Birmanie

« Il n’y a pas de paix possible. Je n’ai jamais rencontré un catholique qui souhaite la paix avec ces militaires »

Le pont d’U Bein, un pont de teck sur le lac Taungthaman, Amarapura, dans le centre de la Birmanie. © Gerd Eichmann / CC BY-SA 4.0 DEED  ; mohigan / CC BY-SA 3.0 DEED ; Vyacheslav Argenberg / CC BY 4.0 DEED
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Pour le père Aung Kyaw Thun (nom d’emprunt), la situation en Birmanie ne s’améliore pas et les évènements de ces dernières semaines rendent l’issue du conflit plus incertaine que jamais. Un conflit dont les journaux parlent peu, même s’il assure que les chrétiens se savent soutenus par la prière. Il explique que la situation est tendue depuis plus de deux et demi et particulièrement depuis début novembre, avec une coalition qui s’est créée dans le Nord. « Du côté des chrétiens, c’est quelque chose de nouveau qui leur donne un peu d’espoir. »

Pouvez-vous donner quelques nouvelles de la situation des dernières semaines ?

La situation est tendue depuis maintenant plus de deux ans et demi, et encore plus depuis début novembre. Une coalition s’est créée dans le Nord et nous ne savons pas du tout vers quoi cela va tendre. Mais c’est assez remarquable parce que c’est la première fois que cela arrive. Certains disent que les militaires sont assez surpris et embêtés parce qu’ils n’ont plus accès aux secteurs frontaliers avec la Chine et la Thaïlande, qui sont sources de revenus importants.

Dans ma paroisse, nous voyons passer les avions qui vont essayer de bombarder dans le Nord – les militaires n’ont plus accès au terrain et ils sont un peu dépassés. Tout cela rend les choses un peu plus tendues, dans toutes les régions qui l’étaient déjà, aussi bien dans le Nord-Est que dans l’Est (à la frontière thaïlandaise) ou dans les Chin Hills… Cela ravive tous les conflits. Les semaines à venir vont peut-être être déterminantes. J’ai l’impression que ça fait deux ans qu’on dit qu’il va se passer quelque chose, mais avec l’armée – et avec la Russie et la Chine derrière – on ne sait jamais ce qu’ils peuvent inventer de pire. En tout cas, ce qui se passe depuis quelques semaines, c’est quelque chose de notable.

Ce qui change, c’est que certains groupes forment des alliances ?

C’est cela, même si c’est peut-être seulement pour un temps, parce que beaucoup de groupes doivent garder à l’esprit ce qu’il pourrait y avoir après. Imaginons une hypothétique victoire contre les militaires, avec un État fédéral ou des séparations… Par exemple, je suppose que les Karens rêvent d’avoir leur propre pays et ainsi de suite (même si on n’en est pas du tout encore là), donc je ne sais pas ce qu’ils ont à l’esprit. Du côté des chrétiens, parce qu’il y a une bonne majorité de chrétiens parmi les rebelles, c’est quelque chose de nouveau qui leur donne un peu d’espoir.

Les catholiques voudraient une position plus offensive de la part de l’Église…

En fait, pour les catholiques, comme pour tous les autres d’ailleurs, et même pour les prêtres avec qui je parle, c’est trop tard pour la paix. C’est fini, on est allé trop loin. C’est-à-dire que maintenant, il faut en finir avec les militaires. On ne peut plus leur faire confiance. Par exemple, s’il y avait des pourparlers, des discussions pour la paix, ils savent automatiquement qu’ils se feraient avoir. Et depuis plus de deux ans et demi, tout le monde a perdu quelqu’un de sa famille ou quelqu’un qui connaissait un ami qui a été tué dans des circonstances atroces. Donc il n’y a pas de paix possible, pas avec des pourparlers, pas avec ces militaires et ce dictateur, c’est impossible.

Myaungmya, dans la région d’Ayeyarwady (dans le delta de l’Irrawaddy, sur le Golfe du Bengale).

Personne ne veut la paix avec ces militaires qui ont déjà montré, depuis deux ans et demi, qu’ils n’en ont rien à faire des gens. Aussi bien dans les combats que dans le pillage des ressources du pays. Et cela fait maintenant cinquante ans que ce sont toujours les mêmes histoires. Je n’ai jamais rencontré un catholique qui souhaite la paix avec les militaires. Ils sont tous convaincus que la révolution va se terminer et qu’il faut se battre, même si on ne sait pas ce qu’il se passera après. D’ailleurs, il y a beaucoup de jeunes que j’ai connus, de 17-18 ans, qui se battent dans les PDF (People’s Defense Force), et certains ont été tués. La situation n’est pas bonne. Mais la vie continue, et il faut trouver de l’argent pour vivre.

