Singapour

Singapour : une diversité culturelle et religieuse unique façonnée par plus de 700 ans d’histoire (partie I)

Dix jeunes représentants les différentes religions officielles à Singapour, le vendredi 13 septembre avec le pape François au Catholic Junior College. Dix jeunes représentants les différentes religions officielles à Singapour, le vendredi 13 septembre avec le pape François au Catholic Junior College. © Ad Extra
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En 700 ans d’histoire, Singapour est passée d’un petit poste de commerce à une métropole vibrante qui vante « l’unité dans la diversité ». Aujourd’hui, c’est un très petit territoire avec une incroyable diversité religieuse et culturelle : quatre langues officielles (anglais, mandarin, malais et tamoul) et dix religions reconnues. À cause de son passé, dont des violences raciales et interreligieuses durant les années 1950 et 1960, la cité-État a imposé des règles strictes sur la place des religions. Aujourd’hui, le dialogue islamo-chrétien a toute sa place à Singapour, où le dialogue interreligieux est encouragé depuis quelques années.

Imran Mohamed Taib, musulman singapourien, fondateur du Centre pour la compréhension interreligieuse (CIFU), apprécie les paroles que le pape François a prononcées le vendredi 13 septembre au matin lors d’une rencontre interreligieuse avec les jeunes au Catholic Junior College, une école catholique de Singapour : « Toutes les religions sont un chemin vers Dieu. Elles sont comme des langues différentes, des idiomes différents, pour y parvenir. Mais Dieu est Dieu pour tous. Et parce que Dieu est Dieu pour tous, nous sommes tous fils de Dieu. » Le pape a dit cela en échangeant avec les jeunes présents, de différentes religions (islam, bouddhisme, hindouisme, catholicisme…), en confiant que « ce qui m’a le plus frappé chez vous, les jeunes, ici, c’est votre capacité de dialogue interreligieux ».

Comment le contexte et l’histoire de Singapour ont-ils favorisé cela ? Aujourd’hui, les relations entre communautés sont plutôt pacifiques et les Singapouriens sont en contact avec d’autres cultures et religions au quotidien dès le plus jeune âge, même si beaucoup d’habitants vivent plutôt au sein de leur propre communauté. Pourtant, au cours de son histoire, la cité-État a connu de vives tensions, en particulier au XXe siècle, ce qui a façonné la politique du pays sur la place des religions dans la société singapourienne.

Avant de devenir majoritairement musulmane, la péninsule malaise était de tradition bouddhiste, hindoue et animiste.
Avant de devenir majoritairement musulmane, la péninsule malaise était de tradition bouddhiste, hindoue et animiste.
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L’islamisation progressive de l’Asie du Sud-Est

François Bretault, catholique, également membre du centre interreligieux CIFU, remarque que pour parler de l’histoire de Singapour, il est utile de remonter avant l’année 1819. « Les gens pensent que Singapour a débutée avec l’arrivée de Stamford Raffles, mais il faut rappeler qu’il y avait déjà quelque chose avant, on a tendance à l’oublier », explique-t-il.

On raconte on effet que Raffles, un officier, administrateur colonial et naturaliste britannique, ancien gouverneur des Indes orientales néerlandaises, a fondé la ville de Singapour cette année-là. Pourtant, les historiens y retracent une activité commerciale depuis plus de 700 ans, même si c’est après 1819 et l’arrivée de Stamford Raffles, alors que la localité comptait près de mille Chinois, Malais et Orang Laut (en malais « gens de la mer »), que Singapour s’est transformée en une véritable ville portuaire, jusqu’à devenir la ville mondialisée qu’elle est aujourd’hui.

De son côté, Imran explique que pour comprendre l’histoire de Singapour, il faut d’abord comprendre sa situation géographique dans la région. « Nous faisions partie d’empires plus étendus dans la région, principalement les empires Sriwijaya et Majapahit, qui étaient bouddhistes et hindous. À partir de 1500 après JC, avant la venue des Européens, Singapour dépendait de l’empire Majapahit, qui était le plus grand en Asie du Sud-Est. La Malaisie était alors de tradition bouddhiste, hindoue et animiste. »

Selon Imran, un chercheur indépendant qui écrit et poursuit ses recherches sur l’islam, la société malaise et les questions interreligieuses (il est l’auteur de plusieurs livres dont Islam, Religion et progrès : Perspectives critiques, 2006), la présence de l’islam dans la péninsule malaise est venue progressivement dans la région, selon un processus assez lent d’islamisation. « Ce sont des commerçants qui ont établi des villes dans la région. Ils se sont mélangés à la population locale et ont grandi en nombre. Ils sont devenus influents en tant qu’agents de négociants et commerçants, dans toute la région, jusqu’en Chine », raconte-t-il.

