Séisme en Birmanie : « Cette tragédie s’ajoute à une crise profonde et multiple qui frappe déjà le pays »

Le 31/03/2025
Après le séisme de magnitude 7,7 qui a frappé le centre de la Birmanie ce vendredi 28 mars, le journaliste Benedict Rogers, spécialiste de l’Asie, partage les appels pressants de ceux qui demandent à la junte de cesser toutes ces opérations militaires. Parmi eux, le cardinal Bo, archevêque de Rangoun : « Un tel cessez-le-feu est essentiel pour faire face aux besoins immédiats des populations, qui sont affectées à la fois par le séisme et par le conflit prolongé. »
Alors que le bilan des victimes du séisme en Birmanie a dépassé 1 700 morts – et le chiffre réel est vraisemblablement bien plus élevé –, le monde entier suit la situation désespérée dans laquelle se retrouve à nouveau ce pays merveilleux mais affligé d’Asie du Sud-Est.
Au cours des quatre dernières années, depuis le coup d’État militaire qui a renversé le gouvernement civil du Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, la communauté internationale s’est peu à peu désintéressée du sort du pays. Hormis quelques rares articles publiés par les médias occidentaux, les nombreuses autres crises mondiales ainsi que les efforts de la junte pour isoler le pays n’ont fait qu’empirer cet isolement.
Aujourd’hui, la Birmanie fait à nouveau la une des médias internationaux, et il faut agir. Les chefs d’État du monde entier, dont le pape François et le roi Charles III, ont envoyé leurs messages de condoléances en partageant leur préoccupation avec sincérité, et beaucoup de gouvernements se sont engagés à envoyer des aides financières et des équipes de secours.
Ce sont des signes de la gravité de la catastrophe, tout comme le révèle la rare déclaration du porte-parole de la junte Zaw Min Tun, qui a envoyé un appel à l’aide internationale quelques heures après le séisme, ce vendredi 28 mars : « Nous demandons à la communauté internationale d’envoyer des aides humanitaires dès que possible. »

Lors des crises humanitaires précédentes en Birmanie – notamment le cyclone Nargis en 2008, la pandémie de Covid 19 et d’autres catastrophes naturelles –, la réponse du régime avait été de rejeter les aides internationales, de refuser ou limiter l’entrée des équipes humanitaires, ou de détourner ou manipuler les aides.
« J’appelle la junte à cesser toutes ses opérations militaires »
Le fait que la junte lance cet appel est bienvenu, et les États-Unis, l’Union européenne, l’Asean (Association des nations d’Asie du Sud-Est), entre autres, ont raison d’y répondre. Pourtant, tout en appelant à l’aide, la junte continue de bombarder des civils, y compris dans des régions affectées par le séisme.
La perversité, la barbarie et l’infamie du régime militaire au pouvoir en Birmanie ne sont pas des nouveautés, mais même en considérant leur brutalité habituelle, ils se sont encore une fois surpassés. Quel groupe d’être humains bombarde d’autres gens dont les vies viennent d’être dévastées par un séisme ? Quel genre de gouvernement lance un appel à l’aide internationale, avant de continuer de bombarder son propre peuple ? Les Nations unies ont décrit ces bombardements comme « totalement scandaleux et inacceptables ».
Pour Tom Andrews, rapporteur spécial de l’Onu sur les droits de l’homme en Birmanie depuis 2020, le fait que l’armée continue de « larguer des bombes quand d’autres essaient de secourir les victimes du séisme » est tout simplement « inconcevable ». Tom Andrew parle d’« une catastrophe de plus » en Birmanie, alors que ce séisme survient après des années de conflit civil et de répression dévastateurs, après le déplacement de plus de 3,5 millions d’habitants, après la famine, la pauvreté et l’effondrement économique.
Très justement, le rapporteur spécial a interpellé le régime en lui demandant de cesser toutes ses opérations militaires. « Toute personne qui possède de l’influence sur l’armée doit intervenir pour faire pression et faire comprendre très clairement que ce n’est pas acceptable », a-t-il souligné. « J’appelle tout simplement la junte à cesser, arrêter toutes ses actions militaires en cours. »
Appels du cardinal Bo et du NUG
De son côté, le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun et président de la Conférence épiscopale birmane, a lancé un appel similaire. « Cette crise humanitaire nécessite de mettre fin immédiatement aux hostilités. Nous appelons de toute urgence à un cessez-le-feu immédiat et complet entre toutes les parties impliquées dans le conflit, afin d’assurer l’arrivée sûre et libre des aides humanitaires essentielles des bienfaiteurs locaux et internationaux », a-t-il déclaré dans un communiqué publié ce week-end. « Un tel cessez-le-feu est essentiel afin de faire face aux besoins immédiats en termes de nourriture, de matériel médical, de logement et de protection pour les populations affectées à la fois par le séisme et par le conflit prolongé. »
Le Gouvernement d’unité national (NUG) – en exil, composé d’anciens élus et de représentants des groupes ethniques – a également appelé à instaurer un cessez-le-feu temporaire. Sa déclaration est louable. Des dirigeants et chefs d’État du monde entier, dont le secrétaire général de l’Onu, le pape François, le président Donald Trump et les gouvernements d’Asie du Sud-Est, doivent appuyer cet appel. Il faut faire pression sur la junte pour que cessent les bombardements, alors que les aides humanitaires s’efforcent d’arriver pour secourir les personnes qui sont toujours parmi les décombres du séisme.
Le reste du monde doit répondre à l’appel à l’aide de la junte – tout en assurant que les aides humanitaires atteignent réellement ceux qui en ont besoin, et qu’elles ne soient pas réquisitionnées ou volées par le régime. La communauté internationale doit aussi faire en sorte que les aides touchent aussi les régions du pays qui sont hors du contrôle de la junte.

