Face aux tensions sino-américaines, le Vietnam se rapproche de Washington et ménage Pékin

Les États-Unis ne négligent pas la valeur ajoutée du Vietnam, d’où le voyage de Joe Biden en 2023 (photo : visite du secrétaire général du Parti communiste du Vietnam en 2015 à Washington). Les États-Unis ne négligent pas la valeur ajoutée du Vietnam, d’où le voyage de Joe Biden en 2023 (photo : visite du secrétaire général du Parti communiste du Vietnam en 2015 à Washington). © Public Domain
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Le Vietnam semble d’un côté se rapprocher des États-Unis et du monde occidental dans sa recherche d’ouverture économique, mais d’un autre côté, l’influence de la Chine reste bien présente entre une visite récente de Xi Jinping et la dépendance vis-à-vis des importations chinoises. Dans ce contexte, si le gouvernement communiste vietnamien maintient son contrôle sur le pays, une dynamique intéressante est aussi à l’œuvre dans les rapports jusqu’alors limités entre le Vatican et Hanoï, avec des perspectives d’amélioration.

Ces dernières années, depuis février 2021, l’actualité du sud-est asiatique a été accaparée par la guerre civile en Birmanie, où les quelque 54 millions de Birmans sont durement malmenés. Il y a aussi les crispations préoccupantes – et récurrentes – en mer de Chine du Sud au fil des incidents entre bâtiments chinois et philippins.

Cependant, ces derniers mois, l’actualité de la région s’est tournée de manière très inhabituelle vers la République socialiste du Vietnam, généralement discrète. Cet État centralisé, au régime (autoritaire) à parti unique, compte aujourd’hui 100 millions d’habitants (soit la 16e population mondiale) et une économie dynamique. Il s’agit de la 11e économie d’Asie, avec une croissance du PIB de +8 % en 2022, de +5 % en 2023 (et une estimation de +5,4 % pour 2024 selon la Banque mondiale).

Si l’actualité vietnamienne a attiré l’attention de la communauté internationale, c’est notamment pour des raisons purement politiques et stratégiques. Depuis l’automne dernier se sont succédé successivement à Hanoï le président américain Joe Biden (en septembre 2023) et son homologue chinois Xi Jinping (en décembre dernier) ; ainsi, Washington et Pékin se livrent chacun à sa manière à une cour plus ou moins manifeste auprès de cet acteur régional, qui dispose entre autres particularités d’une longue fenêtre maritime (3 400 km de côtes) sur la sensible mer de Chine du Sud. Pour la Chine comme pour les États-Unis, la valeur ajoutée commerciale et industrielle du Vietnam d’aujourd’hui ne saurait être négligée.

Le trimestre politique écoulé a été particulièrement agité au Vietnam, sinon d’une très rare fébrilité, notamment parmi les échelons suprêmes du pouvoir, qui ont vu se succéder les départs, limogeages et démissions soudains de personnalités de tout premier plan. Ceci a fait craindre aux observateurs – comme aux investisseurs et partenaires commerciaux étrangers – une période redoutée d’instabilité politique, ce qui a été rarement observé ces dernières décennies du côté d’Hanoï et d’Hô-Chi-Minh-Ville.

Poursuite de la campagne anticorruption du « fourneau ardent »

Retour rapide sur ces événements politiques. Courant mars, la direction du Parti communiste vietnamien (PCV) acceptait – un an à peine après sa prise de fonction – la « démission » du président Vo Van Thuong, coupable selon le Comité central de divers « manquements graves ayant eu un impact négatif sur l’opinion publique, affectant la réputation du parti, de l’État et de lui-même ». Une démission induisant également son départ du politburo et du Comité central du parti.

Un mois plus tard, dans les derniers jours d’avril, ce même comité central « approuvait » la démission de Vuong Dinh Hue, alors président de l’Assemblée nationale, dont le Parti désavouait là encore les « transgressions et les manquements choquant l’opinion publique, ternissant le prestige du Parti et de l’État, ainsi que sa propre réputation ».

Le 6 mai, la police interpellait Mai Tien Dung, un ancien ministre et président du Government Office, pour « suspicion d’abus de pouvoir » (ministère de la Sécurité publique). Dix jours plus tard, Madame Thuong Thi Mai – la numéro 5 du régime et seule femme représentée au sein du politburo vietnamien – quittait à son tour ses fonctions, accusée par la direction du Parti de « violations et de manquements » perpétrés entre 2016 et 2021.

Le Vietnam compte près de 100 millions d’habitants (soit la 16e population mondiale) et une économie dynamique, la 11e en Asie (ici Hô-Chi-Minh-Ville, dans le Sud).
Le Vietnam compte près de 100 millions d’habitants (soit la 16e population mondiale) et une économie dynamique, la 11e en Asie (ici Hô-Chi-Minh-Ville, dans le Sud). Crédit : Vinnie Cartabiano / CC BY 2.0

Ces départs affectent les investisseurs étrangers, avides de sérénité et de stabilité

Ainsi que le résumait fort à propos l’agence de presse Reuters le 19 mai, « Avec son départ [Thuong Thi Mai], seuls deux des cinq principaux dirigeants [vietnamiens] sont encore en poste, à savoir le chef du parti, Nguyen Phu Trong, et le Premier ministre, Pham Minh Chinh ». On ne saurait mieux dire. Depuis, les grands équilibres politiques et institutionnels internes semblent se rétablir, à la faveur de quelques nominations…

Le 20 mai, l’Assemblée nationale élisait son nouveau président (Dr Tran Tanh Man) ; le surlendemain, le Parlement désignait le général To Lam, jusqu’alors ministre de la Police, comme le nouveau chef de l’État – cette nomination augure à moyen terme une possible accession aux fonctions de Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, pinacle du pouvoir dans ce pays asiatique. Pour rappel, au Vietnam, l’autorité politique nationale repose sur les « quatre piliers » que sont le chef du Parti communiste, le Premier ministre, le président du Parlement, et enfin le chef de l’État (une fonction essentiellement cérémoniaire).

