Pakistan

Les réfugiés afghans expulsés en masse du Pakistan

Un camp de réfugiés afghans au Pakistan, mai 2020. Des milliers de familles afghanes devaient quitter le pays avant le 1er novembre. Un camp de réfugiés afghans au Pakistan, mai 2020. Des milliers de familles afghanes devaient quitter le pays avant le 1er novembre. © ECHO / Mallika Panorat (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)
Lecture 7 min

Le 1er novembre était la date butoir donnée par les autorités pakistanaises aux réfugiés afghans sans papiers pour quitter le pays. L’expulsion concerne plus d’1,7 million de personnes. Le Pakistan, actuellement dirigé par un gouvernement intérimaire, a indiqué que les réfugiés n’ayant pas encore quitté le territoire seront « encouragés » à le faire volontairement, mais souligne que « le processus d’arrestation puis d’expulsion des étrangers en situation irrégulière a commencé ».

Le retour au pays des réfugiés afghans vivant au Pakistan a débuté depuis plusieurs semaines et s’est précipité à l’approche du 1er novembre, date après laquelle les « sans-papiers » peuvent être arrêtés et déportés par les autorités pakistanaises. La police et l’armée se sont chargées de leur rappeler la fin de l’ultimatum par des annonces diffusées via les haut-parleurs des mosquées. Dans la crainte d’une expulsion forcée, des milliers de familles afghanes ont déjà pris la route, par bus et camions chargés de bagages, pour revenir au pays natal. Les postes-frontières entre l’Afghanistan et le Pakistan ont enregistré un record d’afflux dans la journée du 1er novembre, portant, d’après les autorités, à 200 000 le nombre de réfugiés ayant déjà quitté le sol pakistanais.

Cet exode massif est imposé par une décision d’Islamabad rendue publique le 3 octobre, qui a laissé aux réfugiés afghans à peine un mois pour faire leurs valises. Ces expulsions concernent l’ensemble de la population des sans-papiers vivant au Pakistan, comprenant principalement 1,7 million de réfugiés afghans. Face à cette tragédie massive, des politiciens pakistanais viennent de déposer un recours auprès de la Cour Suprême pour demander la suspension de cette décision, alors que l’Onu lance également des appels en ce sens auprès des autorités pakistanaises. Dans l’immédiat, l’ultimatum du 1er novembre entend être ferme : ceux qui ne seront pas partis volontairement vont être expulsés de force. Il n’y aura « aucune concession », a signalé le ministre de l’Intérieur Sarfraz Bugti. Ce mercredi, le gouvernement pakistanais a ouvert une cinquantaine de centres de transit afin d’y placer les Afghans en attente de renvoi dans leur pays.

Plusieurs médias font état du désespoir des Afghans expulsés, après avoir vécu des années, voire des décennies, au Pakistan. Parmi les plus jeunes, certains ne connaissent même pas l’Afghanistan. Leur déchirement est accompagné de la peur de retourner dans un pays que nombre d’entre eux avaient quitté parce qu’ils se sentaient menacés. Des centaines de milliers de familles avaient fui un pays laminé par les guerres, les violences et le chaos. Les vagues successives de réfugiés ont suivi les bouleversements historiques de l’Afghanistan, marqués par l’invasion soviétique en 1979, l’hégémonie talibane des années 1990, puis les violences et attentats durant la période de transition démocratique sous l’invasion de la coalition internationale. Enfin, au moins 600 000 réfugiés afghans ont afflué au Pakistan après la prise de Kaboul par les Talibans, en août 2021.

Les réfugiés afghans perçus comme un fardeau au Pakistan

Si certains Afghans possèdent des papiers les autorisant à séjourner légalement au Pakistan, la plupart d’entre eux ne possèdent pas le statut de réfugié, que les autorités n’octroient plus depuis plusieurs années. Ils étaient néanmoins « tolérés », dans un pays qui comptait le plus grand nombre de réfugiés au monde. Mais un sentiment de rejet visant les réfugiés afghans a fait son chemin dans les mentalités pakistanaises. Ils sont désormais perçus comme un fardeau, dans un pays frappé par une grave crise économique et marqué par le chômage, l’inflation, et l’appauvrissement des classes moyennes et des plus démunis. Discriminés dans la vie quotidienne, les réfugiés sont également accusés d’alimenter les réseaux de contrebande, quand ce n’est pas le terrorisme. Le mois dernier, le ministre de l’Intérieur Sarfraz Bugti les a ainsi directement tenus pour responsables du terrorisme et de freiner la reprise économique.