Ainsi, à partir du XIIIe et du XIVe siècle sont nés les premiers royaumes islamiques dans cette partie du monde. Le premier était le sultanat de Pasai, qui correspond aujourd’hui à la province indonésienne d’Aceh, dans l’île de Sumatra. Pasai a joué un rôle majeur en tant que centre d’échanges commerciaux.

La ville du lion

Selon Imran, le nom de Singapour apparaît avec le royaume de Singapura, fondé en 1299 par le prince de Palembang (de Sumatra), Sang Nila Utama, qui avait pris la fuite pour établir Singapura. Selon la légende, il aurait vu un lion (« Singa » en malais), et « pura » signifie « ville ». Donc la « ville du lion ».

La mosquée du Sultan (Masjid Sultan) de Singapour, dans le quartier de Kampong Glam.
La mosquée du Sultan (Masjid Sultan) de Singapour, dans le quartier de Kampong Glam.
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« Bien sûr, il n’y a pas de lion dans la région. C’était un symbole de pouvoir et de force. C’était aussi lié aux empires indiens qui avaient le lion pour emblème. Après Sang Nila Utama, premier roi de Singapura, il y a eu quatre autres rois. Le dernier, Parameswara, s’est enfui pour établir Malacca alors que Singapura était assiégée », commente Imran.

Malacca, une ville portuaire (dans le sud-ouest actuel de la Malaisie) qui était alors un important centre commercial, était encore hindoue et bouddhiste à cette période. Selon Imran, le roi Parameswara s’est marié à Malacca avec une princesse d’Aceh du royaume de Pasai, qui était musulmane. « Il s’est converti à l’islam et Malacca est devenue une enclave musulmane. Malacca a joué un rôle important pour la suite de l’islamisation de cette partie du monde », explique-t-il en évoquant aussi d’autres influences, notamment un émissaire chinois appelé Cheng Ho, un musulman. « Cet émissaire est venu dans la région avec des constructeurs de bateaux depuis la Chine [ndlr : qui était sous la dynastie Yuan]. Ses expéditions ont contribué à répandre l’islam en Asie du Sud-Est, avant l’arrivée des colons chrétiens. »

« Nous avons été un point de rencontre dès le départ »

C’est ainsi que l’islam s’est profondément enraciné dans la région, parce qu’il est devenu étroitement lié à la culture. « À Java par exemple, la pénétration de l’islam a été une réussite, parce que la religion a fortement influencé la culture locale. Dans le christianisme, vous parlez d’inculturation. Ce n’étaient donc pas des conversions soudaines, mais un processus d’assimilation progressive, qui a pris deux à trois cents ans. Cela a transformé la vision du monde des Malais de façon permanente. Selon moi, ceci explique pourquoi les colons chrétiens n’ont pas pu convertir les Malais au christianisme, qui était considéré comme la religion étrangère apportée par les colons. »

En fin de compte, le christianisme a également pris racine en Asie du Sud-Est, en particulier dans la partie orientale d’Indonésie. « Tout cela a contribué aux premières expériences interreligieuses pour les populations locales, car les autochtones étaient confrontés à différentes grandes civilisations venues de Chine, d’Arabie, d’Europe, d’Inde… », explique Imran. Plusieurs cultures différentes se sont rencontrées ici dès le début.

Pour lui, cela explique pourquoi, plusieurs siècles plus tard, les Singapouriens et les Indonésiens sont à l’aise avec la diversité. « Pour le monde malais et indonésien, la diversité est quelque chose de normal et d’acceptable, parce que la région était un point de rencontre de différentes civilisations. La nature même des centres commerciaux portuaires de la région en faisaient des lieux beaucoup plus cosmopolites et ouverts que des sociétés continentales et tournées vers l’intérieur », ajoute-t-il. « C’est pourquoi nous avons été un point de rencontre dès le départ entre les religions indigènes, les bouddhistes, hindouistes, l’islam, puis avec l’arrivée du christianisme… Tout le monde trouve sa place dans cette partie du monde. » (À suivre)

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