Birmanie

Mgr Celso Ba Shwe, un évêque parmi les réfugiés dans les forêts birmanes

Mgr Celso Ba Shwe, évêque de Loikaw, ici en septembre 2024 au Vatican, où il s’est rendu pour participer à un programme de formation pour les nouveaux évêques. Mgr Celso Ba Shwe, évêque de Loikaw, ici en septembre 2024 au Vatican, où il s’est rendu pour participer à un programme de formation pour les nouveaux évêques.
Lecture 9 min

Forcé d’abandonner sa cathédrale de Loikaw, dans l’État birman de Kayah, en novembre 2023 à cause des combats entre l’armée et les rebelles, Mgr Celso Ba Shwe continue de veiller sur les fidèles de son diocèse, qui vivent aujourd’hui dans près de 200 camps de réfugiés dans des régions reculées. Dans cette interview lors d’un déplacement à Rome, il parle de la tragédie des jeunes birmans au combat et il évoque la façon dont ces communautés, malgré leurs grandes difficultés, lui rappellent les premiers chrétiens.

Le 24 septembre dernier, le pape François a appelé à libérer Aung San Suu Kyi, en lui offrant un refuge au Vatican. Un geste qui a remis la Birmanie sur le devant de la scène internationale, alors que la guerre civile, largement oubliée par le reste du monde, se poursuit plus de trois ans après le coup d’État de la junte militaire. Dans ce contexte, Mgr Celso Ba Shwe, évêque de Loikaw, capitale de l’État de Kayah, évoque les souffrances de l’Église locale et livre un témoignage fort de vie chrétienne.

Il y a deux semaines, l’évêque birman âgé de 60 ans a participé à un programme de formation pour les nouveaux évêques nommés, un évènement organisé chaque année sous l’égide du Dicastère pour l’évangélisation, avant de retourner vivre auprès des membres de sa communauté, réfugiés dans les forêts birmanes.

En novembre 2023, il a été forcé de fuir la cathédrale du Christ-Roi de Loikaw, dont le complexe a été saisi par les militaires de la junte. Aujourd’hui, il vit avec les réfugiés dans l’État Kayah, forcés de vivre dans des tentes et des abris de fortune en bambou, dont certains ont été balayés par le typhon Yagi qui a frappé la région le mois dernier – ajoutant de nouvelles misères aux populations déjà en détresse.

« Ils se battent pour leur avenir et leur liberté »

« Plus personne ne vit à Loikaw. La plus grande partie de la ville a été incendiée et détruite, en particulier dans les quartiers chrétiens. Il est presque impossible d’y retourner à cause des mines antipersonnel et des obus non explosés. Seuls les rebelles des Forces de défense populaires [PDF] y retournent pour voir s’ils peuvent retrouver leur famille, mais même pour eux c’est dangereux », explique l’évêque.

Les PDF forment la branche armée du Gouvernement d’unité nationale en exil, et comptent des unités armées divisées en brigades territoriales. Créés en avril 2021 après le coup d’État qui a déclenché la guerre civile, ces groupes comptent surtout des jeunes, dont des chrétiens. Dans l’État de Kayah, les chrétiens sont près de 90 000 sur 350 000 habitants.

« Ils se battent pour leur avenir et leur liberté. Ils ont été témoins des progrès démocratiques durant les années Aung San Suu Kyi, entre 2015 et 2020. Maintenant les jeunes savent qu’il y a un espace où ils peuvent exprimer leurs libertés, et ils sont convaincus de se battre pour la justice. Et pas seulement les jeunes. Aucun d’entre nous ne veut revenir en arrière à l’époque de la dictature militaire », ajoute Mgr Ba Shwe.

Toutefois, pour l’évêque, « même les jeunes savent que la guerre n’est pas la solution pour atteindre un État démocratique. Nous avons besoin de dialogue. Ce que l’Église veut et demande, c’est que les rebelles se présentent comme un groupe unifié. Un jour peut-être. Pour l’instant, c’est encore très difficile. » L’idée d’un État fédéral en Birmanie est toujours un idéal, bien que difficile à atteindre.

« Ils sont fiers de leurs jeunes et ils prient pour leur réussite »

« Dans l’État de Kayah, au moins 600 jeunes sont décédés dans les combats à ce jour », explique Mgr Ba Shwe. « Pourtant les familles continuent de soutenir les PDF », note l’évêque qui est originaire de Moblo, un village du diocèse de Loikaw. Avant d’être ordonné évêque le 29 juin 2023, il a été administrateur apostolique du diocèse durant trois ans. « Dans les camps de réfugiés, beaucoup de gens manquent de nourriture, mais tout le monde met quelque chose de côté pour les combattants. Ils sont fiers de leurs jeunes et ils prient pour leur réussite et leur sécurité. »

La communauté chrétienne de Loikaw vit aujourd’hui dans près de 200 camps situés dans les forêts alentour, où près de 150 000 habitants ont trouvé refuge selon les chiffres de l’an dernier. « Les réfugiés vivent loin des villages, dans des régions reculées où il n’y a pas de combats », précise l’évêque, qui se corrige rapidement en ajoutant : « On ne peut pas vraiment dire qu’il n’y a pas de combats parce qu’ils peuvent subir des tirs d’obus à tout moment. »

