Deux religieuses papoues témoignent : « Nous sommes venues pour la canonisation de notre saint »
De gauche à droite, sœur Veronica Kaupa et mère Elizabeth Tumana, religieuses papoues, ici le 24 octobre aux Missions Étrangères de Paris.
© Ad Extra
Le 31/10/2025
C’est la première fois que mère Elizabeth Tumana et sœur Veronica Kaupa, religieuses en Papouasie-Nouvelle-Guinée, viennent en Europe. Le 19 octobre, elles ont accompagné près de 200 catholiques papous lors de la messe de canonisation de sept nouveaux saints, dont Peter To Rot (1912-1945), laïc, catéchiste et père de famille, tué par les Japonais en Papouasie à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon elles, cette histoire témoigne d’une foi déjà enracinée dans la nation insulaire : « L’œuvre des saints continue ! »
Comme l’expliquent mère Elizabeth Tumana et sœur Veronica Kaupa, « nous sommes venues pour la canonisation de notre saint ». Ces religieuses papoues sont membres de la congrégation des Ancelles du Seigneur (Handmaids of the Lord), fondée en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1918 par des missionnaires français, dont Mgr Alain Guynot de Boismenu, missionnaire du Sacré-Cœur, aujourd’hui vénérable. Les premières mères supérieures ont été Thérèse Noblet, Solange de Jessey et Geneviève de Massignac.
Aujourd’hui, la congrégation est 100 % papoue. Plus de cent ans après leur fondation, c’est la première fois que ces religieuses se rendent en Europe, à l’occasion de la canonisation de Peter To Rot (1912-1945), déclaré saint le 19 octobre dernier par Léon XIV avec six autres nouveaux saints. Il s’agit du premier saint natif de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce laïc, marié, père de famille et catéchiste, a été exécuté par les Japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Accueillies en France peu après leur séjour à Rome, elles évoquent leur ordre, dont un résumé de la règle détaille l’apostolat : « S’attachant à se détacher d’elles-mêmes, les Ancelles s’appliqueront à l’éducation des enfants, au soin des malades, à l’entretien des églises et aux divers services matériels de la mission… » Selon Emmanuel Villeroy, neveu de Solange de Jessey, le fondateur a voulu fonder un ordre qui ne soit pas exogène au pays, car « les jeunes filles papoues qui souhaitaient devenir religieuses ne voulaient pas être intégrées dans une congrégation venant d’Europe avec ses propres façons de vivre ».
Après lui, plusieurs religieuses missionnaires l’ont suivi dont Thérèse Noblet, une miraculée de Lourdes et une mystique qui a dirigé les premiers pas de l’ordre. Au bout de quelques décennies, il est devenu totalement papou. Les sœurs sont aujourd’hui 26 en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où elles comptent aussi plusieurs candidates. « Tout cela se bâtit sur des fondations que nous continuons de construire », confie sœur Veronica Kaupa.
Un nouveau saint vénéré dans toute l’Océanie
Comme l’expliquent les deux religieuses papoues, saint Peter To Rot est vénéré non seulement par leur pays insulaire mais aussi dans toute l’Océanie. La fête de saint Peter To Rot, qui correspond à la date de sa mort (le 7 juillet), sera non seulement incluse dans le calendrier liturgique de Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais aussi dans celui des Îles Salomon et en Australie, ainsi que dans celui des Missionnaires du Sacré-Cœur. Les évêques de Papouasie, des Îles Salomon et de l’ensemble des îles du Pacifique sont d’ailleurs venus à Rome pour assister à sa canonisation.
Saint Peter To Rot est né en 1912 à Rabaul, dans la province actuelle de Nouvelle-Bretagne orientale (une île située à l’est de l’île principale de Papouasie), et il a été tué en 1945 sous l’occupation japonaise. « À cette époque, durant la guerre, les missionnaires étaient arrêtés et mis en prison, et il n’y avait personne pour prendre soin du peuple. Donc ils ont dit à Peter To Rot : puisque nous sommes en prison, vous serez celui qui enseignera et qui apportera la Parole de Dieu aux gens », raconte mère Elizabeth Tumana.
Au cours de cet apostolat, Peter s’est ouvertement opposé aux occupants Japonais qui avaient encouragé la polygamie en Papouasie. Alors qu’il instruisait sur les sacrements en défendant le mariage chrétien, mère Tumana explique qu’il a été tué par les Japonais, furieux devant l’insistance et le refus de Peter qui disait que c’était contraire à la foi catholique : « Il est mort à cause de cela, parce qu’il dénonçait la polygamie. Il a été exécuté parce qu’il défendait la foi catholique qui exige des époux qu’ils restent avec le même partenaire, un seul mari et une seule femme. Il a reçu une injection létale. »
Parmi les évêques papous venus à Rome, un neveu de Peter To Rot
Mère Tumana ajoute qu’il avait étudié au Collège Saint-Paul des Missionnaires du Sacré-Cœur de Taliligap (Nouvelle-Bretagne orientale). Il était donc un catéchiste formé, qui opérait en secret à cause de la restriction des pratiques religieuses imposée par les Japonais. Ainsi, il apportait la communion aux gens en empruntant les nombreux tunnels qui avaient été creusés près de Rabaul (entre 300 et 500 km de tunnels japonais creusés durant la Deuxième Guerre mondiale autour du port de Rabaul, afin de se cacher et se protéger contre les raids aériens des forces alliées).

