routes commerciales maritimes Est-Ouest à travers les 1 200 îles de l’archipel maldivien). Une perspective qui n’enchante guère New Delhi ou Washington, inquiets des éventuelles incidences sécuritaires de ce droit de passage préférentiel – pour des bâtiments militaires ou de renseignements chinois – dans cette partie si stratégique de l’océan Indien.
Honiara, cheval de Troie du Pacifique Sud ?
Quatre jours avant le scrutin aux Maldives, (21 avril), les quelque 420 000 Salomonais, 9 000 km plus à l’Est, s’étaient dirigés vers les isoloirs des 1 200 bureaux de vote répartis entre les 900 îles de l’archipel. Si aux Maldives, un parti (le PNC) a outrageusement dominé les débats, aux Salomon comme dans le reste du pays, le résultat du suffrage est moins tranché. Sur les 50 sièges de l’Assemblée nationale en jeu, aucun parti n’est en position de revendiquer la victoire, faute de pouvoir justifier d’une majorité absolue, pas même celui au pouvoir.
Comme pour les élections aux Maldives, les autorités chinoises et les grands groupes d’État de la 2e économie mondiale ont accordé une attention toute particulière à la campagne électorale et au déroulement du scrutin parlementaire aux Salomon. Ici encore, un parti avait nettement les faveurs de Pékin, le OUR Party (Ownership, Unity and Responsability) du Premier ministre M. Sogavare – sinophile déclaré.
Cinq mois à peine après son retour au pouvoir en 2019, il fut l’artisan de la rupture avec Taïwan après trois décennies de relations diplomatiques, pour rejoindre la République populaire de Chine. Avant de signer en 2022, il y a deux ans, un pacte de sécurité dénoncé à la fois par l’opposition et diverses démocraties occidentales (États-Unis, Australie) et asiatiques (Japon) pour son opacité et la part belle faite à la Chine pour étendre exponentiellement son influence dans le Pacifique-Sud.
Pékin croise les doigts pour que la politique pro-Chine se prolonge aux Salomon
À l’heure où lignes sont rédigés, le nom du prochain Premier ministre des Salomon et la composition de la prochaine coalition gouvernementale ne sont pas encore connus. Les observateurs notent qu’une intense période de négociations de couloir et autres pratiques plus sombres (des affaires de corruption ont été mises en évidence par le passé) devrait tenir en haleine la population, les capitales régionales et la Chine pendant quelques jours ou semaines. Pékin croisant les doigts pour que la politique pro-Chine du gouvernement sortant – « Look North » – se prolonge pour un nouveau mandat.
Les lecteurs se souviendront peut-être que lors des élections parlementaires de 2006, des émeutes avaient malmené l’archipel après des soupçons d’ingérence chinoise dans le déroulement du scrutin, les violences s’exerçant notamment à l’encontre des intérêts et commerces chinois. En 2019 et novembre 2021, d’autres émeutes populaires du même ordre avaient également touché la capitale et éreinté plus encore la gouvernance déjà sujette à caution du Premier ministre Sogavare.
(Ad Extra, Olivier Guillard)