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Guerre Iran-Israël : l’appel du cardinal David depuis les Philippines

Le cardinal David, évêque de Caloocan et président de la Conférence épiscopale philippine. Le cardinal David, évêque de Caloocan et président de la Conférence épiscopale philippine. © Diocèse de Caloocan
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Dans un post récent sur les réseaux sociaux, le cardinal Pablo Virgilio David, président des évêques philippins, a déploré « l’inversion » d’une histoire biblique, en lien avec le conflit qui oppose l’Iran à Israël. Le commentaire du cardinal David a été publié il y a quelques jours, alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu venait de suggérer (le 19 juin dans un hôpital de Beersheba, à mille km de Babylone, ancien siège de la captivité juive) qu’il était temps de rembourser leur ancienne dette à Cyrus le Grand en « libérant » l’Iran.

Selon le cardinal Pablo Virgilio David, président des évêques philippins, Netanyahu a invoqué le récit biblique de la libération d’Israël (Esdras 1, 1-4) à l’envers. « Il y a 2 500 ans, Cyrus le Grand a libéré les Juifs », a déclaré le chef d’État. « Et aujourd’hui, un État juif se donne les moyens de libérer le peuple perse. » Comme le souligne l’auteur Jess Agustin, qui écrit régulièrement sur les Philippines, l’Indonésie et le Timor oriental, « un récit autrefois basé sur le retour et la restauration est désormais employé pour justifier des frappes aériennes présentées comme des actes de délivrance ». D’où le message du cardinal David, intitulé « Inversion ou libération ? Netanyahu, Cyrus et le modèle biblique ». Extraits.

« Ce n’est pas un secret : le Premier ministre Benjamin Netanyahu a récemment présenté l’attaque militaire d’Israël en Iran comme faisant partie d’une mission plus large et même morale, qualifiée de combat contre la tyrannie et d’effort ‘pour libérer le peuple iranien de son gouvernement oppressif’. Mais que ce soit voulu ou non, cette rhétorique évoque une inversion surprenante du récit biblique profondément enraciné dans la mémoire juive : celle de la libération non par Israël mais d’Israël – par la Perse, ancêtre de l’Iran.

Dans les pages de la Bible hébraïque, particulièrement Esdras 1 et Isaïe 44-45, on découvre un des moments les plus fascinants de l’histoire juive : l’essor inattendu de Cyrus le Grand, roi de Perse, qui a mis fin à l’exil babylonien des juifs. Dans un moment saisissant de théologie prophétique, le prophète Isaïe a non seulement salué Cyrus mais l’a même appelé ‘l’oint du Seigneur’ (messie) – un titre habituellement réservé aux rois et prêtres israéliens. Ce dirigeant perse, étranger et païen, était vu comme l’instrument choisi par Dieu pour ‘soumettre les nations’, ‘reconstruire Jérusalem’ et ‘libérer les exilés’ (Is 45, 1-3). Esdras 1, 1-4 cite l’édit de Cyrus, invitant les Juifs à rentrer chez eux et à reconstruire le temple – un acte de magnanimité politique empreint de mandat divin.

Des frappes aériennes présentées comme actes de délivrance

Quelle ironie, donc, qu’un dirigeant juif d’aujourd’hui se voie lui-même en guerre avec les descendants du même empire perse. La posture de Netanyahu, qu’elle soit modelée consciemment ou non, peut être lue comme une inversion de l’histoire de Cyrus. Si dans la Bible, l’Iran a libéré Israël de la captivité à Babylone, Netanyahu semble aujourd’hui présenter Israël comme libérateur de l’Iran contre ses oppresseurs contemporains. Là où Cyrus était autrefois salué comme agent de la justice divine, Netanyahu semble désormais prendre sur lui ce rôle – en présentant les frappes aériennes et la guerre informatique comme des actes de délivrance messianiques.

Le contraste n’aurait pas pu être plus frappant. Cyrus a libéré les exilés sans exiger de prix ou de paiement. Il a reconstruit plutôt que détruit. Sa libération était non-violente et restauratrice, et non pas militariste et rétributive. Là où l’on se souvient de Cyrus pour un geste de paix généreux, la version de libération présentée par Netanyahu se repose sur la force, la puissance de feu et la rhétorique d’une menace existentielle.

« Ce modèle biblique qui vaut la peine d’être redécouvert »

Cela pose des questions théologiques difficiles. La violence, même quand elle cible un régime oppressif, peut-elle être vraiment considérée comme une libération ? Les allusions bibliques peuvent-elles justifier les guerres modernes, ou est-ce qu’elles simplifient à l’excès et dangereusement la complexe interaction entre pouvoir, histoire et moralité ?

