Séoul : les jeunes sud-coréens face à l’hiver démographique
En Corée du Sud, le taux de natalité a atteint 0,72 enfant par femme en 2023, et pourrait chuter jusqu’à 0,68 selon les premières estimations provisoires. © Huy PhanLe 20/05/2024
Dans un essai publié initialement dans la revue catholique italienne La Civiltà Cattolica, le père Jeong Yeon Hwang, un jésuite sud-coréen, examine la crise actuelle vécue par les jeunes dans le pays d’Asie de l’Est, qui se traduit par l’effondrement du taux de natalité. La compétitivité extrême dès la sortie du lycée cause des situations de « burnout » et d’isolement social. Mais même dans un tel contexte, les jeunes coréens ne semblent pas perdre leur vitalité : pour 94,8 % d’entre eux, l’avenir qu’ils espèrent reste « atteignable ».
La Corée du Sud traverse un véritable « hiver démographique », pour reprendre l’expression utilisée récemment par le pape François pour décrire les faibles taux de natalité. Dans le pays d’Asie de l’Est, le taux pour 2022 a atteint 0,78 enfant par femme, avant de chuter une nouvelle fois pour atteindre les taux records de 0,72 enfant par femme en 2023, puis 0,68 en 2024 selon les premières estimations provisoires.
Mais quelles sont les raisons derrière ce phénomène ? Et qu’est-ce que cette crise démographique dit sur les jeunes coréens d’aujourd’hui ? Ces questions sont au cœur du dernier essai publié dans le magazine catholique La Civiltà Cattolica par le père Jeong Yeon Hwang, qui essaie de comprendre la génération dite « Opo », c’est-à-dire une génération qui tend à renoncer à cinq aspects qui conforment la vie au sein de la société sud-coréenne : les fiançailles, le mariage, les enfants, le travail et la propriété.
Séoul a proposé des incitations économiques, des récompenses financières, des aides aux services de garderie et des remboursements des traitements d’infertilité. Pourtant, le taux de natalité en chute est une tendance qui s’est intensifiée en Corée, et qui a atteint un niveau sans précédent dans l’ère moderne à l’échelle mondiale. Parmi les facteurs déclencheurs se trouvent l’insécurité de l’emploi, la crise d’abordabilité du logement, le coût élevé de la vie qui impacte la procréation, et une culture du travail peu favorable à la famille.
La compétitivité renforcée par la « diplômanie »
Mais les difficultés financières sont amplifiées par la compétitivité en hausse – d’abord dans le secteur éducatif, puis sur le lieu de travail et dans la sphère sociale. Cette compétitivité est souvent désignée comme la « diplômanie » : une compétitivité basée sur les diplômes universitaires et les certifications accréditées par l’État, pour certaines professions à revenus élevés comme pour les médecins et les avocats.
Ces titres sont synonymes de prestige social et conduisent à renforcer la compétitivité dès le plus jeune âge, touchant tous les stades de croissance jusqu’à l’adolescence et l’âge adulte. La preuve de cette situation est le fait qu’avant l’université, près de 80 % des étudiants sont inscrits dans des « hagwons », des établissements scolaires privés d’aide à l’étude très coûteux en Corée du Sud, où des tuteurs préparent les élèves pour les rendre plus performants et compétitifs en vue du « suneung » (le Test d’aptitude scolaire, un examen national utilisé pour l’admission à l’université).
L’obtention du « suneung » avec les meilleures notes permet en effet d’être admis dans les trois meilleures universités du pays : l’université nationale de Séoul, l’université de Corée, et l’université Yonsei, ce qui leur ouvrira toutes les portes dans leur vie professionnelle. Ainsi, des enfants de tous âges fréquentent un « hagwon » après l’école, parfois jusqu’à tard le soir. Rien qu’à Séoul, on compte au moins 24 000 hagwons.
D’un autre côté, la Corée du Sud fait partie des pays comptant les taux d’éducation les plus élevés au monde : près de 88 % des femmes et 83 % des hommes entre 19 et 34 ans ont un diplôme ou sont inscrits à l’université. Toutefois, le pays fait face au chômage et aux difficultés d’accès au logement, des facteurs qui forcent les jeunes adultes à retarder les projets de mariage voire à renoncer à l’idée de fonder une famille. Les chiffres reflètent l’ampleur de la crise : l’âge auquel se marient les femmes – qui ont de plus de mal à concilier mariage, éducation des enfants et carrière professionnelle – est passé de 26,5 ans en 2000 à 31,2 ans en 2022, tandis que le pourcentage de célibataires permanents est passé de 5 % en 2013 à 14 % en 2023.
Une polarisation de genre parmi les 20-35 ans
L’analyse montre aussi une augmentation de la polarisation de genre parmi les 20-35 ans, ce qui a affecté les élections générales de 2022 : 75,1 % des hommes âgés de 18 à 29 ans ont soutenu un candidat conservateur, tandis que 67 % des femmes dans le même groupe d’âge ont exprimé une préférence pour un candidat progressiste.
Parmi les hommes, cela se traduit par une « résistance » aux politiques destinées à améliorer les droits des femmes, à tel point que l’écart de rémunération entre hommes et femmes était de 31,2 % en 2022, soit le chiffre le plus élevé parmi les pays de l’OCDE. En moyenne, les femmes coréennes gagnent beaucoup moins que leurs collègues masculins, et la représentation des femmes en politique dans le pays est de seulement 19 %.
Il y a aussi des différences significatives concernant le mariage et les enfants. Parmi les jeunes adultes non mariés, 75,3 % songent au mariage, avec une différence de 10,1 points entre hommes et femmes (79,8 % pour les hommes, 69,7 % pour les femmes) ; 63,3 % songent aussi à avoir des enfants à l’avenir, avec une différence de 15,2 points selon le genre (70,5 % des hommes, 55,3 % des femmes). Ainsi, les jeunes hommes et les jeunes femmes sont en compétition permanente, ont des positions politiques radicalement opposées et des regards très différents sur le mariage et la famille.
Les jeunes coréens ne perdent pas leur vitalité
Les jeunes adultes sont sous pression constante dès le plus jeune âge dans la course au succès, jusqu’à risquer le « burnout » et l’isolement social. Selon une enquête de 2022, 33,9 % des jeunes adultes ont déjà vécu le burn-out dans le passé à cause d’une insécurité liée à l’emploi (37,6 %), à cause d’une surcharge de travail (21,1 %), à cause de la démotivation au travail (14 %) ou encore à cause d’un déséquilibre entre travail et vie personnelle (12,4 %).
En plus du risque de burn-out, la Corée du Sud compte l’un des taux les plus bas au monde en termes de relations sociales : 21,5 % du groupe âgé entre 20 et 35 ans souligne n’avoir « pas d’amis ou de famille vers qui se tourner en cas de besoin »,soit bien au-dessus de la moyenne de 10,1 %, donc le risque d’isolement social est élevé.
Pourtant, même dans une société aussi compétitive, les jeunes coréens ne perdent pas leur vitalité : 94,8 % d’entre eux sont convaincus que l’avenir qu’ils imaginent est « atteignable » d’une façon ou d’une autre, et 95,7 % reconnaissent le rôle « prioritaire » des relations avec des personnes positives pour leur équilibre de vie. C’est pourquoi les jeunes cultivent toujours des rêves de bonheur et d’amour, et il y a des désirs grandissant de solidarité et d’union, observe le père Jeong Yeon Hwang, ce qui pour lui « peut garantir une vision partagée et donner la force nécessaire pour la réaliser ».
(Avec Ucanews)