La Chine au cœur de Notre-Dame de Paris
Tableau de Yin Xin. Chapelle Saint-Paul-Chen, Notre-Dame de Paris.
© S. Agueh
Rédigé par Père Bruno Lepeu, MEP, le 18/12/2025
Paul Chen, un saint martyr chinois est honoré dans la cathédrale Notre-Dame de Paris où ses reliques viennent d’être installées dans une chapelle dédiée. Une Vierge chinoise peinte par l’artiste Yin Xin orne la chapelle Saint-Paul-Chen.
Les reliques du jeune séminariste chinois, Paul Chen Changpin (陳昌品), martyrisé au Guizhou en 1861 à l’âge de 23 ans, ont été solennellement déposées dans la chapelle de la Sainte-Enfance de la cathédrale de Paris en 1920. Avec la nouvelle organisation de la cathédrale, la chapelle Saint-Paul- Chen est désormais positionnée comme point d’aboutissement de l’allée de la Pentecôte, à la suite des grands saints parisiens, sainte Geneviève et saint Denys.
L’aventure de ses reliques
Se souvenant que Paul Chen avait été recueilli et élevé par les soins et aux frais de la Sainte-Enfance, Mgr Faurie offrit à cette œuvre le corps du jeune martyr, probablement à l’occasion de son voyage en Europe pour le premier concile du Vatican. Les reliques furent déposées au séminaire des Missions Étrangères de Paris en 1869. Le 10 juin 1920, Mgr de Teil, directeur de l’œuvre de la Sainte-Enfance, organise la translation en grande pompe de la châsse du désormais bienheureux martyr à Notre-Dame, dans la chapelle de la Sainte-Enfance. En effet, Paul Chen représente un des plus beaux fruits de la Sainte-Enfance : grâce à la générosité de l’œuvre, cet enfant chinois est sorti de la pauvreté, instruit, baptisé, formé en vue du sacerdoce et reçoit la palme du martyre à l’âge de 23 ans. La cérémonie est présidée par le cardinal Amette, archevêque de Paris, en présence de cinq évêques missionnaires, venant des différents continents, des séminaristes des trois séminaires des Missions Étrangères, des spiritains et des lazaristes, et d’une foule d’enfants associés de la Sainte-Enfance. Dans l’avant-chœur se trouve une délégation de jeunes chinois étudiants à Paris. Le panégyrique du bienheureux est prononcé par Mgr Reynaud, lazariste, vicaire apostolique du Zhejiang oriental (浙江).
Le temps passe, Paul Chen et son reliquaire tombent dans l’oubli. Il faut attendre 2007 pour qu’il revienne au grand jour. Le cardinal Yvan Dias, préfet de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, se rend en France l’occasion de la rencontre nationale des Fidei Donum qui a lieu à Lisieux le 1er octobre. En vue de la messe qu’il préside le lendemain à la cathédrale de Paris, il demande l’exposition des reliques du désormais saint Paul Chen. Un vent de panique souffle sur l’équipe de la cathédrale : où est passé le reliquaire ? Il est finalement retrouvé dans les combles de la cathédrale, où il avait été mis en réserve… et oublié là. Le 2 octobre, le cardinal Dias peut ainsi se recueillir dans la chapelle de la Sainte-Enfance, qui a retrouvé son saint martyr.
La mise en valeur du saint chinois
En 2016, passant dans la cathédrale, je réalise que cette chapelle est très mal mise en valeur et je suggère à Brice de Malherbe, un des nouveaux chapelains de la cathédrale, de mettre en avant les liens entre la chapelle de la Sainte-Enfance et la Chine, pour toucher les nombreux touristes chinois qui passent dans la cathédrale. En janvier 2017, le nouveau recteur de la cathédrale, Patrick Chauvet, encourage le projet, qui s’oriente vers l’installation d’un tableau de Notre Dame de Chine. La première hypothèse est d’obtenir du peintre Gary Chu Kar Kui (朱家驹), résidant à Hong Kong, une copie originale du tableau qu’il avait réalisé en 1999 pour la cathédrale de Pékin. Mais le fait que Marie soit représentée en impératrice mandchoue, ainsi que les contraintes techniques et financières, obligent à abandonner cette possibilité. Dans le même temps, Paule de Laître, employée de la cathédrale, fait la connaissance de Yin Xin (尹欣), un artiste peintre chinois, originaire de la région du Xinjiang, installé à Paris, qui accepte de relever le défi. Très vite, un nouveau projet prend forme et aboutit à la production de trois œuvres originales : « La Vierge et les enfants », une Notre Dame chinoise originale (acrylique sur toile, 150x 127cm) ; un tableau de Paul Chen (acrylique sur toile, 100x75cm), et un duilian, (acrylique sur toile, 150x30cm x2) constitué de deux sentences chinoises se répondant.

