Singapour

[En direct] Lawrence Chong : « Singapour est devenu un partenaire idéal du Vatican pour le dialogue interreligieux »

Lawrence Chong, responsable de la section interreligieuse de la visite du pape François à Singapour (ici devant la statue de saint Laurent Imbert, MEP, devant la cathédrale du Bon-Pasteur). Lawrence Chong, responsable de la section interreligieuse de la visite du pape François à Singapour (ici devant la statue de saint Laurent Imbert, MEP, devant la cathédrale du Bon-Pasteur). © Ad Extra
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Rencontre avec Lawrence Chong, 44 ans, une personnalité reconnue à Singapour pour son engagement en faveur du dialogue interreligieux. Membre du Conseil pour le dialogue interreligieux de l’archidiocèse de Singapour et consultant du Dicastère pour le dialogue interreligieux au Vatican, il est aussi responsable de la section interreligieuse de la visite du pape François. Il décrit l’expérience acquise au fil du temps par Singapour, alors que l’Église catholique locale côtoie au quotidien dix religions officiellement reconnues dans la cité-État.

Lawrence Chong, 44 ans, est une personnalité reconnue à Singapour pour son engagement en faveur du dialogue interreligieux. Il est membre du Conseil pour le dialogue interreligieux de l’archidiocèse de Singapour et consultant du Dicastère pour le dialogue interreligieux au Vatican. Il est aussi membre du Conseil pastoral de l’archidiocèse de Singapour. En juin, il a également été nommé membre de la Conférence asiatique des Religions pour la Paix (Religions for Peace Asia) et de l’Organisation interreligieuse de Singapour. Enfin, depuis janvier, il est président de la section interreligieuse de la visite du pape François à Singapour. Sur le plan professionnel, il est PDG des sociétés Consulus et DesignFutures Venture.

Lawrence Chong, vous êtes président de la section interreligieuse de la visite du pape François à Singapour : comment le contexte historique et culturel de la ville a-t-il contribué à façonner de bonnes relations entre les communautés ?

Dans l’histoire de Singapour, durant les années fondatrices, nous avons dû faire face à des difficultés dans les relations interethniques et religieuses. Après l’indépendance de Singapour, les dirigeants fondateurs étaient convaincus que l’île devait devenir une nation détachée de toute étiquette religieuse ou raciale, pour le bien commun.

Mais ce n’est pas chose facile à atteindre, parce que dans cette région, il y a plusieurs religions dominantes assez importantes en termes de nombre de fidèles. Si on considère la Thaïlande et le Cambodge où le bouddhisme est majoritaire, l’Indonésie où l’islam est dominant, ou les Philippines en majorité catholiques…

La rue Waterloo, dans le quartier de Rochor à Singapour, compte quatre lieux de culte différents sur seulement 555m : une synagogue, un temple hindou, un temple bouddhiste et une église catholique.
La rue Waterloo, dans le quartier de Rochor à Singapour, compte quatre lieux de culte différents sur seulement 550 mètres : une synagogue, un temple hindou, un temple bouddhiste et une église catholique.
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Ce n’est pas le cas à Singapour, où il y a une répartition assez équitable des différentes religions. On dit même que c’est la société la plus diverse au monde sur le plan religieux. Cela veut dire que dès que vous voulez faire quelque chose ici, il faut prendre en compte le fait qu’il y a dix religions officiellement reconnues à Singapour !

Le gouvernement est quant à lui laïc, mais il n’est pas contre les religions. Il est tout à fait ouvert au rôle des religions au service du développement communautaire, tout en veillant à ce que l’espace soit partagé. Par exemple dans nos écoles, où il ne peut pas y avoir une religion en particulier qui soit favorisée. Ainsi on veille toujours à l’inclusivité, de manière naturelle. Cette situation et cette évolution au fil des années ont fait de Singapour un partenaire idéal du Vatican pour le dialogue interreligieux.

En tant que consultant du Dicastère pour le dialogue interreligieux, pensez-vous que la Singapour puisse servir de modèle pour d’autres pays, en Asie et dans le monde ?

Singapour s’efforce toujours de faire en sorte que les différents groupes religieux s’entendent ; le gouvernement y consacre beaucoup de temps. Au cours des cinq dernières années, il a de plus en plus cherché à partager la recette singapourienne pour le dialogue interreligieux, en termes d’éducation, de politique, etc. Depuis quelques années, le gouvernement est prêt à partager le modèle singapourien. Je ne suis pas en train de dire que c’est le meilleur modèle, mais il s’agit de partager notre expérience de manière très concrète. Il y a par exemple une importante conférence appelée ICCS (International Conference on Cohesive Society), qui a débuté avec la présidente Halimah (ndlr : présidente de la république de 2017 à 2023). C’est une plateforme régionale pour un partage d’idées en faveur du bien commun et d’une véritable harmonie.

Quelles sont les initiatives de la Conférence asiatique des Religions pour la Paix dans ce sens ?

