Singapour

L’Église Catholique à Singapour se prépare à accueillir le pape François en septembre

Vue aérienne du parc Merlion et de ses environs, à Singapour. Vue aérienne du parc Merlion et de ses environs, à Singapour. © Bob T / CC BY-SA 4.0
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Singapour est sur le point de vivre un événement historique en septembre prochain avec la visite très attendue du pape François. L’Église catholique de Singapour vient de célébrer ses 200 ans en 2021, les messes y sont pleines le dimanche et elle joue un rôle important dans la société, malgré son statut minoritaire. La venue du pape devrait apporter un renouveau spirituel à cette communauté en quête de maturité.

Brève histoire de l’Église Catholique à Singapour

L’histoire du catholicisme à Singapour remonte au début du 19ème siècle. En 1821, le père Laurent Imbert, missionnaire des Missions Étrangères de Paris (MEP), de passage sur l’île, y célèbre la première messe catholique. Dans une lettre datant du 12 décembre 1821, il signale qu’il n’a trouvé qu’une douzaine de catholiques, « tous dans un état pitoyable et un grand oubli de la religion ». Quelques années plus tard, les premiers missionnaires MEP sont envoyés à Singapour. L’un d’eux, Jean-Marie Beurel (1813-1872), eut un rôle fondateur. Il fit construire la cathédrale du Bon Pasteur, une école pour garçons dirigée par les Frères des Écoles Chrétiennes, et une école pour filles dirigée par les Sœurs de l’Enfant Jésus (aussi appelées les Dames de St Maur).

La mission portugaise cherchera aussi à s’implanter à Singapour, ce qui provoquera de nombreuses tensions avec les missionnaires français. Le territoire sera pendant 95 ans sous une double juridiction ecclésiale. La population catholique de Singapour augmente, et les prêtres MEP construisent de nouvelles églises pour répondre aux besoins. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Michael Olçomendy (MEP) est consacré évêque de Malacca-Singapour à la cathédrale du Bon Pasteur. Six ans plus tard, en 1953, Singapour reçoit 20 missionnaires MEP expulsés de la Chine communiste.

Progressivement, un clergé local remplace les missionnaires, et c’est ainsi qu’en 1976, Mgr Olçomendy se retire, laissant la place à Mgr Yong, un prêtre qu’il avait ordonné et envoyé se former à Rome. L’Église s’implique de plus en plus dans la société, non seulement avec les écoles, mais aussi avec un hôpital, un hospice, des maisons de retraite, etc.

Un engagement social plus timide depuis 1987

Cependant, un évènement important refroidit l’engagement social de l’Église. En 1987, lors de « l’Opération Spectrum », 22 personnes, dont une majorité de catholiques, sont arrêtées sous prétexte d’une implication présumée dans « une conspiration marxiste visant à renverser le système social et politique existant à Singapour, en utilisant les tactiques communistes, dans le but d’établir un État marxiste ». Il s’agissait en fait pour la plupart de chrétiens engagés auprès des plus défavorisés (ouvriers, prisonniers, drogués, femmes de ménage, etc.). Mgr Yong fut contraint par le gouvernement de se désolidariser, et l’engagement social de l’Église locale est depuis très timide.

En décembre 2021 dans la cathédrale du Bon-Pasteur de Singapour, à l’issue de l’année jubilaire Catholic200SG, qui célébrait 200 ans de présence catholique à Singapour.
En décembre 2021 dans la cathédrale du Bon-Pasteur de Singapour, à l’issue de l’année jubilaire Catholic200SG, qui célébrait 200 ans de présence catholique à Singapour.
© Cathedral of the Good Shepherd / Ucanews

En 2015, à la mort du père Guillaume Arotçarena (un missionnaire MEP qui avait dû quitter le pays suite à l’Opération Spectrum), une messe fut célébrée par l’actuel archevêque de Singapour, Mgr William Goh. Théologien plus que pasteur, il fit appel au pardon des uns et des autres, et souligna dans son homélie que la première leçon à tirer des événements de 1987 est que la mission sociale de l’Église est principalement spirituelle. « La mission sociale de l’Église est une expression de la proclamation de l’Évangile », a-t-il dit. « L’Église ne doit jamais être réduite à une organisation humanitaire. Nous ne sommes pas une autre ONG. »

