Singapour

Singapour : une diversité culturelle et religieuse unique façonnée par plus de 700 ans d’histoire (partie II)

La rue Waterloo, une enclave interreligieuse et interculturelle unique à Singapour. La rue Waterloo, une enclave interreligieuse et interculturelle unique à Singapour. © Ad Extra
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En 700 ans d’histoire, Singapour est passée d’un petit poste de commerce à une métropole vibrante qui vante « l’unité dans la diversité ». Aujourd’hui, c’est un très petit territoire avec une incroyable diversité religieuse et culturelle : quatre langues officielles (anglais, mandarin, malais et tamoul) et dix religions reconnues. À cause de son passé, dont des violences raciales et interreligieuses durant les années 1950 et 1960, la cité-État a imposé des règles strictes sur la place des religions. Aujourd’hui, le dialogue islamo-chrétien a toute sa place à Singapour, où le dialogue interreligieux est encouragé depuis quelques années.

(Suite – lire partie I ici) En revenant sur l’arrivée de Raffles à Singapour, Imran Mohamed Taib explique que pour fonder la ville, il a fait venir de la main-d’œuvre étrangère, afin d’ouvrir des plantations et construire une ville portuaire. Tous les coolies de Chine étaient affectés aux plantations de caoutchouc ou aux mines en Malaisie et à Singapour. « Cela a affecté la démographie originelle de la ville avec l’arrivée d’une importante population d’immigrants, en particulier de Chine. La population chinoise a beaucoup augmenté par la suite, jusqu’à ce que les Singapouriens deviennent majoritairement d’ethnie chinoise, tandis que le reste de la péninsule malaise restait majoritairement musulmane et d’ethnie malaise », décrit Imran.

Au cours de l’histoire de Singapour, la ville a connu de vives tensions interethniques, en partie sous l’influence des Britanniques « qui ont introduit l’idée de race », poursuit Imran. « Il y a plusieurs facteurs entre l’imposition de l’idée de race par les colons, les tensions avec l’arrivée du christianisme… Ainsi, au XXe siècle, nous avons connu des conflits ouverts, durant les années 1950 et 1960. »

Singapour a adopté le modèle appelé « CMIO » (Chinois, Malais, Indiens, Autres), un héritage des politiques coloniales britanniques.
Singapour a adopté le modèle appelé « CMIO » (Chinois, Malais, Indiens, Autres), un héritage des politiques coloniales britanniques.
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Selon Imran, ces conflits « avaient un caractère religieux, mais aussi avec un certain sentiment anticolonial ». « Ces évènements expliquent pourquoi, par la suite, les autorités de Singapour ont vu la religion comme une question sensible. D’autant plus que durant les années 1960, les sentiments anticoloniaux ont continué d’augmenter ». Les tensions interethniques étaient également fortes à l’époque, en particulier entre Malais et Chinois. « Ces tensions ont d’ailleurs été utilisées par les Britanniques, qui cherchaient ainsi à diviser pour mieux régner. Ils gardaient les communautés séparées les unes des autres, et chacune considérait l’autre comme rivale et concurrente. »

« Nous sommes tous Singapouriens »

Comment les Britanniques ont-ils introduit l’idée de race ? Imran explique que c’est apparu avec le modèle « CMIO » (Chinois, Malais, Indiens, Autres). « Pour les Britanniques, il y avait beaucoup de diversité qu’ils ne pouvaient pas gérer. L’esprit britannique est très simple ! Il fallait qu’ils mettent les gens dans des cases pour y voir clair… De fait, aujourd’hui, on parle des Chinois comme un ensemble unifié, mais dans le passé, ils ne se voyaient pas comme Chinois, mais comme des groupes ethniques selon leur région d’origine, dont les communautés hokkien, hakka, cantonaise, teochiu et hainanaise », explique-t-il.

Tous se voyaient comme faisant partie d’un clan, et les Britanniques les ont tous placés dans une seule catégorie. Ils ont fait de même pour les Malais (Java, Minang, etc.) et pour les Indiens. « À cause de la prévalence de la religion pour chaque communauté, l’islam est devenu étroitement lié aux Malais, l’hindouisme aux Indiens… C’est un héritage des politiques coloniales. »

Durant les années 1960, les premières émeutes raciales ont éclaté en 1964 entre les Chinois et les Malais. Singapour avait été rattaché à la Fédération de Malaisie l’année précédente, en 1963, et devait proclamer son indépendance l’année suivante en 1965. Après l’indépendance, d’autres émeutes raciales ont éclaté en 1969. Face à ces incidents violents, les autorités ont compris que pour avancer en tant que nation, il fallait devenir une société multireligieuse et multiethnique, avec la même citoyenneté. Cet état d’esprit est resté ancré jusqu’à aujourd’hui.

François Bretault explique qu’aujourd’hui, dans les écoles singapouriennes, on prononce ces paroles tous les matins : « Quelle que soit la race, la religion, la langue, nous sommes tous Singapouriens. »

« Pour le monde malais et indonésien, la diversité est quelque chose de normal et d’acceptable » (Imran, chercheur musulman à Singapour)
« Pour le monde malais et indonésien, la diversité est quelque chose de normal et d’acceptable » (Imran, chercheur musulman à Singapour)
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« Tout ce que nous avons, ce sont les ressources humaines »

« Voilà le contexte singapourien », conclut Imran, qui rappelle aussi qu’en raison de la petite taille du territoire, « tout ce que nous avons, ce sont les ressources humaines ». « Et ces ressources sont si diverses ! Singapour est un des pays qui compte la plus importante diversité religieuse au monde, comme vous le savez. Groupes ethniques, religions… C’est pourquoi l’unité ethnique et religieuse est devenue si importante, parce que si nous sommes divisés, l’économie en pâtira. C’est pourquoi c’est une question aussi sensible ici, jusqu’à devoir limiter certaines libertés. »

Par exemple la liberté de manifester : il évoque ainsi le Speakers’ Corner, une zone où les Singapouriens peuvent manifester, s’engager dans des discours publics, des débats et des discussions politiques… Mais avec la nécessité d’une autorisation officielle pour s’y rendre. « Techniquement, on peut manifester et faire ce qu’on veut sans autorisation officielle, à condition de ne pas toucher à la race et à la religion. »

Pour autant, il reconnaît que cela devient plus facile de parler de race et de religion par rapport au passé, en particulier depuis l’arrivée d’Internet. « Maintenant, tout le monde parle sur les réseaux. Internet a démocratisé tout cela. Mais cela a ses limites, parce que durant longtemps, les gens n’en ont pas parlé, donc aujourd’hui, ils ne savent plus comment aborder ces questions de manière constructive. D’où les tensions qu’on peut voir sur Internet sur les questions raciales et religieuses. »

Aujourd’hui, comme toute société ouverte, connectée à Internet, Singapour est exposée aux idées de toutes les régions du monde, qu’il s’agisse de la montée de l’extrémisme et du communautarisme, de l’influence de la Chine, de l’idéologie pro-hindoue de l’hindutva en Inde… : « Tout ce qui se passe ailleurs aura un certain impact ici ». Face à tout cela, au Catholic Junior College de Singapour, le pape François ne conseillait pas aux jeunes de rester dans leurs « zones de confort » mais d’aller « de l’avant » : « Prenez des risques, sortez ! N’ayez pas peur ! La peur est une attitude dictatoriale qui paralyse. »

(Ad Extra)

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