Pour le fils d’Aung San Suu Kyi, « personne n’est libre en Birmanie tant que tout le monde n’est pas libre »

Le 15 mai près de Milan, la citoyenneté honoraire de la ville d’Abbiategrasso a été décernée à Aung San Suu Kyi (actuellement en détention en Birmanie) en présence de son fils Kim Aris. Le 15 mai près de Milan, la citoyenneté honoraire de la ville d’Abbiategrasso a été décernée à Aung San Suu Kyi (actuellement en détention en Birmanie) en présence de son fils Kim Aris. © Asianews
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Le 15 juin, Aung San Suu Kyi, actuellement détenue par la junte birmane, a reçu la citoyenneté honoraire d’Abbiategrasso (près de Milan, Italie) – une décision prise par la ville afin d’attirer l’attention sur la situation que vit le peuple birman, aux prises avec « une guerre oubliée ». La cérémonie a eu lieu en présence de son fils Kim Aris, 47 ans, qui se dit confiant que les violences prendront fin et que l’armée sera vaincue. Pour lui, la seule issue est la voie de la paix, à condition que les facteurs qui la menacent soient supprimés, à savoir les discriminations, les inégalités et la pauvreté.

L’ancienne conseillère d’État Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, a 79 ans ce mercredi 19 juin. Mais pour elle, ce sera une nouvelle année passée en détention. Après avoir passé déjà un quart de sa vie en résidence surveillée à cause de son engagement pour la démocratie et contre le régime militaire, elle a été à nouveau arrêtée en 2021 à la suite du coup d’État de la junte, qui a déclenché une guerre civile.

Depuis, l’armée combat un mouvement de résistance composé de milices ethniques et autres groupes paramilitaires. Personne ne connaît le lieu exact de détention d’Aung San Suu Kyi, pas même ses fils, Alexander et Kim Aris, qui ont grandi et vivent toujours au Royaume Uni. Leur mère y faisait ses études avant de rencontrer son mari, Michael Aris. Elle est rentrée en Birmanie en 1988 pour rejoindre les manifestations pacifiques contre la dictature militaire. Une fois détenue, son mari n’a pu lui rendre visite qu’à cinq reprises avant de décéder d’un cancer en 1999.

Le week-end dernier, leur plus jeune fils Kim, aujourd’hui âgé de 47 ans, s’est rendu à Abbiategrasso, près de Milan, pour recevoir la citoyenneté honoraire de la ville d’Abbiategrasso décernée à sa mère. La décision de la ville a été prise afin d’attirer l’attention sur la situation politico-sociale que vit le peuple birman, aux prises avec ce que l’ONU a défini comme « une guerre oubliée ». En 1991, quand elle a reçu le prix Nobel, Alexander, alors âgé de 18 ans, et Kim, 14 ans, avaient accepté le prix au nom de leur mère. Le maire d’Abbiategrasso, Cesare Nai, présidait la cérémonie organisée le 15 juin dernier, en présence d’élus italiens et du père Gianni Criveller, directeur du centre PIME (Institut pontifical pour les missions étrangères) basé à Milan.

À cette occasion, Kim Aris s’est dit confiant que les violences prendront fin en Birmanie et que l’armée sera vaincue. Pour lui, la seule issue possible dans le pays d’Asie du Sud-Est est la voie de la paix, à condition que les facteurs qui la menacent soient supprimés, à savoir les discriminations, les inégalités et la pauvreté. Il a ajouté que « personne n’est libre » en Birmanie tant que « tout le monde n’est pas libre ».

« Nous pensons qu’elle est toujours en prison, et non en résidence surveillée »

En exprimant ses inquiétudes sur la santé de sa « maymay », le terme birman pour « mère », il a appelé à sa libération. « Je lui ai parlé peu avant le coup d’État, dont il y a un peu plus de trois ans et demi », a-t-il confié. « Mais depuis, je n’ai pu recevoir qu’une communication de sa part, une lettre. » « C’était formidable de recevoir une lettre. C’était la première indication que j’avais qui prouvait qu’elle était toujours vivante. Il n’y a aucune nouvelle actuellement qui indique où elle se trouve ni comment elle va », a-t-il expliqué.

« Mais l’an dernier, à peu près à la même période, nous avions entendu qu’elle allait très mal, qu’elle souffrait de problèmes dentaires et qu’elle se sentait malade et prise de vertiges. À ce moment-là, l’armée m’a permis de lui envoyer un colis avec une lettre. J’ai ensuite reçu une réponse au début de cette année. Même ses avocats n’ont pas le droit de la voir », a-t-il ajouté en partageant ses doutes sur le fait qu’elle serait actuellement en détention à domicile. « Nous pensons qu’elle est toujours en prison à Naypyidaw. En fait, elle a une maison à Rangoun, mais ils essaient de la vendre », a-t-il affirmé. C’est pourquoi il estime qu’il est absurde de penser qu’ils l’auraient déplacée à cet endroit. « Il y a peut-être un moment où ils l’ont sortie de prison avant de l’y remettre, mais il n’y a rien, aucune vérification indépendante disponible. »

« Sa foi bouddhiste lui a donné beaucoup de force »

