Liberté et altérité : les catholiques chinois et le pape américain

Le 16/05/2025
Un catholique anonyme en Chine continentale évoque l’élection d’un pape né dans un pays qui, selon la propagande chinoise, est un ennemi juré devant lequel il faut vanter la supériorité de la Chine. Pourtant, le regard ouvert des catholiques chinois vis-à-vis de Léon XIV montre, une fois de plus, que « le fait de croire rend libre », et qu’un Chinois ne devient pas catholique s’il ne s’est pas « libéré des tensions internationales que cela implique » et s’il ne les a pas d’abord « acceptées et intériorisées ».
Comment les catholiques chinois ont-ils vécu l’élection du pape Léon XIV ? Il y a quelques jours, de nombreux médias avaient noté la réaction tardive et minimaliste de Pékin (sur le site Internet du diocèse de Shanghai, la section consacrée aux actualités de l’Église, régulièrement mise à jour, est toujours bloquée sur la mort du pape François). C’est une question très sensible dans un pays où la propagande officielle voit le lieu de naissance du nouveau pape comme le principal rival de la Chine. Une source anonyme, citée par l’agence Asianews, partage sa réaction à l’élection du Saint-Père, en parlant de la grande liberté intérieure que les catholiques chinois montrent actuellement, malgré les pressions auxquelles ils sont soumis.
Les catholiques chinois aussi ont été surpris et enchantés par l’élection du nouveau pape. Nous avons pu suivre la diffusion en direct de nuit via une application dédiée, et nous avons publié les premiers commentaires timides en ligne, centrés principalement sur le nom choisi et sur sa translittération chinoise. Puis nous sommes revenus au silence habituel.
Il est inutile de cacher le fait que des idées « géopolitiques » ont entouré les premières réactions (au moins la mienne), en songeant à ce que la nationalité du pape signifierait pour l’avenir de la Chine. Personne n’a fait d’insinuations directes à ce propos, mais un prêtre m’a dit « Je ne savais pas qu’il n’y avait jamais eu de pape américain », et une jeune femme a dit « J’ignorais d’où venaient les papes précédents ».

Bien sûr, la question « géopolitique » existe et elle est très claire pour tout le monde, mais être chrétien en Chine est une expérience qui est déjà inséparable des tensions nationalistes. Un Chinois ne devient pas catholique s’il ne s’est pas d’abord libéré des tensions internationales que cela implique, et s’il ne les a pas acceptées et intériorisées. Des tensions qui ne sont pas purement intellectuelles mais qui impliquent la vie quotidienne de tout le monde, que la foi soit vécue publiquement ou en secret.
En fait, la propagande voudrait convaincre de l’idée qu’être catholique signifie ne pas être pleinement chinois, mais constitue une « capitulation face aux Occidentaux ». Les chrétiens, d’un autre côté, sont déterminés à réconcilier le fait d’être chinois avec le fait d’être chrétien, sans tomber dans la sinisation nationaliste. Ce n’est pas quelque chose d’anodin car les pressions sont lourdes ; si la foi n’est pas ancrée dans une conscience véritablement universelle, elle est anéantie.
L’élection de Léon XIV, symbole de liberté et de réconciliation ?
On ne peut être baptisé que si l’on accepte d’affronter tout cela tout au long de sa vie – les enfants sont élevés dans la foi en apprenant à prendre conscience de la pression supplémentaire que cela implique pour eux, et seulement s’ils sont pleinement convaincus d’être les pierres vivantes d’une plus grande universalité. Cette dernière permet à nos racines de s’épanouir, parce qu’elle enrichit notre culture et la rend vivante, même si elle est en même temps accusée.
Ainsi, une fois de plus pour l’Église chinoise, croire c’est être libre, ce qui rappelle le paradoxe évangélique qui dit que ceux qui sont enchaînés sont parfois plus libres que ceux qui ne le sont pas.
D’un côté, la propagande dominante en Chine voit l’Amérique comme « l’ennemi numéro un », et insiste sur le fait que la supériorité chinoise doit toujours être prouvée et vantée. C’est un modèle de communication réussi et efficace.
D’un autre côté, une attitude bien plus ouverte, bien que souterraine, voit l’Amérique comme « l’autre », celui qui suscite la curiosité. Les Américains ne sont pas l’ennemi mais représentent un exotisme à découvrir, « l’autre que moi » que j’aimerais connaître.
Je me souviens de l’excitation des « réfugiés de TikTok » il y a quelques mois (ndlr : début 2015 alors que l’application risquait d’être interdite aux États-Unis, de nombreux Américains avaient décidé de migrer sur une application chinoise équivalente). Ils disaient « Enfin, les Chinois et les Américains peuvent communiquer directement entre eux », ou « Je suis impatient de savoir comment un étudiant vit aux États-Unis », ou « Maintenant, il faut que l’on sache que ce sont les gouvernements qui ont des problèmes entre eux, par les gens ».
Tout le monde a besoin de l’altérité pour vivre, et la soif de diversité ne peut pas être réprimée longtemps – tôt ou tard, elle refait surface. De manière symbolique, l’Amérique préserve ce souhait.
Entre de tels extrêmes, il est possible de lire la façon dont l’élection de Léon XIV a été reçue, et l’Église avec lui, comme quelque chose qui représente un espace de liberté, même s’il vient avec un prix fort, et qui, au nom de l’unité et de l’altérité, est un signe de réconciliation.
(Avec Asianews, Silvia Torriti)