Mgr William Goh a été créé cardinal par le pape François en 2022. Le leader actuel de l’Église singapourienne est plutôt conservateur, ordonné prêtre en 1985 après avoir terminé ses études à l’Université pontificale urbanienne et à l’Université pontificale grégorienne de Rome. De retour à Singapour, il enseigne au grand séminaire Saint François Xavier.

Depuis sa nomination comme archevêque en 2013, il accorde beaucoup d’importance à la formation spirituelle des catholiques du diocèse, par ce qu’il appelle la « Nouvelle Évangélisation » : « La nouvelle évangélisation est un appel à tous les catholiques à renouveler leur foi et, en travaillant en communion, à partager avec ardeur la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et à être des témoins visibles de son amour dans toutes les sphères de la société, en utilisant des approches pertinentes pour la société d’aujourd’hui. » Mgr Goh est aussi très critique des influences de l’Occident sur la société singapourienne et exprime régulièrement sa crainte de voir ses églises se vider comme en Europe.

Le catholicisme aujourd’hui à Singapour

Dans la cité-État de Singapour, les 395 000 catholiques (soit 7 % des 5,6 millions d’habitants) bénéficient d’une totale liberté de culte : les églises sont pleines le week-end, avec des fidèles de toutes générations. Plus d’un tiers des catholiques singapouriens vont à la messe chaque week-end et donnent régulièrement au denier du culte ou à des campagnes de financement pour les projets du diocèse.

En revanche, ces catholiques s’engagent peu sur les questions sociales et l’Église s’autocensure pour éviter de critiquer le gouvernement. À titre d’exemple, lorsqu’en 2018 l’Église de Rome déclare la peine de mort inadmissible en toutes circonstances, le diocèse de Singapour, où la peine de mort est toujours pratiquée, déclara : « C’est la position de l’Église. Cependant, elle n’impose son point de vue à aucun gouvernement. Elle respecte la responsabilité des autorités de l’État d’assurer la protection des personnes dont elles ont la charge et, comme dans tous les domaines, continuera à travailler avec elles pour servir le bien commun. »

L’archidiocèse ne fait pas partie d’une province ecclésiastique, mais relève de la juridiction directe du Saint-Siège et est membre de la Conférence des évêques catholiques de Malaisie, de Singapour et de Brunei. Il compte aujourd’hui une cinquantaine d’églises et de chapelles pour 32 paroisses réparties sur tout le territoire. Ces paroisses sont souvent équipées d’un réfectoire où de nombreux paroissiens se retrouvent pour déjeuner après la messe.

Beaucoup sont engagés dans divers groupes paroissiaux tels que les chorales, les servants de messe, les groupes de prière, les communautés de quartier, les catéchistes, etc. La vitalité de chacune de ces paroisses est impressionnante et souvent due au fait que chaque année, de nouveaux baptisés rejoignent la communauté (en moyenne plus d’un millier d’adultes sont baptisés chaque année).

En 2021, l’Église catholique locale a célébré son 200ème anniversaire

La paroisse de Notre-Dame du Perpétuel Secours (OLPS), par exemple, dessert plus de 8 000 paroissiens et compte plus d’une trentaine de baptêmes d’adultes par an. Le lieu de culte, comme la plupart des églises à Singapour, est climatisé depuis sa rénovation en 2000 et contient 1 200 places assises. L’espace au rez-de-chaussée a été agrandi pour offrir de meilleures installations et une nouvelle cuisine a été construite, ainsi que des salles de réunion.