Et peut-être encore plus gênant : est-ce que le fait d’invoquer Cyrus aujourd’hui sert de couverture morale, pour couvrir une guerre régionale en la présentant sous la forme d’une justice prophétique ? Ce qui est clair, c’est que l’Écriture, bien qu’elle nourrisse l’identité et l’imagination de nombreuses nations, ne peut être instrumentalisée. L’histoire de Cyrus n’est pas un récit de domination mais de grâce inattendue, à propos d’un roi étranger qui est devenu un vecteur surprenant de miséricorde divine – non pas par la conquête, mais par la compassion.

Peut-être qu’en notre temps, le geste le plus radical serait non pas d’imiter Cyrus comme conquérant, mais comme libérateur, restaurateur et bâtisseur de pont. L’ancien roi perse a vu la souffrance des exilés et il a agi non pas par peur ou en représailles, mais selon une vision de paix. C’est ce modèle biblique qui vaut la peine d’être redécouvert. »

Revenir à la mémoire, à la confiance et à la miséricorde

Le même jour, le cardinal David a publié un autre commentaire intitulé Un appel à la conscience d’Israël. Il y approfondit son appel, non pas comme un étranger qui dénonce, mais comme un responsable religieux qui supplie de revenir à la mémoire, à la confiance et à la miséricorde. Il écrit : « Je ne peux comprendre pourquoi les gens insistent pour dire que la situation entre Israël et les Palestiniens est ‘compliquée’. Elle ne l’est pas. Elle ne l’est qu’en apparence pour ceux qui refusent d’appeler un chat un chat. Lorsque l’injustice est dissimulée dans le langage de la sécurité et que la punition collective est rationalisée en tant que défense, le monde ne doit pas rester silencieux sous le prétexte de la complexité. »

Il poursuit :« Ce qui brise le cœur, c’est qu’un peuple qui a connu des souffrances indicibles tout au long de l’histoire – dont le souvenir de l’Holocauste résonne encore dans les cendres – soit aujourd’hui dirigé par des idéologues aveugles à l’ironie de leurs propres actions. Par quel calcul moral ne voient-ils pas que leur agression incessante alimente l’antisémitisme même qui menaçait autrefois de les anéantir ? »

Une nation ne peut être fondée sur la vengeance et la peur

Ensuite, il dit clairement qu’aucun gouvernement, aucune alliance, aucune superpuissance mondiale ne peut changer le cœur d’une nation : « Le pouvoir de mettre fin à la famine, aux déplacements et au carnage à Gaza n’appartient pas au Premier ministre Netanyahu ou à son gouvernement. Pas plus qu’aux Nations unies ou à l’Union européenne. Ni aux États-Unis, à l’Iran, à la Chine, à la Russie ou aux États arabes. Tous ces acteurs peuvent prendre position et intervenir, mais ils ne peuvent pas changer le cœur d’une nation », insiste-t-il.

« Les seuls à pouvoir y mettre un terme sont les Juifs eux-mêmes – en Israël et dans toute la diaspora – qui savent, de par la profondeur de leur expérience historique, ce que signifie subir la violence née de la haine et de la xénophobie. Eux seuls peuvent se lever et dire ‘Pas en notre nom’. Eux seuls peuvent exiger que leur État ne construise plus son avenir sur les fondations de la vengeance, de la peur et du ressentiment. Une nation sûre et juste ne peut être fondée sur les ruines de l’humanité d’un autre peuple. »

Le cardinal David conclut son message ainsi : « Les Écritures hébraïques témoignent du déchirement de Dieu face à l’entêtement de son peuple. Dans le psaume 94, le Seigneur s’écrie aux versets 10 et 11 : ‘Quarante ans leur génération m’a déçu, et j’ai dit : ce peuple a le cœur égaré, il n’a pas connu mes chemins. Dans ma colère, j’en ai fait le serment : Jamais ils n’entreront dans mon repos.’ Ce ne sont pas les paroles d’un haineux. Ce sont les paroles d’un Dieu dont l’amour est blessé par la rébellion de son propre peuple. » « Qu’ils agissent, non seulement pour la paix, mais aussi pour la miséricorde et la justice, qui sont les seules voies qui mènent au véritable repos. Shalom livnei Yisra’el! (Paix aux enfants d’Israël) »

Source : Ucanews/Jess Agustin et Cardinal David/Facebook

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