Cette conférence a été fondée par les responsables religieux. Après la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup d’entre eux ont été attristés par le fait que les religions n’aient pas empêché cela. Ils se sont engagés à construire le dialogue, la compréhension mutuelle et la coexistence. Un des fruits de cet engagement a été la création de la Conférence asiatique des Religions pour la Paix, qui a d’ailleurs été fondée à Singapour (qui fêtera le 50e anniversaire de la fondation de la conférence dans deux ans, en 2026 !). Mère Teresa était ici pour la création de la conférence.

On peut dire que les organisations comme celle-ci peuvent rassembler des responsables communautaires, politiques et religieux de différentes sphères d’influence, afin d’apprendre les uns des autres, comprendre les difficultés et les défis mutuels, construire la paix interreligieuse, et se rencontrer pour certaines campagnes de sensibilisation afin de présenter une méthode asiatique pour le dialogue interreligieux.

Une rencontre interreligieuse dans l'église Saint-Joseph de Singapour, 27 décembre 2023.
Une rencontre interreligieuse dans l’église Saint-Joseph de Singapour, 27 décembre 2023.
© Photo courtesy of the Roman Catholic Archdiocese of Singapore

Le fait de dire que les religions sont pour la paix, est-ce aussi une façon de répondre à ceux qui disent que les religions sèment les conflits ? Quel rôle ont les religions ici à Singapour en faveur de la paix ?

Il y a eu un changement après les attentats du 11 septembre 2001. Avant cela, la fraternité interreligieuse était déjà essentielle à Singapour, mais après les attentats, c’est devenu encore plus important. Il y a eu différents incidents avec des individus de différentes confessions qui se sont radicalisés, mais les religions affectées par ces phénomènes de radicalisation ne sont pas les seules concernées : nous devons tous contribuer et faire partie de la solution au problème, pour s’assurer que nos communautés construisent la paix de manière proactive. Je dirais aussi que l’extrémisme n’est pas cantonné à la religion, on le retrouve dans toutes sortes de contextes : en politique, et même en écologie.

Dans ce domaine, la religion a une contribution particulière : toutes les religions sont pour la paix, comme l’a dit le pape François. Un des fruits de la foi, quelle que soit la religion, c’est la paix. Je pense que c’est une caricature de dire que les religions causent des problèmes. L’extrémisme concerne toujours un très petit nombre de personnes. L’immense majorité des responsables religieux doit être et sera toujours pour la paix. Si on regarde les rapports des Nations unies, qui suivent toujours de près l’influence des organisations religieuses, on constate que ce sont toujours les religions qui dirigent le plus grand nombre d’écoles, d’hôpitaux, de services aux réfugiés…

Dans cette partie du monde, les communautés et organisations caritatives chrétiennes, musulmanes et bouddhistes travaillent ensemble. Il y a des années au moment du tsunami, ce sont elles qui ont été parmi les premières à aider les victimes. Ce genre de collaboration très active, pour construire la paix et aider les pauvres, existe depuis longtemps.

Il y a beaucoup d’organisations qui travaillent pour le dialogue interreligieux et culturel à Singapour, en particulier depuis quelques années

Oui, c’est vrai, et il faut noter qu’il y a beaucoup de jeunes à la tête de ces mouvements. C’est pourquoi nous avons proposé, pour l’évènement interreligieux du vendredi 13 septembre avec le pape François, une rencontre avec des jeunes leaders singapouriens qui contribuent au dialogue. C’est un mouvement important, nous avons des choses à dire, des projets en marche depuis la dernière décennie…

La rencontre de vendredi se veut comme une vitrine, pour mettre en valeur ces jeunes qui ont construit la paix interreligieuse et ces espaces communs par leurs propres moyens. Nous avons mis en place une exposition, un magazine numérique, et nous avons aussi prévu un pacte, un engagement, afin de continuer de construire après la visite du pape François. Pour que ce ne soit pas un évènement isolé, mais pour continuer de faire grandir ce mouvement.

Selon vous, quel message le pape vient-il apporter à Singapour, et au monde, en venant ici ?

Je pense à ce qu’il a fait dans le passé – on se souvient que quand il s’est rendu au Brésil pour les Journées mondiales de la jeunesse, il a dit aux jeunes de faire du bruit ! –, il a fait cela de nombreuses fois. Il cherche toujours à favoriser des jeunes décideurs et acteurs de changement, qui ne craignent pas de s’engager pour changer le monde, pour montrer l’exemple, être proche des pauvres… Je pense aussi que c’est le pape le plus imprévisible, on ne peut jamais prédire ce qu’il va dire !

Comment les différents responsables religieux ont-ils réagi à la venue du pape François à Singapour ?

Ils étaient très enthousiastes dès qu’ils ont appris la nouvelle ! Ils ont tout de suite appelé en demandant ce qu’ils pouvaient faire, comment ils pouvaient participer… Il y a eu beaucoup d’enthousiasme et un accueil très chaleureux de leur part. Cela reflète aussi les relations que nous avons construites au fil des années. Tous ces responsables sont très proches du cardinal William Goh, ce sont des amis proches. Le cardinal les rencontre régulièrement. Notre archidiocèse entretient une longue amitié avec eux depuis plusieurs décennies.

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