En Birmanie, le cardinal Bo de Rangoun évoque une « situation de détresse qui semble sans fin »

Le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, parle d’une « situation de détresse qui semble sans fin » dans le pays depuis le coup d’État de 2021. Le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, parle d’une « situation de détresse qui semble sans fin » dans le pays depuis le coup d’État de 2021. © Mazur / catholicnews.org.uk (CC BY-NC-ND 2.0 DEED )
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Cette semaine, l’archevêque de Rangoun, la capitale birmane, donne des nouvelles du conflit interne qui se poursuit dans le pays du Sud-Est, où le cardinal Charles Maung Bo évoque une « situation de détresse qui semble sans fin » depuis le coup d’État de 2021. Il évoque aussi plusieurs difficultés éprouvantes comme les lieux de culte attaqués, la vague de chaleur qui sévit depuis plusieurs semaines ou la montée du fondamentalisme bouddhiste depuis dix ans. Malgré tout, il assure que « la paix est la prière commune à toutes les religions ».

Le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, interrogé ces derniers jours par le média catholique ACN, évoque une « situation de détresse et de souffrance sans précédent » en Birmanie, et qui semble « sans fin » depuis le coup d’État de février 2021, alors que le pays subissait encore la pandémie de Covid-19.

Le conflit interne a déjà détruit ou endommagé plus de cent lieux de culte à cause des bombardements de la junte, précise le cardinal, et les violences ont gagné de nombreuses régions du territoire national. De plus, il explique que presque 3 millions d’habitants ont été déplacés et ont un besoin urgent d’assistance – une aide prodiguée peu à peu grâce au travail de l’Église locale et de plusieurs ONG comme l’organisation Religions for Peace.

La liberté religieuse menacée

La Birmanie est un pays majoritairement bouddhiste, mais la Constitution garantit la liberté religieuse pour les autres religions. Cependant, le cardinal Bo pointe une réalité inquiétante : « Durant la dernière décennie, nous avons constaté l’émergence de forces fondamentalistes s’attaquant aux religions minoritaires. » Selon lui, cette situation a été exacerbée par les tensions politiques récentes qui affectent toutes les confessions religieuses, qui souffrent des conséquences d’une guerre civile qui gagne du terrain : « La paix est la prière commune à toutes les religions. »

Le conflit a laissé une marque destructrice sur les infrastructures du pays, en particulier dans la région de Sagaing et le diocèse de Loikaw, selon l’archevêque de Rangoun. « Les attaques contre les lieux de culte ont forcé de nombreuses communautés à abandonner leurs églises. C’est un vrai coup dur pour les régions majoritairement chrétiennes comme le Kachin », regrette-t-il. De plus, les groupes ethniques armés, qui combattent contre la junte et qui ne représentent officiellement aucune religion, sont souvent associés à tort avec la religion chrétienne en particulier, ce qui provoque aisément des attaques contre les lieux de culte.

Comment survit l’Église catholique dans ce contexte ?

Le cardinal évoque aussi la vague de chaleur qui frappe les pays de la région depuis plusieurs semaines : « La chaleur est insupportable et il y a peu d’eau. L’Église a souffert mais elle continue d’être une source de guérison, en particulier par l’intermédiaire des prêtres et du travail pastoral et social. » Il ajoute que les paroisses catholiques ont accueilli de nombreuses personnes déplacées internes (IDP) à travers la Birmanie. « Les besoins sont énormes pour notre peuple, en particulier en termes de sécurité alimentaire. »

Le cardinal, qui est également président de la Conférence épiscopale birmane, explique aussi que beaucoup de communautés locales ont perdu des bâtiments, des monastères et des églises à cause des violences internes. L’archevêque se souvient d’une parole prononcée par le pape François quand il est venu en Birmanie en novembre 2018 : « Le pape a apporté plusieurs messages d’amour et de paix, mais malheureusement, cela n’a pas suffi. »

Malgré tout, selon le cardinal, le Saint-Père a transmis un message de paix entre les religions et leurs dirigeants. Face à tant de violence, le cardinal Bo voudrait lancer un appel universel pour le retour de la paix en Birmanie : « Nous appelons tous les acteurs du conflit à poursuivre le chemin de la paix. Au début de la guerre, l’Église a essayé d’amener tout le monde à travailler ensemble pour trouver un consensus. Ces derniers temps, les perspectives de paix semblent limitées, mais l’Église continue d’interpeller tous les parties prenantes dans l’espérance de l’avènement de la paix. »

Les Nations unies évoquent un « cauchemar sans fin » en Birmanie

Début mars, les Nations unies ont exprimé une profonde inquiétude sur la situation en Birmanie. L’organisation décrit la crise dans le pays comme un « cauchemar sans fin » qui a déjà causé des niveaux de souffrance et de cruauté inimaginables parmi la population locale. Volker Türk, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a signalé en mai que le régime militaire birman a causé plusieurs milliers de décès depuis début 2021, notamment via des bombardements contre de nombreux villages à travers le pays. Il a également parlé de plus de 20 000 opposants détenus arbitrairement, dont 3 909 femmes.

De plus, en avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a lancé un appel pour la fin immédiate des violences, la libération des personnes victimes de détentions arbitraires, et l’amélioration de l’accès humanitaire. Enfin, Les Nations unies ont aussi affirmé que la situation d’urgence humanitaire du pays risque fort d’empirer cette année, alors qu’en 2024, près de 18,6 millions d’habitants ont besoin d’assistance – soit 19 fois plus que le chiffre enregistré en février 2021, au début de la crise.

Le coup d’État en Birmanie

Début 2021, Les forces armées du pays d’Asie du sud-est, appelées officiellement la « Tatmadaw », ont pris le contrôle de l’État, en accusant le gouvernement civil élu démocratiquement de fraudes électorales lors des élections générales du 8 novembre 2020, au cours desquelles la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti de la prix Nobel 1991 Aung San Suu Kyi, a remporté une large victoire. Toutefois, ces accusations de fraudes n’ont pas été soutenues par les observateurs indépendants, et elles sont considérées par beaucoup comme une fausse excuse avancée par les militaires pour reprendre le pouvoir.

Même si la Birmanie a basculé d’un régime militaire à un régime civil en 2011, la Constitution du pays – promulguée par l’armée en 2008 – assure que les militaires conservent un pouvoir significatif sur le gouvernement, y compris en contrôlant d’importants ministères et un quart des sièges du Parlement. La victoire écrasante du NLD en 2020 a renforcé les préoccupations de la Tatmadaw sur une perte d’influence politique et économique.

La combinaison de ces circonstances et d’autres facteurs a donc conduit l’armée à renverser le gouvernement élu, et à arrêter Aung San Suu Kyi et d’autres responsables de son parti, avant de déclarer un état d’urgence et de promettre d’autres élections, qui ne se sont toujours pas concrétisées. Par conséquent, le coup d’État a déclenché une large résistance, des protestations de masse et une escalade des conflits armés à travers le pays, ce qui a plongé la Birmanie dans la crise humanitaire et des droits humains qu’elle traverse actuellement.

(Avec Ana Paula Morales, Andrés Henríquez / ACN)