Maria Kannon de Kawaguchi
Maria Kannon de Kawaguchi.
Cette réplique en fonte présentée dans la Salle des Martyrs des Missions Étrangères (MEP) de Paris rue du Bac depuis 2004 est un don de la communauté chrétienne de Kawaguchi aux Mep à l’occasion du Jubilé de l’An 2000 et en mémoire du Père Albert Corvaisier, prêtre des Missions Étrangères, fondateur et curé de la paroisse de 1953 à 1961. Elle avait été offerte à celui-ci par le comité culturel du département du Saïtama pour le remercier de sa contribution aux recherches sur les origines de la statue. Elle fut précieusement gardée dans une vitrine des salles paroissiales.
L’original de cette statue en bois haute de 13 cm, ainsi que la croix, sont conservés au musée départemental du Saïtama en ville de Ômiya (Japon).
© A. de Monjour
Rédigé par Père Antoine de Monjour, MEP, le 18/12/2025
Cette statue représente une Vierge Marie à l’enfant camouflée sous les traits de la déesse bouddhique de la compassion : Kannon. Cette statuette est un héritage de la dévotion des « chrétiens cachés du Japon » qui devaient dissimuler leur foi à cause des persécutions entre 1613 et 1873.
En 1957, le comité culturel du Saïtama-Ken, département situé dans la banlieue nord de Tokyo, avait décidé l’étude d’un sanctuaire miniature (appelé en japonais « Zushi »「厨子」, une petite armoire, fermée par deux portes, contenant une divinité du Panthéon Bouddhique) placé dans le Temple dédié à Kannon (déesse de la compassion) du quartier de Shiba-Nishi dans la ville de Kawaguchi.
Il était en effet intrigué par le fait que ce sanctuaire miniature, sensé abriter une statue de Kannon n’avait pas été ouvert depuis plus de deux cents ans car, disait-on, « qui l’ouvrira perdrait la vue » ! Les portes étaient donc soigneusement cloutées et, depuis, personne ne s’était risqué à regarder à l’intérieur… Les responsables du Temple savaient seulement que les habitants de ce qui n’était alors qu’un village, avaient sauvé ce sanctuaire miniature lors de l’incendie qui avait détruit le Temple Manzo, voisin de celui dédié à Kannon, et l’avaient installé dans ce dernier.
Ce fut donc avec une prudente réserve (une ambulance avait été mobilisée au cas où) que ce sanctuaire fut ouvert. La première surprise fut de découvrir non pas une statue de Kannon mais une représentation assise d’Amida-Nyoraï (Bouddha du futur, gardien du Paradis de l’Ouest). Cette statue en bois d’à peine 30 cm de hauteur était placée sur un piédestal en forme de fleur de lotus et surmontée d’une auréole (nimbes ou gloires : chakra/ Kôhai en japonais). Cette statue est creuse, pour l’alléger et la rendre plus facilement transportable en cas d’incendie, et sa tête rapportée, mobile.
C’est là que se situe la seconde surprise : en démontant la tête, le comité a trouvé dans le creux dégagé deux objets chrétiens caractéristiques du temps des persécutions (1613-1873). Il s’agit d’une croix en cuivre de 8 cm et de cette représentation en bois d’environ 13 cm de haut de la Vierge Marie à l’enfant camouflée sous les traits de la déesse Kannon, d’où son nom de « Maria-Kannon ».
Quand et comment ces objets ont-ils été cachés dans cette statue d’Amida et qui l’a fait ?
Il n’y a pas de réponses précises à ce sujet mais des recherches furent menées conjointement par le comité culturel, le bonze en charge du Temple et le curé de la paroisse de Kawaguchi, alors le Père Albert Corvaisier (Mep -1921-1996), contacté à cette occasion. Elles ont permis d’établir quelques hypothèses.
Au XVIIe siècle, les chrétiens japonais fuient les persécutions
En juillet et décembre 1623, 50 puis 37 chrétiens arrêtés dans Edo (ancien nom de Tokyo) et ses environs furent martyrisés. Parmi eux se trouvait un certain Léo Gonshichirô Takeshiya dont l’épouse Ruhina, chrétienne elle aussi, avait pu s’enfuir chez sa grand-mère qui habitait dans le périmètre du Temple du village de Shiba, devenu depuis un quartier de la ville actuelle de Kawaguchi. Finalement arrêtée elle fut sauvée in extremis de l’exécution par l’intervention de son père, fidèle bouddhiste et officier loyal au Shogun. Il se pourrait que lors de sa fuite elle ait emporté ces deux objets qui sont caractéristiques de ceux possédés et cachés par les chrétiens clandestins de cette époque. A-t-elle pu ainsi, profitant de la proximité du Temple et des liens familiaux avec celui-ci, cacher elle-même, ou faire cacher grâce à la complicité d’un bonze compréhensif et tolérant, la croix et la statue de Maria-Kannon ? Les faits permettent de le penser comme il est vraisemblable de supposer que c’est aussi de cette époque que date la légende entourant le sanctuaire miniature renfermant la statue d’Amida et son précieux secret afin de le soustraire à la curiosité des fidèles. En effet, en cas de découverte de ces objets chrétiens, une dénonciation pouvait être crainte d’autant plus qu’elle était encouragée contre forte récompense par les autorités qui cherchaient par tous les moyens « l’éradication de la religion perverse », autrement dit de la religion chrétienne.
Nous pouvons imaginer Ruhina, et peut-être par la suite d’autres chrétiens cachés, venant prier au Temple devant ce sanctuaire, confiant au Christ et à la Vierge Marie leur détresse, leur foi et leur espérance qu’un jour ils pourront librement vivre en chrétien. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour que les chrétiens japonais obtiennent la liberté religieuse (1889) ; et 1957 pour prendre connaissance de leur témoignage dans ce coin du Kanto (région de Tokyo).
Père Antoine de Monjour