La Semaine Sainte, un rendez-vous incontournable pour le plus grand pays chrétien d’Asie

Le 28/03/2025
Dans un pays marqué fortement par la chrétienté, la Semaine Sainte consiste en un rendez-vous annuel incontournable pour de nombreuses familles philippines. Totalement fériée, elle représente un moment d’effervescence puisqu’elle permet à de nombreuses personnes de retourner en province pour se retrouver. Ces retrouvailles familiales et amicales sont ponctuées de célébrations religieuses parfois ostentatoires, dans la joie du partage de la communauté chrétienne et du Christ ressuscité.
Pour de nombreuses familles philippines, les célébrations pascales représentent un temps de partage important. Toute la Semaine Sainte est fériée jusqu’à Pâques et les écoles et les administrations sont fermées, ce qui permet de prendre du temps pour soi et pour les autres. Ainsi Rap, étudiant en économie, se réjouit de ces longues vacances. « C’est une opportunité pour se reposer et passer du temps en famille », confie-t-il.
Durant cette période, c’est de notoriété publique : toutes les gares routières et les transports sont bondés, car de nombreuses personnes vivant à Manille rentrent dans leur province natale pour y retrouver leurs proches. Certains médias parlent même d’exode (Voir cet article sur le média populaire PhilStar : « Ensure passengers’ safety during Holy Week exodus »).

Déplacements et retrouvailles
Pour Matthew, ingénieur de données, « le plus important pour moi pendant la Semaine Sainte, c’est de sortir de Manille ». Comme lui, de nombreuses personnes voyagent en voiture, en avion ou en bus, et il faut parfois attendre plusieurs heures, voire dormir dans la gare routière pour prendre un bus, ou encore réserver son billet d’avion bien à l’avance. Après ces grands déplacements et cette effervescence, qui se déroulent en général les deux premiers jours de la Semaine Sainte, le calme prend le dessus. Les rues de la capitale semblent vides, de nombreux commerces sont fermés ou fonctionnent au ralenti et le climat est propice au repos.
Au-delà de leur aspect religieux, les célébrations de Pâques marquent donc la vie de l’archipel, puisqu’elles permettent à de nombreuses personnes de voyager et de se retrouver. Le Code du travail philippin prévoit en effet un minimum légal de cinq jours de congés payés par an, et c’est à travers les jours fériés complémentaires comme ceux de la Semaine Sainte que de nombreuses personnes ont l’opportunité de stopper leur activité pendant plusieurs jours, pour retrouver leurs proches et passer un moment en famille.
Le jeûne au malagkit (gâteaux de riz gluant)
Bien entendu, Pâques revêt une dimension profondément religieuse pour de nombreuses familles de l’archipel. Alissa, qui enseigne les mathématiques, insiste par exemple sur le fait que « la Semaine Sainte est vraiment différente » aux Philippines. « Les gens vont à l’église et se rappellent la souffrance, la mort et la résurrection de Jésus ». En plus des célébrations, les différentes pratiques des fidèles philippins durant leur montée vers Pâques sont centrées, sans surprise, autour du jeûne, de la prière et de l’aumône.
Une enquête récente montre que 58 % des chrétiens de l’archipel « n’ont pas de difficultés à vivre ces actes de pénitence ». Seulement 26 % avouent avoir du mal à jeûner, tandis que 10 % ne sont pas en capacité d’offrir l’aumône. Cette enquête montre aussi que ces pratiques ont tendance à être moins suivies chez les plus jeunes. Pour aider les fidèles, durant le Carême, certaines paroisses utilisent aussi les réseaux sociaux pour poster des campagnes basées sur le jeûne et la prière.

Gabriela, comptable dans une banque, souligne que « les pratiques de jeûne sont différentes selon les personnes et les familles ». « Certaines personnes ne mangent pas du tout de viande ni d’œufs durant le Carême, d’autres durant certains jours », précise-t-elle. « Certains privilégient le poisson et les fruits de mer, d’autres évitent carrément de sortir dans des restaurants durant toute cette période. En général, on mange beaucoup de gâteaux au riz gluant, le malagkit, car cela permet d’observer le jeûne sans que cela ne soit trop difficile. »
Visita Iglesia
Le Jeudi Saint et le Vendredi Saint, de nombreux fidèles participent à des processions nommées Visita Iglesia en marchant pieds nus dans les rues. Pour ces pèlerins, il s’agit de se souvenir de la souffrance et de la Passion du Christ en se rendant dans sept ou quatorze églises différentes. Selon la tradition populaire, quiconque se rend dans quatorze églises durant le Triduum pascal verra ses vœux exaucés. Selon certaines familles philippines, le chiffre sept fait écho aux sept dernières paroles du Christ, et le chiffre quatorze se réfère aux stations du chemin de Croix.
Pour soutenir la diaspora philippine, isolée de ces célébrations, et qui vit souvent dans des pays à minorité chrétienne, un site Internet a été créé récemment : visitaiglesia.net. Ce site permet aux Philippins expatriés de vivre la Semaine Sainte et la Visita Iglesia à distance, avec des vidéos thématiques qui permettent de ressaisir le sens de la célébration de la Résurrection du Christ ou de visiter les églises virtuellement.

Comme on le voit, les célébrations de Pâques aux Philippines s’adaptent bien aux nouveaux outils de communication. Sur ce sujet, Gabrielle confie aussi que « le Jeudi et le Vendredi Saint, les grandes chaînes de télévision passent des films religieux ou des films qui montrent la joie de vivre en famille ». Au-delà de la télévision, les célébrations de Pâques s’immiscent aussi dans la production artistique contemporaine. Dans les années 1990, une chorégraphe philippine, Agnes Locsin, a ainsi créé une chorégraphie intitulée Moriones. Exécuté sur une pièce de musique contemporaine du compositeur Philip Glass, le ballet met en scène quatre soldats romains qui partent à la recherche de Jésus, avant son arrestation. Ce ballet a récemment été rejoué au Centre culturel des Philippines.
Pénitences publiques
En contrepoint à ces moyens d’expression modernes, les Philippines ont aussi la particularité de permettre des pénitences publiques durant la Semaine Sainte. Héritées de traditions anciennes, ces pénitences s’articulent autour de l’autoflagellation ou de la crucifixion. Une foule de pèlerins marche plusieurs kilomètres, sans boire d’eau et sous un soleil brûlant, en s’autoflagellant, ce qui attire de nombreux touristes qui veulent assister à ces processions spectaculaires.
Le gouvernement et l’Église catholique découragent fortement ces pratiques en les dénonçant comme non-pieuses. Ces pratiques de pénitence se déroulent en particulier dans la région de Pampanga, mais elles sont toujours suivies par de nombreuses personnes qui souhaitent illustrer et incarner les souffrances du Christ, ou encore obtenir des bénédictions spéciales, une intervention divine ou des réponses à leurs prières pour la personne souffrante ou pour d’autres personnes. Pour certains Philippins plus jeunes comme Joshua, comptable, ces pratiques sont « cruelles et inhumaines et il est incompréhensible qu’elles soient encore suivies aujourd’hui », et il est fort probable que ce type de procession disparaisse peu à peu.
Nous le voyons donc, la Semaine Sainte est un rendez-vous incontournable dans ce grand pays chrétien d’Asie, en permettant aux familles de se retrouver et de prendre un temps de recul important pour se saisir de la Passion et de la Résurrection du Christ, avec une grande sensibilité à la modernité. Après les quarante jours de Carême, le dimanche de Pâques ouvre le temps pascal mais annonce la fin des festivités et la reprise du travail.
(Ad Extra, Jérémy Ianni)