Le général To Lam, une fois nommé, s’est empressé d’assurer à la nation que la campagne anticorruption appelée « fourneau ardent » (entamée en 2016) serait résolument prolongée sous son mandat, avec l’accord incontournable du Secrétaire général du parti Nguyen Phu Tong (80 ans), lui-même dans sa 14e année aux commandes du PCV.

Ces deux nominations combinées, celle du nouveau président de l’assemblée et celle du chef de l’État, laissent les observateurs à penser que la tempête serait grande partie passée. Cette situation a temporairement fragilisé temporairement l’édifice institutionnel ainsi que le crédit extérieur : les investisseurs étrangers sont avant tout avides de sérénité politique et de stabilité intérieure.

Les troubles sont-ils vraiment passés ?

Des voix sceptiques considèrent que des tensions sont encore à craindre d’ici le prochain Congrès du parti communiste (programmé début 2026), lequel actera notamment (entre autres grand jeu de chaises musicales) le départ de l’actuel Secrétaire général et son remplacement par un autre cadre du Parti (peut-être le nouveau président To Lam ?).

Cette fébrilité n’a pas échappé à la Chine, avec laquelle le Vietnam partage 1 300 km de frontière terrestre commune. Près d’un demi-siècle après un bref conflit frontalier sino-vietnamien (février mars 1979), des divergences de souveraineté territoriale perdurent en mer de Chine du Sud entre Pékin et Hanoï au printemps 2024. Cependant, les deux nations communistes voisines partagent des échanges commerciaux bilatéraux conséquents. On compte 230 milliards US$ en 2021 : la Chine est le premier partenaire à l’import du Vietnam avec près de 40 % du total des importations, et son deuxième partenaire à l’export.

Récemment, les deux nations semblent avoir enclenché une esquisse de détente aux implications stratégiques non négligeables. Début avril, le chef de l’État chinois Xi Jinping accueillait à Pékin le président de l’Assemblée nationale vietnamienne pour discuter de l’approfondissement des relations bilatérales, tandis que les ministres de la Défense des deux pays s’entretenaient à la frontière commune à propos des bénéfices potentiels d’une « confiance stratégique mutuelle renforcée ». Une dynamique bilatérale prometteuse, qui s’inscrit dans la foulée immédiate du séjour en décembre 2023 du président chinois au Vietnam, durant lequel une foulée d’accords de coopération avait été paraphés et le concept « d’avenir commun » formulé.

Pour rappel, un trimestre plus tôt (septembre 2023), le chef de l’exécutif américain Joe Biden s’est lui aussi rendu en visite « historique » (selon ses propres termes) au Vietnam, bardé d’une feuille de route à géométrie variable associant le commercial (commande majeure pour l’avionneur Boeing), le politique (évocation de la mutuellement douloureuse guerre du Vietnam), le militaire (discussion de contrat d’armement) et le stratégique (message subliminal à l’adresse de Pékin et ses velléités de souveraineté en mer de Chine du Sud). Un séjour qui a donné corps au rapprochement souhaité par Hanoï et Washington, que matérialise notamment l’accord « US-Vietnam Comprehensive Strategic Partnership » (partenariat stratégique intégral États-Unis – Vietnam).

Dégel des relations entre Hanoï et le Saint-Siège

L’importance de ces « printemps » ou détentes vis-à-vis de Pékin et Washington ne doivent pas occulter une dynamique intéressante, elle aussi à l’œuvre, dans les rapports jusqu’alors limités entre le Vatican et le régime communiste vietnamien. Pour mémoire, après la réunification en 1975 du Vietnam sur les cendres de la guerre et désormais dirigé par un régime communiste, les relations entre le Vatican et le Vietnam avaient été rompues.

Pour preuve de cette nouvelle évolution, la longue visite au Vietnam en avril dernier du secrétaire du Vatican pour les Relations avec les États (Mgr Paul Gallagher) – une première elle aussi historique – lors de laquelle le chef de la diplomatie papale a notamment rencontré le Premier ministre Pham Minh Chinh.

Pour rappel, en début d’année, le pape François avait reçu au Saint-Siège une délégation du Parti communiste vietnamien : en juillet 2023, le chef de l’État vietnamien Vo Van Thuong avait visité le Saint-Père, en s’accordant notamment sur la nomination de l’archevêque Zalewski en qualité de représentant du Vatican à Hanoï. Durant ces échanges, le souverain pontife a notamment évoqué la possibilité d’une visite « prochaine » dans ce lointain pays du Sud-Est asiatique (en septembre 2024, le pape François est déjà attendu dans quatre pays d’Asie et d’Océanie, dont l’Indonésie et Singapour, nations voisines du Vietnam).

(Ad Extra, Olivier Guillard)