Pour cette Notre Dame de Chine, Yin Xin s’inspire à la fois d’un tableau d’une jeune mère entourée de ses enfants et du clair-obscur de la « Madeleine à la veilleuse » de Georges de La Tour (1593-1652). Dans son tableau, le rayon de lumière sort non pas d’une chandelle extérieure mais du bébé Jésus que Marie porte dans ses bras. Fils de Dieu, il est la source même de toute lumière. Illuminé, le visage de Marie exprime la tendresse de Dieu pour toute l’humanité incarnée en son fils. Le peintre inscrit sur le tableau les deux idéogrammes chinois sheng mu (聖母), littéralement « Sainte Mère », qui pour les Catholiques servent à traduire l’expression « Notre Dame ». En peignant ce visage de Marie, Yin Xin éprouve « la joie d’une totale conversion intérieure ». De voir ses peintures exposées en permanence à la cathédrale Notre-Dame de Paris, représente pour lui « l’aboutissement de sa vie ». Une autre peinture similaire de l’artiste (« Le Nouveau-né ») est installée dans la crypte de Notre-Dame de Fourvière depuis 2019.

Pour représenter Paul Chen, dont il n’existe aucune image, le peintre choisit de faire appel à sa technique de métamorphose qui consiste à transformer et à siniser des toiles anciennes. Partant d’un portrait d’un jeune occidental en prière, peint au XIXe s., Yin Xin le métamorphose en séminariste chinois et y ajoute le nom chinois de Paul Chen Changpin.
De part et d’autre de la sculpture de Geoffroy-Dechaume de Jésus avec les enfants, Yin Xin a réalisé un duilian, décoration traditionnelle, qui donne immédiatement une touche chinoise à la chapelle. Les deux sentences du duilian (神恩廣闊遍宇宙 主愛高深滿人間) peuvent se traduire ainsi : L’immensité de la grâce divine envahit l’univers & L’amour infini de Dieu comble l’attente humaine.
Le dimanche 27 mai 2018, à l’issue de la messe de 18 h 30, en présence de l’artiste et de nombreux membres de la communauté chinoise de Paris, Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, bénit la chapelle nouvellement décorée, pour honorer la mémoire de saint Paul Chen. Des panneaux explicatifs en français, anglais et chinois, permettent aux visiteurs de mieux comprendre la spécificité de cette chapelle chinoise au cœur de Notre-Dame de Paris.
Une place particulière dans Notre-Dame rénovée
Dans le projet de réaménagement de la cathédrale après l’incendie de 2019, les chapelles latérales de la nef sont réparties selon un chemin de pèlerinage, qui part au nord de l’allée de la Promesse, avec les grandes figures bibliques de l’Ancien Testament (de Noé à Elie), et se poursuit au sud dans l’allée de la Pentecôte, dédiée à l’Église et au déploiement de la sainteté à l’œuvre dans les membres du Christ. Les saints sont positionnés selon un jeu de mise en miroir : à la sagesse de Salomon répond l’intelligence de saint Thomas d’Aquin, à la figure du Serviteur d’Isaïe répond l’esprit de service de saint Vincent de Paul, etc. Chaque chapelle reçoit sa titulature d’un saint dont l’histoire est liée au diocèse de Paris et qui offre une expression particulière de l’œuvre de l’Esprit.
Dans ce grand ensemble, Paul Chen n’a non seulement pas été écarté mais se retrouve en finale de l’allée de la Pentecôte, en face de Noé, comme accomplissement des récits bibliques sur Noé : fidélité, universalité du salut, etc. Ce positionnement permet de terminer le parcours dans la cathédrale par un « envoi », celui vers la mission, dernier fruit de la Pentecôte, l’universalité de l’Église de par le monde mais aussi au cœur de Notre-Dame, dans un esprit d’unité, de fraternité et de solidarité du genre humain. La Promesse tient toujours et l’histoire sainte se poursuit à travers le monde. Dans la chapelle de la Sainte-Enfance désormais rebaptisée Saint-Paul-Chen, l’Esprit d’unité reçoit sa visibilité dans les traits sinisés de Marie et de son Fils et la présence d’un martyr chinois, qui a bénéficié de la solidarité des enfants français. Les liens entre Paul Chen et Paris s’expriment par les MEP et la Sainte-Enfance. Dans la nouvelle chapelle, le duilian est désormais associé à la toile de Marie, placée sur le mur occidental, et la sculpture de Geoffroy-Dechaume est placée au fond, sur le mur sud. Le reliquaire, contenant l’ensemble des ossements du corps du jeune martyr, est installé dans la chapelle Saint-Paul-Chen à l’automne 2025, accompagné de légendes multilingues, dont le chinois, pour permettre aux pèlerins et aux visiteurs de mieux comprendre la merveilleuse histoire de cet enfant du fin fond de la Chine, aujourd’hui honoré à Notre-Dame de Paris, à la suite des grands saints parisiens.
P. Bruno Lepeu
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