Le pape Jean-Paul II avec une foule de 70 000 fidèles singapouriens, le 20 novembre 1986 dans l’ancien Stade National.
Le pape Jean-Paul II avec une foule de 70 000 fidèles singapouriens, le 20 novembre 1986 dans l’ancien Stade National.
© Catholic News archives.

Étant donné le manque de terrain et son prix sur l’île, les cimetières disparaissent peu à peu ; un columbarium de 2 500 niches pour conserver les urnes funéraires après crémation a donc été ajouté à l’église. Le week-end, sept messes – dont une en mandarin – sont proposées aux fidèles. Une messe en indonésien et une autre en tagalog ont lieu une fois par mois. Chaque messe a sa propre chorale et ses musiciens, ainsi que ses enfants de chœur, ses ministres de la communion, de l’accueil, etc.

L’archidiocèse de Singapour supervise 53 écoles, 2 établissements de santé et 47 organisations humanitaires. Il a donc un impact significatif sur la société singapourienne, offrant des services éducatifs et médicaux de haute qualité tout en promouvant les valeurs chrétiennes de compassion et de service. En 2021, l’Église catholique locale a célébré son 200ème anniversaire. Pour commémorer cette étape historique, une célébration d’un an appelée Catholic200SG a été organisée, avec toute une série d’activités impliquant les différentes paroisses. Le tout s’est conclu par une grande célébration en décembre 2021, rassemblant plus de 6 000 fidèles.

Les défis actuels

L’Église catholique à Singapour fait face à plusieurs défis dans un monde en rapide évolution. L’un des principaux défis est de rester pertinente pour les jeunes générations. Avec une société de plus en plus sécularisée, attirer et retenir les jeunes fidèles est une priorité. L’Archdiocesan Pastoral Council (l’APC, le Conseil pastoral de l’archidiocèse), inauguré par le cardinal Goh en 2023, a pour objectif de promouvoir la collaboration entre le clergé et les laïcs afin de renforcer la mission de l’Église locale, pour aider le cardinal à élaborer un plan pastoral sur dix ans pour l’ensemble de la communauté.

L’APC se concentre sur l’élaboration de stratégies pastorales, la mise en œuvre de programmes diocésains, et l’évaluation des besoins des paroisses. Jusqu’à présent, le conseil a organisé plusieurs ateliers de formation, des consultations avec diverses communautés, et a lancé des initiatives pour améliorer la communication et la coopération au sein de l’archidiocèse.

Le « Catholic Hub » est un autre chantier en cours de réalisation. Ce projet ambitieux de la Catholic Foundation à Singapour vise à créer un centre catholique multifonctionnel pour soutenir la mission et l’unité de la communauté catholique locale. Les principales organisations diocésaines y seront relocalisées, renforçant ainsi leurs collaborations pour mieux servir la communauté, avec le soutien d’équipements tels qu’une salle polyvalente et des logements pour des retraites.

Ce centre catholique coûterait plus de 100 millions de dollars (70 millions d’euros). Ce type de projet est tout à fait réalisable à Singapour, car les fidèles sont en général très généreux. Caritas Singapore, par exemple, qui centralise les actions envers les plus défavorisés de la société (pauvres, migrants, handicapés, prisonniers, malades du SIDA, etc.), a collecté 12,5 millions de dollars rien qu’en 2023 (8,5 millions d’euros).

Alex Yam, membre catholique du parlement, soulignait l’importance de la famille et les soucis de natalité dans le pays, dans un récent numéro du Catholic News, la publication officielle du diocèse : « Aujourd’hui, l’augmentation des taux de divorce et la baisse du taux de natalité remettent en question le tissu social, car le concept de famille nucléaire traditionnelle – le fondement de la société et le moyen par lequel les valeurs catholiques sont transmises – est de plus en plus marginalisé. » Le taux de fécondité de Singapour est un des plus bas au monde. Pour renforcer les liens familiaux, de nombreux programmes sont regroupés sous la Church’s Catholic Family Life, qui supervise 14 organisations s’occupant de tous les aspects de la vie familiale.

