Élections indiennes : Modi essaie de semer la discorde entre chrétiens et musulmans

Narendra Modi lors de la cérémonie Pran Pratishtha du temple Shree Ram Janmaboomi à Ayodhya, Uttar Pradesh, le 22 janvier 2024. Narendra Modi lors de la cérémonie Pran Pratishtha du temple Shree Ram Janmaboomi à Ayodhya, Uttar Pradesh, le 22 janvier 2024. © Bureau du Premier ministre indien / CC BY 2.0 DEED
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Ce samedi 1er juin conclut la 7e phase des élections nationales indiennes (qui ont débuté le 19 avril). Au cours de cette campagne, le premier ministre Narendra Modi et ses partisans du parti pro-hindou du BJP semblent avoir utilisé largement la rhétorique antimusulmane pour attirer des voix et précipiter un troisième mandat de cinq ans pour Modi. De leur côté, dès le début de la campagne, les évêques indiens ont tenu à soutenir « les valeurs pluralistes qui ont toujours caractérisé notre pays » contre « les discours de haine ».

Le 28 mai lors d’un meeting électoral à Dumka, au Jharkhand dans le nord de l’Inde, à la veille de la septième et dernière étape des élections nationales, Narendra Modi a saisi une nouvelle opportunité de pousser les chrétiens contre les musulmans – les deux plus grandes minorités religieuses du pays.

Dans une attaque ciblant le gouvernement du Jharkhand, dirigé par un parti politique local allié au premier parti d’opposition du Congrès, Modi a dénoncé violemment les résultats d’une enquête montrant que certaines écoles de Jamtara (une ville du Jharkhand) avaient déplacé leur jour férié hebdomadaire au vendredi au lieu du dimanche, jour férié habituel à travers l’Inde. « Ils ont commencé par s’en prendre aux hindous, maintenant ils s’en prennent aux chrétiens », a affirmé Modi.

En réalité, l’État du gouvernement dirigé par le parti JMM (Jharkhand Mukti Morcha) a réinstitué le dimanche comme jour férié hebdomadaire officiel en 2022, en inversant une décision prise deux ans plus tôt par 43 écoles publiques du Jharkhand qui voulaient rendre férié le vendredi. Une enquête a déterminé plus tard que certaines écoles de Jamtara, une région comptant de nombreux musulmans, n’avaient pas appliqué la décision de l’État. Mais pour l’élu local Irfan Ansari, de Jamtara, c’est une « question triviale » qui a été renforcée pour lui donner « un aspect communautariste ».

« Les valeurs pluralistes ont toujours caractérisé notre pays »

Durant le meeting, Modi a également répété l’affirmation prétendant que l’alliance INDIA (l’Alliance inclusive de la nation indienne pour le développement, une coalition de 26 partis fondée dans l’objectif de battre l’Alliance démocratique nationale au pouvoir lors des élections générales de 2024) souhaitait accorder aux musulmans, « sur une base religieuse », les mêmes avantages devant la loi indienne que ceux réservés aux groupes désavantagés, comme les systèmes de quotas d’emplois.

« Je veux dire aux partisans de l’alliance que tant que Modi est vivant, vous ne pourrez pas utiliser les réserves de quotas prévues pour les tribus, les dalits et les classes défavorisées pour les donner aux musulmans, à ceux qui pratiquent le ‘vote jihad’ [une référence à certains appels d’élus musulmans parlant de la nécessité de vaincre le parti BJP au pouvoir comme un ‘devoir religieux’] », a-t-il déclaré.

Durant des années, les catholiques indiens se sont battus pour que les indigènes et dalits chrétiens puissent bénéficier de ces mêmes avantages – une demande qui a été systématiquement rejetée par les nationalistes hindous, qui sont justement à l’origine des plaintes pour conversions forcées. C’est au Jharkhand que le père Stan Swamy a consacré une grande partie de sa vie au service des populations indigènes. Le jésuite est mort en 2021 à l’âge de 81, des suites du Covid-19 après presque neuf mois en prison – pour de fausses accusations.