En 2021, une photo du cardinal Bo avec le chef de la junte avait fait un tollé…

Alors cela ne pouvait pas tomber plus mal, parce qu’il y avait eu un convoi de civils qui s’étaient fait brûler vif au même moment où le cardinal Bo était en train de couper le gâteau avec dictateur. Les militaires n’auraient pas pu mieux faire en termes de communication. À la fois cela mettait dans l’embarras le leader des catholiques, et eux divisaient pour mieux régner donc c’est exactement ce qu’ils souhaitaient. Cela dit, il faut noter que le cardinal avait déjà refusé cette photo trois fois auparavant. Ils ne lui ont pas laissé le choix.

C’était terrible, cela ne pouvait pas être pire pour le cardinal. De fait, il y a énormément de jeunes catholiques qui ont dit des choses affreuses sur lui, mais qu’est-ce qu’il peut faire d’autre ? Il est bloqué. Donc il a des mots de paix, des mots de politicien d’ailleurs. Il ne pourrait pas dire ce que je dis maintenant, cela condamnerait tous les catholiques.

Plus vous allez en hauteur, moins vous avez de liberté de parole. Une chose que vous dites entraînera forcément des répercussions sur les autres ensuite, donc il faut jauger, voir jusqu’où vous pouvez aller dans le discours. Ensuite, cette situation permet aussi à d’autres évêques d’être plus offensifs et proches des gens. Par exemple, l’archevêque de Mandalay ne fait pas dans la dentelle quand il a quelque chose à dire.

À l’échelle du pays, les catholiques sont une petite minorité ?

Il y a environ 5 % de chrétiens, dont des baptistes, des anglicans, etc., et les catholiques sont un peu moins d’1 %. C’est très peu. Mais ils sont quand même reconnus, parce qu’ils ont fait beaucoup pour l’éducation, pour les hôpitaux. Tout cela a été nationalisé en 1965, mais les catholiques ont plutôt bonne presse. Et puis il y a une hiérarchie, ce que n’ont pas les protestants, et l’armée apprécie d’avoir un interlocuteur. Il n’y a pas beaucoup de catholiques, un peu parmi les minorités ethniques, un peu chez les Birmans (Bamar), un peu chez les Tamouls aussi à Rangoun, et près des frontières chez les Chin (là, 80 % de la population est chrétienne).

La pagode de Shwedagon, située sur la colline de Singuttara à Rangoon, Birmanie.

Beaucoup de villages de cette région Chin ont été bombardés…

Oui, il y en a eu beaucoup, mais ce qu’on peut appeler la « révolution », puisqu’ils l’appellent comme ça, est menée par des chrétiens. Dans la majorité des groupes, chez les Karens et les minorités ethniques, il y a beaucoup de chrétiens. Et cette fois-ci, il n’y a presque pas eu de manifestation de bouddhistes et de moines comme il avait pu y en avoir dans le passé. Parmi la Sangha bouddhiste, certains sont proches des militaires et reçoivent beaucoup d’argent pour leurs pagodes. La population n’a pas du tout aimé cela, donc je ne sais pas ce qu’il adviendra du bouddhisme dans l’avenir en Birmanie.

Il y a des bouleversements sur tous les plans…

Ce qui est peut-être le plus remarquable, c’est que pour la première fois de l’histoire en Birmanie, c’est vraiment tout le monde, toutes religions et ethnies confondues, Bamars compris (l’ethnie majoritaire bouddhiste), qui s’est uni contre les militaires. Auparavant, à l’époque des rois, puis avec l’arrivée des Anglais et avec les militaires, ils arrivaient toujours à diviser pour mieux régner. Les Anglais essayaient de favoriser les minorités ethniques, ce qui énervait les bouddhistes Bamars. Et sous les militaires, beaucoup de bouddhistes n’étaient pas contre les militaires tant qu’ils y trouvaient leur compte. Mais ce n’est plus le cas.

Merci de parler de la Birmanie, parce qu’on n’en parle pas beaucoup. Il y a aussi d’autres conflits plus proches et plus meurtriers. Il y a pourtant des atrocités en Birmanie, mais finalement, par rapport à d’autres conflits en termes de bilan humain, il y a moins de morts. Mais il y a des choses affreuses toutes les semaines.

(Propos recueillis par Églises d’Asie)