« Les gens qui vivent là dépendent des dons internationaux et de la gentillesse de ceux qui les accueillent. Certains parviennent à emprunter des lopins de terre pour faire pousser du riz ou des légumes, mais c’est toujours risqué ; ils peuvent tous être abattus par l’armée à tout moment. »

Dans les camps de réfugiés, une Église dans la nature

Les enfants subissent les pires situations. Parfois, il y a même des collégiens qui rejoignent les combats. « Entre la pandémie et la guerre civile, certains enfants ne sont pas allés à l’école depuis cinq ans », déplore l’évêque. Au cours de l’an dernier, il a grandement contribué à former des petites écoles informelles parmi les réfugiés, afin de tenter de leur donner accès à l’éducation, pour une génération qui devra reconstruire le pays.

« Comme nous craignons que la junte militaire bombarde des lieux où les gens sont rassemblés en grand nombre, nous avons dispersé les classes en différents lieux, tentes et huttes dans la forêt. Les enfants ont appris à regarder en l’air pour vérifier si des bombes arrivent. S’ils voient un avion, ils savent qu’ils doivent courir se réfugier ailleurs. Ils étudient dans ce contexte de danger ; comment peuvent-ils, enseignants et élèves, se concentrer ainsi ? »

Le riz et l’eau (collectés à des kilomètres de distance) sont insuffisants et au moins dix camps de réfugiés ont été balayés par le typhon Yagi, qui a frappé l’Asie du Sud-Est en causant au moins 200 victimes en Birmanie. Pourtant l’évêque de Loikaw, tout en parlant de la vie de sa communauté, garde toujours le sourire, avec parfois un rire. « Ma force, c’est mon peuple, ils me donnent du courage. Après s’être installés dans les camps, ils ont commencé à demander ‘Où sont nos lieux de culte ? Nous voulons construire une église monseigneur, pouvez-vous nous aider ?’ Maintenant, dans tous les camps ou presque, il y a un lieu avec une petite croix où ils peuvent prier. C’est une Église dans la nature, c’est très beau. »

La renaissance d’une Église malgré la tragédie de la guerre

Après l’abandon forcé de sa cathédrale en novembre 2023, Mgr Ba Shwe a pu retourner sur place le mois suivant, en décembre. « Nous avons seulement pris les registres de baptême, que les prêtres utilisent aujourd’hui pour rechercher les gens de leurs paroisses parmi les réfugiés », confie-t-il. Tout le reste a été perdu ; même les tombes qui se trouvaient dans la cathédrale ont été ouvertes, probablement parce que les militaires craignent que des armes y soient dissimulées.

« Je suis un évêque sans cathédrale, mais je suis heureux. Quand je me suis échappé de Loikaw, beaucoup de gens m’ont dit d’aller à Taunggyi ou d’autres lieux en sécurité, sans combats. Mais comment pourrais-je abandonner mon peuple ? Je dois être là où sont mes brebis », insiste-t-il. « Les gens n’ont pas d’église, mais ils ont des lieux pour prier. Avec toutes ces difficultés, c’est une expérience qui me rappelle la vie des premiers chrétiens. Les gens me demandent : ‘Monseigneur, quand pourrons-nous retourner dans la cathédrale ? Je réponds que l’Église n’est pas un bâtiment. Quand les gens sont rassemblés, ils peuvent prendre soin les uns des autres ; quand ils s’aiment, qu’ils partagent, c’est là qu’est l’Église. »

« Les prêtres et les religieuses sont désormais dévoués plus que jamais auprès d’eux », assure-t-il, en évoquant la renaissance d’une Église malgré la tragédie de la guerre. « Dans certains camps, il n’y a pas de catéchistes, mais toute personne qui sait animer une prière ou lire l’Évangile et les Écritures peut devenir un nouvel évangélisateur. »

La Caritas de Loikaw reste également active, en intervenant dans les cas les plus urgents, quand les gens sont à cours de nourriture ou d’argent. « Nous ne sommes pas en mesure d’agir comme une véritable ONG, mais nous sommes toujours proches des gens, avec une clinique mobile et un groupe de soutien pour les plus traumatisés. Les religieuses, par-dessus tout, sont celles qui sont les plus proches de ceux qui souffrent. Et ainsi nous pouvons rejoindre les réfugiés dans les lieux les plus reculés, que les agences internationales ne peuvent pas atteindre. »

Enfin, Mgr Ba Shwe assure que « même s’il y a beaucoup d’épreuves et de difficultés, Dieu nous aide ». « Quand ils me disent : ‘Monseigneur, nous n’avons pas de riz pour les enfants’, quelqu’un vient toujours me voir pour offrir de l’aide. Ce que nous avons est insuffisant, mais nous avançons peu à peu. »

(Avec Asianews, Alessandra De Poli)