Autre sujet d’inquiétude : les écarts dans la société entre les très riches et ceux qui souffrent de l’inflation dans la ville la plus chère du monde. Même si l’extrême pauvreté est moins répandue à Singapour qu’ailleurs, l’écart grandissant entre riches et pauvres reste un problème. Le pape François met l’accent sur l’option préférentielle de l’Église pour les pauvres. L’approche pastorale du pape « nous met au défi, nous les fidèles, de lutter contre les injustices sociétales, de défendre les marginalisés et de promouvoir le dialogue et la réconciliation en mettant le Christ au centre de nos vies, de notre communauté et de notre nation », ajoute Alex Yam.

« Le catholicisme est indéniablement lié au tissu complexe d’aspirations et de défis de Singapour. Les enseignements du Saint-Père nous fournissent une boussole morale pour naviguer dans ces complexités afin de construire une société où chaque personne est valorisée, chaque famille est soutenue et chaque individu peut vivre avec un but et dans la dignité », conclut-il.

La visite papale en septembre

Le logo de la visite apostolique de septembre à Singapour.
Le logo de la visite apostolique de septembre à Singapour.

La toute première visite d’un pape à Singapour fut celle de Jean-Paul II, le 20 novembre 1986. Une statue de celui-ci, près de la cathédrale du Bon Pasteur, commémore cet événement. Le pape François sera dans la cité-État pour trois jours, du 11 au 13 septembre, après avoir visité l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Timor Leste.

Le point d’orgue de cette visite sera la messe du 12 septembre au Stade National avec plus de 50 000 fidèles. La célébration commencera par la récitation du chapelet de la divine miséricorde, suivie d’un spectacle produit par l’Office for Young People (le bureau de la jeunesse). Une chorale de 1 600 chanteurs (en majorité des élèves des écoles catholiques du diocèse) chantera des chants traditionnels et environ 4 500 bénévoles assureront le bon déroulement de l’événement.

Le même jour, le pape sera reçu officiellement au Parlement et rencontrera le président Tharman Shanmugaratnam ainsi que le premier ministre Lawrence Wong. Le lendemain, le Saint-Père visitera la maison de retraite Sainte Thérèse où sont hébergés entre autres, les prêtres à la retraite et notamment l’ancien évêque, Mgr Nicholas Chia (prédécesseur de Mgr Goh).

Il finira sa visite par une rencontre interreligieuse avec plus de 500 jeunes et des représentants des 10 religions membres de l’Organisation Interreligieuse de Singapour. Lawrence Chong, qui organise cette rencontre interreligieuse, espère « que le 13 septembre, les 500 jeunes qui rencontreront le pape François inspireront à une nouvelle génération l’unité et l’espoir dont notre monde d’aujourd’hui a tant besoin. » Ce Singapourien de 45 ans est le plus jeune consultant du Dicastère pour le dialogue interreligieux du Vatican.

Dans un article du Catholic News, M. Chong ajoute : « Certains déclarent qu’il est dangereux pour les jeunes de s’impliquer dans le dialogue interreligieux s’ils ne sont pas correctement formés à la foi. C’est une fausse idée. En réalité, les jeunes sont déjà engagés dans le dialogue interreligieux quotidien dans nos communautés à travers des festivités religieuses, des choix alimentaires fondés sur la foi et même en abordant des sujets sensibles provoqués par des événements internationaux tels que la guerre de Gaza. Dans un contexte interreligieux, rencontrer d’autres jeunes engagés religieusement incite à mieux connaître sa propre foi afin de dialoguer avec eux. Mes amis bouddhistes, musulmans et hindous, grâce à leur foi profonde, m’ont poussé à approfondir ma vie de prière et ma compréhension des doctrines de l’Église afin de pouvoir partager davantage avec eux. »

L’Église de Singapour n’a peut-être que 200 ans, mais elle est porteuse d’espoir et pourrait devenir un modèle d’accueil de la diversité dans un monde enclin à se refermer sur la recherche identitaire.

(Ad Extra, par François Bretault)