Ainsi, le Pakistan avance agir pour « le bien-être et la sécurité » de la nation. La décision drastique et brutale d’expulser les réfugiés a été prise par le gouvernement intérimaire qui dirige le pays, dans l’attente d’élections sans cesse repoussées et sous forte interférence des pouvoirs militaires. Les autorités estiment que le régime taliban de Kaboul n’a pas œuvré pour écraser la résurgence des attaques perpétrées sur son sol par les combattants du groupe Tehreek-e-Taliban Pakistan, basé à la frontière afghane, et les relations entre les deux pays continuent à se détériorer.

Dans ce climat, le Pakistan se veut inflexible. La presse a fait état, au cours de ces dernières semaines, de brutalités perpétrées par les forces de l’ordre à l’encontre des réfugiés afghans, afin de les obliger à lever le camp. Mercredi, plusieurs dizaines d’entre eux ont été évacués à la frontière. La province du Khyber Pakhtunkhwa, principale terre d’asile des ressortissants afghans, se prépare quant à elle à mener des arrestations.

Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent un désastre humanitaire

Face à cette répression et à l’expulsion en masse des réfugiés, les défenseurs des droits de l’homme et les organisations internationales dénoncent un désastre humanitaire. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, s’est dit « très préoccupé par ces déplacements forcés » et appelle le Pakistan à suspendre son plan d’action. Les agences des Nations unies mettent également en garde face à « une catastrophe des droits de l’homme ».

De l’autre côté de la frontière, en Afghanistan, le retour des exilés survient à une période des plus difficiles. Le pays est en proie à une crise humanitaire, avec près de 15 millions d’Afghans en situation d’insécurité alimentaire, décuplée par la sécheresse, les inondations et les tremblements de terre. En raison de la nature du régime taliban, de nombreuses assistances internationales ont été interrompues. L’afflux massif de réfugiés, qui ne possèdent plus rien en Afghanistan, est une tragédie annoncée. « Le retour forcé d’Afghans déjà extrêmement vulnérables, qui ont fui après la prise des Talibans et reviennent dans un pays en proie à la faim et à la sécheresse, est une énorme préoccupation », a commenté Ramani Leathard, directrice de l’organisation internationale Christian Aid en Asie. « L’approche d’un hiver qui s’annonce rude s’ajoute à la crise humanitaire croissante. »

Dans ce contexte, les autorités talibanes ont critiqué leur voisin pour une « décision contre l’humanité ». Et ont demandé à Islamabad, dans un communiqué publié mercredi, de « ne pas expulser de force les Afghans dans un délai aussi court ». Néanmoins, Kaboul se veut rassurant à l’égard des réfugiés. « Ils sont assurés de pouvoir revenir et de vivre en paix dans leur pays », avance un communiqué. « Nous assurons aux Afghans qui sont partis dans des pays étrangers en raison de certaines préoccupations qu’ils peuvent revenir et vivre une vie digne dans leur pays », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Zabiullah Mujjahid.

De retour au pays, ces Afghans vont être soumis aux restrictions imposées par le régime taliban, y compris l’interdiction d’accès à l’éducation pour les filles. Mais aussi, pour certains, à un régime qu’ils avaient fui car ils se sentaient en danger. Près de 25 000 d’entre eux étaient en attente d’une relocalisation aux États-Unis via des programmes mis en place après la prise de Kaboul par les Talibans. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés souligne également la vulnérabilité de certains groupes, notamment les minorités, les journalistes et les femmes, mais dit avoir reçu l’assurance du gouvernement pakistanais que ces cas seraient protégés. Néanmoins, Ravina Shamdasani, porte-parole de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, a alerté : « Nous sommes très préoccupés par la possibilité que les personnes déportées se retrouvent confrontées à des violations des droits de l’homme, incluant la torture, des arrestations arbitraires et des détentions, une discrimination sévère, et un manque d’accès aux besoins économiques et sociaux essentiels. »

(EDA / A. R.)