Les étudiants japonais en crise : les limites d’un système scolaire sous pression
Le système éducatif japonais, admiré par le monde entier pour sa rigueur, est également un système sous haute pression. © UN Women/Hiroaki Yamaguchi / CC BY-NC-ND 2.0Le 15/11/2024
Le journaliste Cristian Martini Grimaldi, auteur de « Japan does it better ? », signale une hausse inquiétante de l’absentéisme, des problèmes de santé mentale et de la dépression parmi les étudiants japonais. Citant un rapport récent, il explique que le système éducatif japonais, admiré dans le monde entier pour sa rigueur, est également un système sous haute pression, qui forme les élèves d’une façon parfois plus alarmante que bénéfique.
Il y a une hausse alarmante de l’absentéisme, des problèmes de santé mentale et de la dépression parmi les étudiants japonais. C’est une question éducative, mais cela reflète aussi un problème sociétal plus profond.
Un rapport récent révèle que plus de 30 % des collégiens et lycéens ayant manqué l’école citent un manque de motivation comme raison principale, ce qui soulève des questions à l’échelle nationale. Pour les élèves de collège, l’anxiété et la dépression sont cités comme deuxième et troisième cause par le rapport, avec plus de 20 % des répondants évoquant ces maux, ce qui met en cause l’aggravation des problèmes de santé mentale rencontrés par ces jeunes.
Le système éducatif japonais, admiré dans le monde entier pour sa rigueur, est également un système sous haute pression, qui forme les élèves d’une façon parfois plus alarmante que bénéfique. Sous des apparences de discipline et d’accomplissement, les jeunes actuels rencontrent de nombreuses difficultés que leurs écoles, leurs familles et la société peinent à relever.
Au Japon, les élèves commencent à sentir le poids des attentes de réussite scolaire parfois dès l’école primaire. Quand ils atteignent le lycée, la pression de l’excellence est souvent écrasante. Chaque note et chaque résultat ressemblent à une étape critique vers une place dans une université prestigieuse, et ultimement vers une carrière stable. Avec ces enjeux, le stress et le burn-out peuvent être presque inévitables.
« Les Japonais sont les seuls étudiants qui ne posent jamais de questions »
Le problème étant que ces pressions laissent peu de place pour la croissance personnelle ou la créativité. Plutôt que de nourrir la curiosité, les écoles préfèrent demander la conformité et la perfection. Selon un enseignant originaire des Philippines, qui a beaucoup travaillé à l’étranger, « les Japonais sont les seuls étudiants qui ne posent jamais de questions ».
Les étudiants au Japon apprennent à suivre des routines rigides, se concentrent sur les résultats, et sacrifient souvent leurs propres intérêts afin de répondre à ces demandes exigeantes. Pour ceux qui peinent à suivre ou qui se sentent déconnectés du programme, cette pression mène à l’anxiété, la perte de motivation, voire même le refus de venir à l’école. Ce système strict, bien qu’efficace, prend bien peu en compte la santé mentale des élèves, ce qui leur laisse peu d’exutoires pour faire face à la pression de ces demandes intenses.
Les vies des étudiants actuels au Japon sont de plus en plus numériques. Les smartphones, réseaux sociaux et jeux vidéo remplissent la majorité de leur temps libre en dehors de l’école, et représentent souvent une échappatoire face aux pressions du monde réel. Bien que ces plateformes permettent une certaine connexion, elles peuvent aussi conduire à l’isolement. Le temps passé en ligne remplace celui qui aurait pu être utilisé pour des rencontres en face-à-face, ce qui favorise la solitude malgré une connectivité constante.
La structure familiale traditionnelle japonaise a changé
Au Japon, où la modestie et la conformité sont tenues en haute estime, les jeunes sont souvent réticents à aborder ouvertement leurs difficultés. Beaucoup d’étudiants se tournent vers des espaces en ligne afin de dissimuler leurs soucis plutôt que d’y faire face. La dépendance numérique impacte non seulement la santé mentale mais trouble aussi leurs routines quotidiennes, leurs habitudes de sommeil et leur santé physique, d’importance cruciale pour le bien-être d’un étudiant. Quand la technologie devient à la fois une échappatoire et une trappe, elle approfondit le cycle d’isolement social qu’expérimentent beaucoup d’étudiants japonais.
Il faut aussi reconnaître que la structure familiale traditionnelle japonaise a changé. Dans beaucoup de foyers, les deux parents ont souvent des horaires de travail chargés, sans compter les familles monoparentales. Par conséquent, les enfants peuvent se retrouver à passer beaucoup de temps seuls, manquant d’un soutien essentiel qui faisait auparavant partie de la vie quotidienne.
Avec des parents souvent trop occupés pour superviser les routines scolaires, les élèves se retrouvent à devoir gérer seuls leurs responsabilités. Ce changement les amène à devoir s’orienter avec peu de conseils ou d’encouragements. Sans un véritable système de soutien à domicile, les étudiants peuvent se sentir isolés dans leurs difficultés, ce qui affecte leur motivation et leur estime de soi. Le sentiment qu’ils doivent tout gérer par leurs propres moyens s’ajoute à la pression qu’ils rencontrent à l’école et dans la société, et peut renforcer le désintérêt et le détachement vis-à-vis des études.
Valoriser la santé et l’équilibre mental autant que la réussite académique
Bien qu’il y ait eu quelques progrès ces dernières années dans ce domaine au Japon, la stigmatisation entourant les questions de santé mentale reste forte dans le pays. Admettre un état anxieux ou dépressif est difficile pour des étudiants qui craignent d’être jugés ou mal compris. Les écoles offrent certes des accompagnements, mais les ressources sont limitées, et les conseillers n’ont pas toujours la formation nécessaire pour gérer des cas graves de dépression ou d’anxiété.
Ce manque de discussion ouverte sur la santé mentale force les étudiants à garder leurs problèmes pour eux. Cette honte crée un cycle de silence qui empêche les étudiants de demander de l’aide, jusqu’à ce que leurs problèmes deviennent extrêmes. Dans beaucoup de cas, les étudiants atteignent un état critique, jusqu’à choisir d’éviter l’école plutôt que de se confronter ouvertement à leurs problèmes.
On peut donc dire sans risque que les soucis rencontrés par les étudiants aujourd’hui au Japon ne sont pas seulement individuels ou personnels, mais ils reflètent tout un système qui exige la perfection, mais qui ne fournit pas le soutien nécessaire afin de l’atteindre sainement. Faire face à cette crise requiert plus que des réformes scolaires. Cela demande une véritable transformation culturelle, afin de valoriser la santé et l’équilibre mental autant que la réussite académique.
Martini Grimaldi, basé à Tokyo, écrit sur le Japon, la Corée et d’autres pays asiatiques. Il a travaillé pour L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, durant plus d’une décennie. Il contribue régulièrement des aux grands médias italiens. Son dernier livre est « Japan does it better ? ».
(Avec Ucanews)