[En direct] Mgr You : « Je souhaite que le pape François prie pour l’ensemble des Papous, qu’il les encourage à vivre la paix »
Mgr Yanuarius Theofilus Matopai You, évêque de Jayapura, premier évêque papou d’Indonésie. © Ad ExtraLe 09/09/2024
Quelques heures avant la messe papale au stade de Jakarta le 5 septembre, Ad Extra s’est entretenu avec le premier évêque papou d’Indonésie. D’un pays à l’autre, la visite du pape François est fortement attendue par les catholiques, qui se mobilisent avec ferveur pour l’accueillir. Le témoignage de Mgr Yanuarius Theofilus Matopai You, 63 ans, reflète la situation difficile des chrétiens papous. Il livre aussi un message d’espoir, alors que le pape a quitté ce lundi 9 septembre la Papouasie Nouvelle Guinée pour rejoindre le Timor oriental.
Mgr Yanuarius Theofilus Matopai You, âgé de 63 ans, a été ordonné évêque du diocèse de Jayapura, la capitale de la Papouasie occidentale – province située à l’extrême est de l’Indonésie – le 2 février 2023. Lui-même Papou, c’est le premier évêque indigène du diocèse.
Mgr You, vous êtes depuis un an le premier évêque papou d’Indonésie, c’est une responsabilité délicate au regard des conflits entre communautés ? Quelle est la situation des Papous en Indonésie ?
Mon rôle d’évêque est strictement clérical et religieux, j’anime ma communauté et je protège l’ensemble des croyants papous, mais en aucun cas je ne dois interférer dans le contexte politique. Les tensions entre Papous d’Indonésie et autres communautés religieuses existent toujours et la minorité papoue s’estime bafouée dans ses droits en Indonésie et géographiquement recluse.
Cependant, les choses évoluent et je me réjouis que le président Jokowi ait encouragé et accéléré le développement de certains secteurs en Papouasie occidentale en la désenclavant. Cette région totalement isolée et entourée de montagnes a vu la construction de routes départementales et locales autour desquelles se sont développées des villes moyennes. La rupture de cet isolement a offert de nouvelles perspectives à la population papoue, qui a enfin accédé peu à peu au progrès économique en matière de transports et notamment d’éducation.
Aujourd’hui, la Papouasie se développe très rapidement mais doit parvenir à gérer ce développement économique sanitaire et social dans un contexte financier assez précaire. Cependant, c’est très positif pour la population papoue et le maintien de son identité. Car aujourd’hui, cette population déjà plus que minoritaire en Indonésie est supplantée par d’autres minorités issues de l’immigration galopante venues d’autres îles d’Indonésie. Elle représente environ un million de personnes sur 275 millions indonésiens – 5 millions si l’on compte les habitants des autres atolls papous. La majorité d’entre eux vivent dans la pauvreté, et paradoxalement, beaucoup d’argent circule… La corruption s’infiltre dans de nombreux secteurs d’activité.
La Papouasie a toujours connu des conflits. Dans leur région, certains Papous ne se sentent plus en sécurité, alors ils fuient et rejoignent d’autres villes d’Indonésie où ils ne sont pas les bienvenus. D’autres ont été poussés hors de leurs territoires lors de la déforestation par certaines compagnies productrices d’huile de palme. Certains Papous se voient nier les mêmes droits que les citoyens indonésiens. Certains sont réfugiés. Les enfants n’ont pas accès à l’enseignement. Par ailleurs, une vaste propagande anti-Papous fleurit sur les réseaux sociaux.
Cependant, les Papous sont valeureux, ils défendent la paix et leur nation. C’est un combat difficile, mais la foi et les valeurs chrétiennes les portent. Nous croyons en notre nation et mon rôle est d’être à leur côté.
Quelle est votre vision de l’Église en Papouasie ? Quelles sont vos attentes lors de cette visite du Saint-Père ?
L’Église en Papouasie, c’est que nous travaillions de toutes nos forces pour construire une terre de paix. C’est très difficile, mais ma vision, c’est cela ! Cela correspond à l’Évangile de paix. Je collabore aussi avec d’autres responsables religieux, d’autres dénominations chrétiennes ou d’autres religions (islam, bouddhisme, hindouisme…). Parfois, durant ces rencontres, nous parvenons à faire progresser les choses vers cette « terre de paix » en Papouasie. Nous parlons des problèmes en Papouasie, des conflits… Nous échangeons aussi avec le gouvernement, avec la police, avec l’armée… Tout cela pour tenter de résoudre les conflits, la violence.
Par ailleurs, je suis évêque, et en tant que tel, je veux soutenir le peuple. Je suis un pasteur qui doit maintenir l’unité de son troupeau. Non seulement celle des catholiques mais celle de l’ensemble de la communauté. En tant qu’évêque, je dois aussi maintenir la fraternité entre tous. Nous sommes frères, je dois veiller à la cohésion. Nous devons vivre ensemble. Nous rencontrons aussi régulièrement nos frères de Papouasie Nouvelle Guinée. Encore une fois, le dialogue est la première arme d’apaisement et de retour à la justice et à la paix.
La visite du pape François est un grand espoir pour nous tous. Je souhaite que le pape prie pour l’ensemble des Papous, qu’il les encourage à vivre la paix en profondeur. J’espère qu’il appellera les autorités à poursuivre le dialogue entre les nombreuses confessions religieuses et entre les cultures. C’est un dialogue primordial pour la société indonésienne et partout dans le monde. Cela concerne aussi le dialogue entre le gouvernement et les indépendantistes papous, afin de mieux identifier les sources du conflit et du malaise, et de trouver des pistes pour conjurer la violence. J’appelle les deux parties à cesser les violences et à s’ouvrir au dialogue. Je crois en cette force.
Vous avez choisi comme devise la « miséricorde divine » : pourquoi ? C’est aussi un message qu’est venu apporter le pape François ?
J’ai choisi cette devise parce que Dieu est plein de miséricorde. Il est plein de compassion pour l’humanité. C’est pourquoi j’espère que l’Église va lutter pour l’égale dignité humaine. Je suis évêque, et j’appelle l’Église à se battre pour la justice et la paix, et aussi pour la terre, notre maison commune, ainsi que le souhaite le pape François dans Laudato Si. Et je crois que Jésus Christ est avec moi, qu’il m’accompagne dans ma responsabilité en tant qu’évêque de Jayapura.
Quelles sont vos relations avec la Papouasie Nouvelle Guinée ?
La Papouasie Nouvelle Guinée et la Papouasie occidentale forment la même île ! Le pape François se rend à Port Moresby et Vanimo, et le diocèse de Vanimo est tout proche de mon diocèse. En voiture, il faut environ 1h30 pour y aller depuis Jayapura. Beaucoup de catholiques de Jayapura ont pu se rendre à Vanimo pour la venue du pape.
(Propos recueillis par Ad Extra)