Kim et Alexander, comme leur père avant eux, ont été privés de leur citoyenneté birmane. Néanmoins, Kim y est retourné à de nombreuses reprises au fil des années. « J’étais en fait avec elle quand elle a été placée en détention à domicile pour la première fois. J’avais environ douze ans, je crois. Depuis, les visites ont été ponctuelles parce que quand elle était en résidence surveillée, selon les militaires qui étaient en charge, ils disaient parfois ‘Ok, il peut venir !’ Et d’autre fois ils l’interdisaient. Rien de consistant. » « Ensuite, après sa libération, elle a été occupée à essayer de reconstruire le pays. Je n’ai pas pu la voir beaucoup. »

Élue au parlement en 2015 et réélue en 2020, Aung San Suu Kyi a mené progressivement la Birmanie vers la démocratie et l’ouverture au commerce international, en essayant, autant que possible, d’éloigner les puissants militaires de la politique. C’est donc une vie consacrée à son peuple, un véritable kaléidoscope de groupes ethniques et de religions. Et c’est précisément dans la religion qu’elle aurait trouvé la force de continuer sa lutte pour la liberté et la démocratie.

Selon Kim Aris, elle a puisé la force « dans son éducation en tant que fille du leader national Aung San ». Ancien premier ministre de la Birmanie britannique, ce dernier a négocié l’indépendance avant d’être assassiné l’année suivante en 1947. Par un coup du sort, le père d’Aung San Suu Kyi est aussi le fondateur de l’armée birmane. « Sa foi bouddhiste lui a donné beaucoup de force, je pense. Durant la période de détention à domicile, elle a dû passer beaucoup de temps à méditer. » C’est quelque chose que son fils pratique très peu, selon son propre aveu. « Je ne suis pas particulièrement religieux. Je n’ai pas pu me décider sur une religion. Elles se combattent toutes les unes les autres. Je préfère ne pas m’impliquer. »

Les différentes factions « apprennent à travailler ensemble » face à la junte

Les combats sont justement constants depuis plus de trois ans en Birmanie. Les dernières informations parlent de presque trois millions de personnes déplacées, sans compter presque 19 millions d’habitants qui ont un besoin urgent d’aide humanitaire (sur un total de plus de 56 millions d’habitants). « Mais il faudra du temps pour reconstruire, reprendre le chemin de la démocratie. Il y a tant de factions différentes et ils doivent apprendre à travailler ensemble. » Pour Aris, la création d’un État fédéral « est une possibilité ». Les différentes factions « apprennent à travailler ensemble », ajoute-t-il. « Je pense que cela fait partie des seules choses positives qui sont ressorties du coup d’État ; cela force les gens à travailler ensemble comme ils ne l’ont jamais fait avant. C’est triste qu’il ait fallu de tels évènements pour que cela se produise. »

Actuellement, certains des combats les plus violents ont lieu dans l’État de Rakhine, dans l’ouest du pays, près de la frontière avec le Bangladesh. C’est là que vivent historiquement les Rohingyas, une minorité musulmane persécutée par les militaires en 2017. À l’époque, Aung San Suu Kyi a été accusée de complicité de génocide. « Les médias internationaux avaient tout faux. Bien sûr, les gens penseront que je ne suis pas objectif vu que je suis son fils, mais ils devraient se rendre à l’évidence, et comprendre ce qu’elle faisait réellement afin d’essayer de rectifier la situation à l’époque », explique Kim Aris.

Aung San Suu Kyi « essayait d’exercer son autorité sans provoquer les militaires »

« De fait, elle ne disait pas ce que certains voulaient qu’elle dise. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne faisait pas tout ce qu’elle pouvait pour aider. En fait, son conseiller en chef sur la situation était un musulman de Rakhine qui a été assassiné à l’aéroport de Rangoun. Et en même temps, elle prenait note de toutes les recommandations que les conseillers de l’Onu lui donnaient. Et elle agissait en conséquence. Personne ne parle de tout cela. Il y avait de bonnes raisons pour qu’elle ne parle pas : parce que cela aurait probablement précipité les effusions de sang, qui auraient eu lieu plus tôt encore. Les médias internationaux ne voulaient pas parler de cela. Ils préféraient la condamner pour n’avoir pas dit quelque chose qui aurait provoqué les militaires. Cela n’aurait pas été constructif. »

En fait, selon lui, il était clair aux yeux du peuple birman qu’Aung San Suu Kyi essayait d’exercer son autorité sans aller directement à l’encontre des militaires, qui contrôlaient un quart du parlement et les ministères les plus importants. De l’extérieur, ce n’était pas possible de comprendre « à quel point la situation était sensible, délicate ». « La démocratie était toujours en pleine construction, ce processus était loin d’être terminé. La communauté internationale pense savoir mieux que les autres. La situation avec les Rohingyas était très complexe. Ce n’était pas aussi simple qu’un génocide. Les gens voulaient lui faire dire ‘génocide’. C’est un mot très spécifique. Les gens aiment sauter sur une chose, puis passer à la suivante, ils n’ont pas une très longue capacité de concentration. »

(Avec Asianews)