Pour les religieuses, l’héroïsme et la foi dont a fait preuve le nouveau saint sont le témoignage d’un christianisme qui était déjà enraciné dans la culture locale, alors que la foi est arrivée au milieu du XIXe siècle en Papouasie, et notamment en 1882 à Rabaul (quand les Missionnaires du Sacré-Cœur sont arrivés pour la première fois en Nouvelle-Bretagne).
Le saint a eu une fille ainsi que deux fils, dont un qui est mort en bas âge, et un autre qui est décédé peu après la guerre. Il avait trois frères et sœurs, dont le grand-père de l’actuel archevêque de Rabaul, Mgr Joseph Rochus Tatamai. Celui-ci était présent le 19 octobre parmi les évêques papous venus à Rome. « Son grand-père était le frère de saint Peter To Rot, qui a eu deux petits-fils, Peter et Henry, et une petite-fille, Elaine », explique Mère Tumana (ce sont les enfants de l’unique fille de Peter To Rot, Rufina). « Ils sont toujours en vie [ainsi que leur mère Rufina] et nous sommes venus ensemble avec eux à Rome. »
« La graine de la foi grandit en Papouasie »
« La Papouasie a été évangélisée par les premiers missionnaires qui sont venus chez nous », raconte sœur Veronica. Ainsi, à l’époque de Peter To Rot, « la foi de la Papouasie-Nouvelle-Guinée était déjà solide », insiste mère Tumana. Et aujourd’hui, assure-t-elle, « les Papous sont si fiers de cette canonisation ». Le dimanche 19 octobre, ils étaient nombreux à suivre la canonisation depuis l’autre côté du globe.
De son côté, sœur Veronica signale d’ailleurs qu’en Papouasie, le dimanche est toujours considéré comme le « jour du Seigneur » : « Tous les commerces sont fermés, les marchés sont ouverts le matin mais ferment après la messe… » On compte une majorité de protestants de différentes confessions (environ 69 %) et près de 27 % de catholiques, et comme les deux religieuses l’expliquent, toutes ces dénominations semblent se confondre le dimanche : « Le christianisme est reconnu dans tout le Pacifique, et en particulier en Papouasie-Nouvelle-Guinée. »
« C’est une autre fierté », ajoute-t-elle, en plus de celle de la nouvelle canonisation. « Nous sommes fiers d’être Papous : sur cinq diocèses, il n’y a que des évêques locaux. Il y a même des prêtres qui sont ordonnés pour être envoyés comme missionnaires, notamment en Afrique. Nous soutenons aussi les jeunes qui désirent entrer au séminaire ou devenir religieuses. La graine de la foi grandit », ajoute sœur Veronica. « Notre Église en Papouasie-Nouvelle-Guinée est très forte », poursuit mère Tumana. « La foi est grande, dans toute la Papouasie. »

« Sans les missionnaires de France, nous ne serions pas ici »
Au cours des semaines et des mois à venir, un temps de fête se poursuivra pour l’Église locale : le dimanche 26 octobre, une semaine après la canonisation, une grande célébration pour Peter To Rot a notamment eu lieu à Port-Moresby, la capitale. Enfin du 11 au 14 décembre, des messes d’action de grâce auront lieu en particulier à Rabaul. « C’est pourquoi beaucoup de gens ne pouvant pas aller à Rome iront à Rabaul », sa ville natale où son corps repose aujourd’hui. « Six de nos sœurs iront là-bas. Car seuls 200 catholiques papous ont pu aller à Rome. » C’est donc un jubilé spécial que vivent les catholiques papous.
Interrogée sur le témoignage de ce jeune saint tué à l’âge de 33 ans auprès de la Papouasie actuelle, mère Tumana tient aussi à souligner que « Peter To Rot avait une grande foi dans l’Eucharistie ». « Il représente aussi un exemple pour les couples mariés, en ayant une foi ancrée dans la vie de tous les jours, en promettant de vivre ensemble comme époux », ajoute-t-elle.
De son côté, sœur Veronica évoque aussi le témoignage des missionnaires en Papouasie, et la mission qui ne cesse de se renouveler : « Sans les missionnaires de France, nous ne serions pas ici, et je ne sais pas comment serait la foi catholique en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous avons écouté nos sœurs, nous répétons les mêmes histoires aux jeunes filles qui arrivent, et elles-mêmes les répéteront à leur tour. Aujourd’hui, nous avons une foi véritablement papoue, nos fondations sont construites sur le roc. Votre foi a envoyé vos missionnaires jusqu’à nous, et aujourd’hui, nous-mêmes envoyons nos missionnaires. L’œuvre des saints continue ! »
(Ad Extra)