Précisément pour dénoncer une vision sectaire de la société, la Conférence épiscopale indienne (CBCI) a demandé avant même le début du processus électoral, le 22 mars, d’observer une journée de jeûne et de prière pour le pays. Dans une déclaration, la CBCI est intervenue pour critiquer « les comportements qui divisent, les discours de haine et les mouvements fondamentalistes » qui s’attaquent aux « valeurs pluralistes qui ont toujours caractérisé notre pays ».

« Celui qui règne sur les cœurs des hindous »

Alors que les élections nationales indiennes prennent fin ce samedi 1er juin, Modi semble avoir voulu remporter un troisième mandat de cinq ans par une campagne rhétorique, notamment en ciblant la minorité musulmane comme une menace non seulement envers la sécurité nationale, mais aussi pour les 80 % d’hindous que compte le pays sur près d’1,4 milliard d’habitants. Les musulmans, lors du dernier recensement réalisé en 2011, sont environ 15 %, et les chrétiens représentent un peu plus de 2,3 % de la population.

Dès le début du processus électoral, des anciens juges, fonctionnaires, militaires, professeurs, artistes et éditeurs craignaient que le parti pro-hindou BJP de Modi prenne des mesures extrêmes contre les colères populaires qui se sont élevées ces dernières années contre certaines mesures du gouvernement qui ont affecté l’emploi, l’agriculture, l’éducation et l’harmonie sociale.

Ainsi, la religion est vue comme l’arme suprême de ces élections au cours desquelles tous les coups semblent permis – une « Brahmastra », une force divine. Modi se présente lui-même comme le « Hindu Hriday Samrat », ou « celui qui règne sur les cœurs des hindous ». Il a cherché à apaiser ses meilleurs partisans en accélérant la consécration du temple (encore incomplet) dédié à Ram, bâti sur les ruines de la mosquée vieille de 500 ans démolie par des foules en colère en 1992 à Ayodhya.

Puis il s’est mis à attiser les passions anti-islam, une tactique éprouvée et souvent utilisée par les milieux politiques nationalistes hindous depuis la partition violente du sous-continent indien en 1947. Par ailleurs, les partis de l’opposition, qui font partie de l’alliance INDIA, sont accusés d’accueillir et soutenir des gens décrits successivement comme des termites, des traites, des saboteurs, des espions, des séducteurs de femmes hindous dans le cadre du « love jihad », et enfin des « créatures » qui cherchent à chasser les hindous de leur terre natale.

Les lois les plus virulentes au monde contre le blasphème

L’Inde, comme le Pakistan, compte peut-être les lois les plus virulentes au monde contre le blasphème – des lois utilisées contre les communautés religieuses minoritaires. Beaucoup ont peut-être oublié qu’il s’agit de restes du Code pénal mis en place par les Britanniques, dans le but de maintenir un semblant d’ordre face à la myriade de religions, castes et groupes. Le Pakistan utilise ces lois sans réserve afin de maintenir son contrôle sur la petite population chrétienne et les diverses sectes islamiques comme les chiites, les soufis et les ahmadis.

De son côté, le Code pénal indien appelle à agir contre toute action susceptible de causer des tensions ou des violences entre les communautés, y compris les insultes envers les religions et communautés religieuses. Les responsables électoraux n’ont pas hésité à agir contre tout candidat de l’opposition suspecté de ne pas respecter ces règles, comme quand il s’agissait des appels au « vote jihad », mais de leur côté, le BJP et ses dirigeants ont semblé au-dessus de la loi. Au cours des sept étapes des élections générales, le parti a maintes fois utilisé ses troupes pro-hindoues et encouragé des sentiments communautaires en toute impunité, en utilisant le dieu hindou Ram pour attiser les sentiments religieux, ou en prétendant que le chef du parti du Congrès, Rahul Gandhi, voulait « fermer les portes du temple ».

(Avec Asianews et Ucanews)