Plus de 150 monastères, pagodes, mosquées et églises détruits ou endommagés
Dans son message, le cardinal Bo met l’Église en première ligne des efforts humanitaires auprès des victimes. « L’Église catholique en Birmanie, associée à la prière et aux vœux du pape François, est aux côtés des hommes et des femmes de notre pays, en signe de solidarité face cette nouvelle crise », a-t-ilinsisté. « Cet événement tragique a encore aggravé la crise profonde et multidimensionnelle qui frappe déjà la Birmanie, où près de 20 millions de personnes, dont 6,3 millions d’enfants, ont besoin d’assistance de toute urgence. »
« L’Église locale affirme son soutien inébranlable auprès des populations affectées, et envoie ses condoléances aux familles qui ont perdu des proches. L’Église catholique mobilisera toute l’aide possible pour subvenir aux besoins vitaux en nourriture, soins et logement », a continué le cardinal birman, en ajoutant que « nous prions particulièrement pour ceux qui ont trouvé la mort à l’intérieur des lieux de culte ».
Plus de 150 bâtiments religieux – monastères, pagodes, mosquées et églises – ont été endommagés ou détruits. Plusieurs milliers de musulmans étaient dans les mosquées pour le dernier jour du Ramadan quand le séisme a eu lieu, et plusieurs centaines d’entre eux sont décédés. Beaucoup de chrétiens ont également été blessés ou tués quand des chapelles et des églises se sont effondrées. Et bien sûr, plusieurs milliers de bouddhistes ont également été affectés dans les temples et pagodes qui ont été ébranlés par la catastrophe.
Peut-être que la seule nouvelle positive à noter dans cette tragédie, c’est que des membres de toutes les confessions religieuses s’associent pour venir en aide aux victimes. Certains estiment que le séisme pourrait même constituer un « signe » annonçant la fin de la junte. Ce serait sans doute la seule bonne issue qui pourrait émerger des décombres de cette catastrophe.
Le régime illégal, inhumain et meurtrier a infligé encore plus de souffrances dans le pays au fil des années, comparé à l’impact de cette tragédie déchirante en particulier. Le peuple birman mérite un gouvernement élu démocratiquement, qui assume ses actes, qui prenne soin du pays, qui traite les gens avec respect et dignité, et qui défende l’état de droit et les droits humains fondamentaux. Les Birmans méritent les aides et les prières du reste du monde, alors qu’ils tentent de secourir et reconstruire leur pays en ruine.
(Avec Ucanews, Benedict Rogers)
Benedict Rogers est un journaliste et militant catholique britannique basé à Londres, dont le travail se concentre sur l’Asie, notamment la Birmanie. Il est Cofondateur de l’ICNK (Coalition mondiale pour mettre un terme aux crimes contre l’humanité en Corée du Nord).